La querelle des procureurs

 

– suite et fin –

 

 

Ce sujet de « querelle des procureurs » avait déjà été traité dans notre bulletin généalogique familial de décembre 2001, numéro 2, page 22,

Les personnages en présence étaient d’une part : François Duboys (1671 ou 73-1747) procureur au Présidial, après lui, son fils ainé Joseph Dubois de la Vrillère, avocat, également son fils cadet René-Antoine Dubois des Sauzais procureur au Parlement ; d’autre part, son frère cadet Jacques Duboys (1681-1762) procureur au Parlement, après lui son fils Jacques Duboys (1717-1764) professeur de droit et avocat ; et enfin Siméon-René Bocher (xx-xx) procureur au Parlement, époux de Jeanne Leglay, sa belle-fille.

 

Ces juristes – procureur, avocat ou professeur - sont toujours là, mais ils assistent désormais à un vrai problème de droit résultant d’un différent entre une belle-mère, Rose Gomme, veuve de Sébastien Le Glay et sa belle-fille Jeanne Le Glay, seule enfant d’un premier mariage de son mari.

 

Tableau généalogique :

 

Noms

Génération I

Génération II

Génération III

 

Tesson

André Tesson

Et Marie Brosset

En 1680 

Jean Tesson (16xx-16x)

Et (1) Urbanne Dubois (1659-1701)

Jean Tesson

Brosset

Dubois

En 1658

(1)René Dubois (1637-1704)

Et Urbanne Aubin (16xx-1663)

 

André Tesson

Le Roy

Aubin

En 1699

(2) Urbanne Dubois

Et (1) Sébastien Le Glay (16xx-1725)

Jeanne Le Glay (1700-17xx)

Ep en 1731 Siméon-René Bocher

 

Le Glay

 

En 1709

Sébastien Le Glay (2)

Et Rose Gomme

Rose Le Glay

 

Marie Le Glay

 

Gomme

 

Magdeleine Le Glay

Ep François Foyneau

 

Dubois

Vers 1665-1668

(2) René Dubois

Et Jeanne Bureau (16xx-1712 ?)

En 1696

François Dubois (1671-1747)

Et Anne de Paris

19 ( ?) enfants, dont

-Joseph D de la V

-René-Antoine D des S

Bureau

Jean Dubois (1678-1742)

SP – en religion -

En 1713

Jacques Dubois (1681-1762)

Et Madeleine Douault

Jacques Dubois (1717-1764)

Ep Françoise Alleaume

(1714-1746)

Puis Geneviève Gaudin Duplessix (1725-1820)

 

Les pièces judiciaires :

I - Les pièces judiciaires dont nous avions connaissance en 2001 étaient les suivantes : un factum de Siméon Bocher de 1736, et un mémoire établi en 1763 par Jacques Dubois fils … Il nous manquait alors, pour bien comprendre, le factum de François Dubois et puis le partage de 1706

 

II - Aujourd’hui, grâce aux « Tablettes Rennaises » - à voir sur internet - nous disposons de trois nouvelles pièces :

-        Un « factum » établi en 1726 pour demoiselle Janne Le Glay – l’auteur est Me Morice avocat, l’auteur secondaire-rapporteur est M de Bruc.

-        un « factum » établi en 1728 par M. de la Motte Jacquelot, rapporteur, en faveur de demoiselle Rose Gomme, veuve de Sébastien Leglay, et ses trois enfants, contre Jeanne Leglay, fille de Sébastien Leglay mais d’un premier mariage avec Urbanne Dubois.

-        Un contredit établi en 1728 pour demoiselle Jeanne Le Glay – l’auteur-rapporteur est M. La Motte Jacquelot ; ce contredit a sans doute été rendu possible du fait que deux arrêts en 1727 et 1728 sont intervenus après le premier factum de 1726.

 

III - Kerviler retrouve la pièce suivante au catalogue de la Bibliothèque de Nantes sous le numéro 7220 :

« A Messieurs, Messieurs les juges du siège présidial de Nantes supplie humblement demoiselle Jeanne Le Glay, épouse de M. Siméon-René Bocher, procureur etc. contre le sieur François Foineau etc … et contre la demoiselle Renée Gomme etc (par Racois) – Rennes, Julien Vatar, s.d . (vers 1741) sur 14 p.

 

Les deux problèmes de droit sont les suivants :

1°) – Un inventaire établi par Sébastien Le Glay en 1710, soit dix ans après le décès de sa première épouse et un an après son remariage, et non déposé au greffe, conservé au domicile, suffit-il pour arrêter les effets de la communauté Dubois-Le Glay ou bien celle-ci se poursuit-elle jusqu’à son propre décès en 1725 ?

2°) - Dans cette communauté, Jeanne Le Glay a–t-elle droit à la moitié, la part de sa mère, ou seulement un sixième – soit ses droits avant la renonciation par ses deux demi-frères Tesson ? (outre également sa part dans la succession de son père)

 

En 1701, au décès de Urbanne Dubois-Le Glay, François Dubois, son demi-frère, est institué tuteur des Tesson, enfant du 1er mariage de la défunte ; Urbanne Le Glay, seule enfant de son second mariage, restera sous la garde de son père, mais par la suite, sans doute après le remariage de celui-ci en 1709, elle sera conseillée par François Duboys son oncle ; l’âge de la majorité était alors de 25 ans ; à partir de son propre mariage en 1731, elle se retournera contre ce dernier, sans doute sur les « bons » conseils de son mari, Siméon-René Bocher, un tout jeune procureur, ses provisions pour exercer étant du 9 novembre 1730 …

 

Suite à ces « factum » de 1726 et 1728, un arrêt sera rendu le 14 février 1730 … Il semble qu’il confirme un premier arrêt du 22 juillet 1722 et juge par conséquent que Janne Leglay côté héritage de sa mère aurait la moitié dans la communauté continuée et viendrait au partage de l’autre moitié comme héritière de son père (pour un quart) …

 

Les faits :

Le contentieux survient au décès de Sébastien Le Glay en 1725

Dès l’ouverture de la succession, Rose Gomme, la veuve, pour faire diminuer les droits de sa belle-fille, se prévaut de l’inventaire de 1710, et accorde à cette dernière un sixième de la communauté, basé donc sur l’inventaire, à l’exclusion par conséquent des acquêts postérieurs ; Jeanne Le Glay-Bocher considère l’inventaire de 1710 comme inopposable ; ses droits porteront sur la masse totale au décès, sur laquelle elle sollicite la moitié soit la part en totalité de sa mère, outre ses droits dans la succession de son père …

Une sentence est rendue en la prévôté de Nantes le 29 avril 1726

Une sentence est rendue en la juridiction des « Resguaires » de Nantes le 4 mai 1726

Puis, un arrêt  du Présidial ? du 22 juillet 1727

Un arrêt du Présidial ? 28 juin 1728 avec les conclusions de La Ville Guérin

 

L’arrêt du 7 juillet 1727

 

 

 

L’arrêt du 14 février 1730, au rapport de M. de la Motte Jacquelot, lequel confirme le 1er arrêt du 22 juillet 1727 et juge par conséquent que Janne Le Glay comme héritière de sa mère a droit à la moitié dans la communauté continuée et viendrait au partage de l’autre moitié comme héritière de son père.

Le motif de décider fut que la renonciation des Tesson, leur portion dans la communauté, sans aussi être à personne en particulier était demeurée dans la masse de la communauté, au passage de laquelle Janne Le Glay était fondée pour une moitié par l’effet de la continuité …

 

L’arrêt du 14 mars 1730

 

 

Apparemment, le contentieux existait encore en 1741 …

 

Que penser de la situation, aujourd’hui, sur le plan juridique ?

Concernant l’inventaire :

Aujourd’hui, un inventaire est obligatoire dans les successions ouvertes en présence d’un enfant mineur ; nous pensons que cette règle existait déjà sous l’ancien régime.

Cet inventaire doit être réalisé dans les trois du décès – article 503 du code civil actuel – et non pas neuf ans après !!

L’inventaire doit être contradictoire, c’est-à-dire en présence du représentant du mineur, qui peut émettre des réserves ; cela évitera de lire en allégation dans un factum de 1726 que l’inventaire était infidèle, c’est-à-dire incomplet, la communauté ayant été volontairement vidé de sa substance … L’article 503 actuel précise que « si l’inventaire n’a pas été établi ou se révèle incomplet ou inexact, la personne protégée, et après son décès ses héritiers peuvent faire la preuve de la valeur et de la consistance de ses biens par tous moyens ».

Article 1253 du code de procédure civile : « Les opérations d'inventaire de biens prévues à l'article 503 du code civil sont réalisées en présence de la personne protégée, si son état de santé ou son âge le permet, de son avocat le cas échéant, ainsi que, si l'inventaire n'est pas réalisé par un officier public ou ministériel, de deux témoins majeurs qui ne sont pas au service de la personne protégée ni de la personne exerçant la mesure de protection. Cet inventaire contient une description des meubles meublants, une estimation des biens immobiliers ainsi que des biens mobiliers ayant une valeur de réalisation supérieure à 1 500 euros, la désignation des espèces en numéraire et un état des comptes bancaires, des placements et des autres valeurs mobilières. L'inventaire est daté et signé par les personnes présentes. »

Il faut ici citer un adage de droit : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » ; autrement dit, ici, le défaut d’inventaire ne pourra jamais porter tort à l’héritier mineur.

 

Concernant la communauté

Ce problème de continuité ou non de la communauté à notre avis n’existe plus aujourd’hui ; continuité jusqu’à un inventaire en bonne et due forme, ou à défaut jusqu’au décès de second époux, même si celui-ci se remarie; mais peut-être était-ce là les effets de la communauté de meubles et acquêts.

Sébastien Le Glay s’est marié deux fois ; deux fois avec contrat de mariage, et à chaque fois sous un régime de communauté : contrat du 15 juin 1699 et 29 janvier 1709 ; aujourd’hui, nous conseillerions fortement le régime de la séparation de biens pour le second mariage …

Lors de la liquidation de la succession de Sébastien Le Glay, il nous faudrait aujourd’hui distinguer :

-        La situation active et passive avant son premier mariage en 1699 : en biens propres du défunt

-        La situation au cours du premier mariage entre 1699 et 1701 : en biens communs de la 1ère Cté

-        La situation alors qu’il était veuf de 1701 à 1709 : en biens propres

-        La situation au cours du second mariage en 1709 : en biens communs de la 2ème Cté

Pour chacune de ces masses, les héritiers sont différents … soit les quatre enfants de Sébastien Le Glay, soit les trois enfants de Urbaine Dubois-Le Glay dont deux renoncent, soit Rose Gomme pour après elle ses trois enfants héritiers présomptifs.

Dans notre cas d’espèce, nous avons le sentiment qu’une seule masse, celle de la 1ère communauté se poursuit au cours du veuvage et puis du remariage pour être globalement partagée entre les différents héritiers.

 

Au final :

Notre premier article de 2001 et celui-ci, en réalité antérieur au précédent, sont un peu différents, mais aussi se complètent ; ils nous permettent d’en tirer quelques conclusions :

I – François Dubois a été, nous le savons désormais, tuteur de Jean et André Tesson, suite au décès de leur père et mère, Jean Tesson et Urbanne Dubois ; il en résultera une renonciation de leur part à la succession de leur mère, en faveur de Jeanne Leglay leur demi-sœur, dont François Dubois était également tuteur.

II – François Dubois était donc le tuteur de Jeanne Leglay ; celle-ci n’avait que quelques mois au décès de sa mère en 1701 ; mais dès 1707, François Dubois, associé à son frère Jacques indemnisent Jeanne dans la succession de sa mère pour 268 livres …

A partir de 1731, cet accord de 1707 sera contesté par le procureur Siméon-René Bocher qui vient d’épouser  Jeanne Leglay ; un jeune procureur puisque ses provisions pour exercer sont du 9 novembre 1730; le litige durera semble-t-il  jusqu’après 1763 ?

III – Le 12 mai 1706, à l’occasion d’un partage familial du 2 décembre ? 1706, consécutif au décès en 1704 de René Dubois père, Jean Dubois, le prêtre, cède ses droits successoraux, et indivis ?, à François Dubois.

A partir de 1722, cette cession sera contestée par Jacques Dubois, son jeune frère, puis suite à son décès en 1762 par son fils un Jacques Dubois également.   

 

Nous pouvons constater que les règles et les habitudes de droit ont depuis changé – nous sommes ici sous l’ancien régime – et avons à nouveau à déplorer la longueur des procédures …

 

                                                                                                                        Y.D.F.

 

PS : l’écriture des noms et prénoms est encore très variable ; nous avons aussi bien : Leglay et Le Glay, Dubois et Duboys mais aussi du Bois ou du Boys, Jeanne et Janne, Urbaine et Urbanne.