L’Ordonnance dite de Colbert sur les Eaux et Forets

 

-         les objectifs, les méthodes

-          

 

Résultat de recherche d'images pour "ordonnance colbert 1669"

 

Le 13 août 1669, un mardi, à Saint Germain en Laye, Louis XIV signe une ordonnance valant règlement général des Eaux et Forêts ; l’instigateur en est son ministre Colbert ; il agit dans le cadre d’une Réformation générale ; on parle d’un nouveau Code des Eaux et Forêts ou encore d’un Code Colbert.

 

Les objectifs

Les motifs de la réforme étaient nombreux :

-Protéger et restaurer la ressource en bois

-Améliorer la futaie, surtout celle de chênes

-Conserver les superficies forestières

-Fournir les matériaux nécessaires à la Marine pour sa construction navale

-Uniformisation des règles provenant du Moyen Age, en tout lieu et en tout temps

-Rassembler et clarifier les règlements anciens

-Affirmation du pouvoir royal, au-delà de tous droits hérités ou concédés

-Rétablir l’ordre après une longue période d’insurrections et de troubles

-Restreindre les abus, réorganiser les services des Eaux et Forêts

-Dans les forêts royales, établir un meilleur contrôle de la filière au moyen d’une nouvelle administration.

 

Le plan de l’Ordonnance

L’Ordonnance de 1669 est composée de Titres, au nombre de 32, eux-mêmes divisés en Articles. Après avoir défini « la Jurisdiction des Eaux & Forests », l’Ordonnance s’intéresse au personnel, depuis les « Officiers des maitrises » et « Grands Maistres », jusqu’aux greffiers ou Garde-marteaux. Elle s’intéresse ensuite aux grands événements qui touchent la vie d’une forêt, l’assiette des coupes, le « martelage », l’organisation de la glandée ou la vente de chablis (« Des Ventes et Adjudications des Panages, Glandées & Paissons »), de même que l’affouage. Le cas des bois « en grurie, Grairie, Tiers, & Danger » comme celui des « Bois appartenans aux Ecclésiastiques & gens de main-morte » ainsi que ceux « Des Bois, Prez, Marais, Landes, Pastis, Pescheries, & autres biens appartenans aux Communautés & Habitans des Paroisses ». Bien entendu les « Bois appartenans aux particuliers » ont également droit de cité. Les cinq derniers titres sont consacrés à la « Police et Conservation des Forests, Eaux & Rivieres », aux « Routes et Chemins Royaux és Forests & marchepieds des Rivieres ». Viennent ensuite deux titres sobrement intitulés « Des Chasses » et « De la Pesche ». Enfin, le dernier titre est consacré aux « Peines, amendes, restitutions, dommages, interests, & confiscations ».

 

Les principes généraux

Les principes généraux sont édictés, comme la création d'un plan d'aménagement avec la distraction d'un quart de la superficie en réserve, la coupe à blanc étoc du bois avec réserve de 16 baliveaux à l'arpent et un âge minimum d'abattage fixé à 10 ans. Avant tout abattage, le propriétaire doit demander une autorisation. Cette procédure permet à la marine de venir visiter la coupe pour réserver les bois au bénéfice de la construction navale. Ce règlement est d'abord celui des bois royaux, avant d'être étendu aux bois des particuliers comme à celui des communautés à partir de 1715.

 

 

 

Elancourt. Les Gros Chênes Dans La Forêt De Sainte Apolline. - Elancourt

 

Les méthodes sylvicoles

L’aménagement forestier peut être réalisé de diverses manières ; la réforme Colbert apporte des réelles nouveautés en la matière : voir ci-après :

 

Le quart de réserve de Colbert – ou en réserve – les défends -

Dans le but de limiter les coupes excessives et même les défrichements

Un quart de la forêt devait être laissé au repos, sans rien prélever …

Le nom de « quart en réserve » est souvent resté dans l’appellation des différents bois qui ont bénéficié de cette mesure

Une coupe ne se réalisait que de façon exceptionnelle, sur autorisation et avec des motivations spécifiques …

Le but était d’y conserver des bois de haute futaie et puis de préserver ainsi des ressources extraordinaires en cas de besoin.

Dès l’année 1561, il existait déjà une règle de mise en « réserve du tiers » des futaies.

 

Les opérations préalables

Préalablement à toute coupe, plusieurs opérations étaient nécessaires ; l’ordonnance les détaille :

-Le repérage des bornes, la délimitation des lieux

-Le mesurage avec plan et description exacte des différentes parties de la forêt (taillis ou futaie, réserve, triages destinés à la coupe avec leur date envisagée)

-La visite des lieux

-Déterminer l’âge de la coupe des arbres de futaies

-Déterminer l’âge de coupe du taillis

-Planifier les coupes

-Le marquage.

 

Les coupes réglées

Elles remplacent l’exploitation par pieds d’arbres, dénommé traitement fureté, où l’on choisit les plus beaux arbres pour laisser les bois de rebut.

Il est préconisé de ne pas couper en pleine sève.

 

La méthode du « tire et aire » : une coupe rase –tire- progressant de parcelle en parcelle ou triages –aire- ceci par rotation.

Ce système était favorable aux peuplements sur souches – chênes, châtaigniers … - , mais défavorable aux autres essences – sapins, hêtres … -

 

Le renouvellement des taillis

La loi fixa la révolution des taillis à dix années minimum ; mais la durée de révolution dépendait en fait des essences ; elle est laissée à l’appréciation du gestionnaire (en général 20 ans)

Avec obligation de réserver lors des coupes dix baliveaux par arpent, des portes-graines indispensables au renouveau futur. (environ 20 baliveaux à l’hectare)

Chaque année, en suivant le plan d'aménagement, une coupe à blanc est effectuée dans un des cantons. Son produit est partagé entre les ayants droit, c'est l'affouage. Le débardage se fait toujours du côté des anciens taillis.

 

Placer les taillis à l’orée des forêts

A cause des pillages, il fallait éloigner du regard les arbres de belle venue … Egalement des taillis aux endroits où les fonds ou les bois sont de mauvaise qualité.

 

Le régime de taillis sous futaie

En prescrivant de laisser dans chaque coupe, des arbres de réserve, l’on adoptait ainsi un régime de « taillis sous futaie » qui perdurera longtemps dans les bois et forêts.

 

L’autorisation de coupes

Pour les coupes de bois de futaie, une autorisation était nécessaire quand elles avaient lieu à 10 lieues de la mer ou à deux lieues des rivières navigables.

La mesure sera en 1723 étendue à tout le territoire.

Une demande d’autorisation existait déjà en 1537, sous François 1er pour les ventes de bois centenaires.

 

Le droit de préemption de la Marine

Les services de la Marine possèdent une priorité sur les ventes de grumes ; pour cela, une déclaration doit être faite six mois avant d’abattre aucun arbre de futaie.

Le service de la Marine peut alors effectuer une opposition en sa faveur et un martelage au moyen du marteau de la Couronne. Les arbres étaient dans ce cas enlevés (la vidange) et payés au gré de la Marine ; on parlait d’un droit de préemption future, avec une limite toutefois : dans l’année qui suivait une sommation officielle.

Le droit de préemption portait sur les arbres de plus de 15 décimètres de circonférence ; à l’exclusion de ceux situés dans des lieux clos attenants aux habitations.

Ce droit durera jusqu’au 19ème siècle avec le règlement du 1er mars 1757 et la loi du 9 floréal an 11 ; maintenu par Napoléon, puis par le code forestier de 1827 pour dix années (articles 122 à 135, 152 à 161 du code), il sera donc supprimé en 1837 pour les forêts des particuliers et en 1839 pour les forêts d’Etat ; dans la Marine, le fer puis l’acier commençaient à remplacer le bois, réservé à la mature …

 

La coupe rez-terre

Elle se pratique à la hache, au ras du sol ; la repousse des souches a lieu avec plus de vigueur ; la scie est rarement en usage car elle nuit à la repousse.

 

L’élagage au tiers de la hauteur

L’élagage, quand il sera possible, se fera au tiers de la hauteur et non plus au quart, pour favoriser la croissance et les dimensions du pied d’arbre.

Colbert condamne l’élagage tardif qui met en danger la vie même des arbres d’avenir

Il est donc interdit aux particuliers d’élaguer les arbres des forêts car ne pouvant se faire que de loin en loin, l’amputation des grosses branches occasionnerait de larges plaies et par la suite la perte des arbres.

 

Les droits d’usage des paysans sont réglementés.

Il s’agissait de remettre de l’ordre dans les forêts royales concernant les différents droits ou prétentions des villages riverains. Les forêts seront dites fermées (voir arrêt du Conseil du 15 octobre 1661). L’accès aux bestiaux est défendu.

Les mesures seront reprises dans le code forestier de 1827.

 

Privation du bois mort

Les habitants sont privés du bois mort pour le chauffage, des feuilles mortes utilisées pour les animaux dans les étables ou comme engrais, de bruyères et de genêts qui servent de fourrage, du pacage pour le bétail et de la cueillette des baies et fruits sauvages et de champignons .

La mesure sera reprise dans le code forestier de 1827.

 

Les sanctions pénales deviennent lourdes, et les infractions tarifées. Elles ne seront pas toujours appliquées.

 

Fichier:Arbres avec exemples d'éléments pour la construction navale fin XVIIIeme.jpg

 

Conclusion critique :

L’Ordonnance a ainsi permis la restauration en France de la haute futaie.

Les grandes forêts séculaires et irrégulières laissent la place à une forêt cultivée soit en futaie régulière soit en taillis sous futaie, beaucoup plus clair et facilitant des tiges droites et un houppier très haut.

Elle se révèlera idéale pour la sylviculture du chêne, mais totalement inadaptée aux peuplements de conifères qui ne rejettent pas sur souche ; de même, la coupe à blanc étoc a transformé la nature des peuplements forestiers en favorisant la pousse du chêne (essence photophile) .

Les futaies avaient été déconseillés par Colbert en bordure de forêt ; et pourtant la Marine les recherchait tout spécialement en lisière pour leur forme particulière (voir illustration ci-dessus)

Des règles uniformes dans tout le pays sont voulues par Colbert mais elles se révélèrent inadaptées à certaines régions (montagnes) et à certaines essences (résineux).

Du fait du droit de préemption de la Marine sur les forêts du royaume, certains chantiers navals préféraient importer des bois de l’Europe du Nord qu’ils se procuraient à des prix plus élevés .

Certains Parlements des provinces du sud – Besançon, Aix en Provence, Montpellier, Toulouse et Bordeaux – refusèrent l’enregistrement du texte par soucis de préservation de leur coutume.

 

 

                                                                                                                           Y. D. F.