… Droit de propriété … Un revirement majeur …

… en faveur des empiètements … relatifs à un domicile …

 

 

Dans le numéro 276 de VMF (novembre 2017), nous évoquions les empiètements d’une propriété sur une autre voisine, du fait de la pose d’un isolant extérieur sur un mur situé juste en limite de propriété. Jusqu’alors, quand il était bien établi que les travaux effectués empiétaient réellement et cela sans que le voisin n’ait donné son accord, la Cour de Cassation, en vertu du caractère absolu du droit de propriété prononçait la démolition.

Les articles 544 et 545 du code civil napoléonien sur la propriété individuelle tenaient bon !

Nous émettions des craintes sur les nouveautés de la loi française – la loi de transition énergétique – qui rendait l’isolation des habitations obligatoire et pouvait ainsi apporter une contradiction.

La faille du système jusqu’alors solidement établi, viendra d’un recours auprès de la Cour Européenne de Droits de l’Homme qui nous rappelle la portée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi conçu :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

La Cour de Cassation, 3ème chambre civile, dans son arrêt du 19 décembre 2019 – pourvoi n° 18-25113 – censure les juges du fond  pour avoir prononcé une démolition de construction pour empiètement sur un fond voisin, cela sans avoir recherché si la mesure de démolition prononcée par eux n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile du constructeur.

 

Cette décision n’est pas un arrêt d’espèce ou de circonstances, mais elle n’a pas non plus été rendue en assemblée plénière ; il s’agit manifestement d’un revirement ; « ne pas avoir recherché si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée » c’est déjà imaginer que la démolition puisse ne pas avoir lieu ; or, jusqu’à présent, la démolition était de règle …

Nous sommes désormais en présence de deux droits – celui de la propriété et celui du domicile ; en présence de deux textes – articles 544 du CC et 8 de la CEDH ; les premiers étaient jusqu’alors réputés prioritaires ; dorénavant, il faudra penser autrement … Il y avait un principe de droit sans exception, il y aura désormais des exceptions dont nous devrons apprécier la mesure …

 

Il faudra en premier lieu, pour reconnaitre quels sont  les empiètements « réputés autorisés », reprendre la jurisprudence sur le champ d’application du domicile de l’article 8 de la CEDH en examinant de près les limites du texte (domicile secondaire … annexes du domicile … etc); puis apprécier l’incidence de la bonne ou mauvaise foi du constructeur …

 

Il faudra aussi suivre de près la décision de la Cour de renvoi suite à l’arrêt du 19 décembre dernier, et par la suite les orientations que prendra sur ce même point la Cour de Cassation.

 

La doctrine réclamait assez régulièrement une certaine reconnaissance de l’empiètement, mais à vrai dire sans en fixer les modalités ou les proportions (quelques centimètres … construction à cheval …) ; fin 2008, l’avant-projet de réforme du droit des biens émanant de l’association Henri Capitant proposait déjà de consacrer la notion d’empiètement de façon à lui appliquer des règles objectives ; désormais, nous y sommes ; l’évolution provient, comme cela arrive souvent, de décisions judiciaires sur des textes européens ; désormais, les sollicitations de reconnaissance judiciaire vont sans doute affluer, que nos juridictions civiles vont devoir gérer. A présent, les empiètements, du moins certains d’entre eux, font partie de notre droit positif …