Le droit à l’image des biens

(rappel de la jurisprudence – source Légifrance)

 

Le droit sur un bien comprend différentes prérogatives en faveur du propriétaire, dont le droit à l’image de ce bien ; mais qu’elle est donc l'étendue de ces droits concernant cette image ? …

 

I - Le droit à l’image est essentiellement attaché à la personne elle-même, à sa vie privée, mais aussi par extension à son domicile, ses lieux de résidence, autant les façades que les intérieurs ou le jardin … ceci en référence à l’article 9 du code civil.

A - Cour de Cassation 2ème chambre du 5 juin 2003 – pourvoi numéro 02-12853 sur Cour d’appel de Bordeaux du 9 janvier 2002

Attendu que la société du Figaro fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser des dommages-intérêts à M. Nicolas X... pour atteinte à sa vie privée par la publication d'une photographie de sa résidence au Cap-Ferret, alors, selon le moyen :

1 / que l'atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du Code civil suppose l'existence d'une référence ou d'une allusion à la vie privée de la personne qui entend s'en prévaloir ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué estime que la publication de la photographie de la façade extérieure d'une résidence secondaire, de style colonial ou Louisiane, prise depuis le domaine public maritime avec la légende « villa de la famille X..., au Cap-Ferret, près de l'embarcadère de Bélisaire » pour illustrer un article consacré aux ressources touristiques de la région du Bassin d'Arcachon est une atteinte à la vie privée de M. Nicolas X..., au motif que le document est accompagné du patronyme de son propriétaire et de la localisation précise du lieu de l'immeuble ; qu'en se déterminant ainsi sans préciser en quoi il a été porté atteinte à la vie privée de M. Nicolas X... par la révélation de faits ayant le caractère d'intimité pour celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

2 / que seule l'exploitation commerciale de l'image d'un bien sans le consentement de son propriétaire porte atteinte à son droit d'usage et de jouissance ; qu'il n'y a pas de droit du propriétaire sur l'image de son bien ; qu'en l'espèce, l'arrêt estime que la publication de cette photographie porte non seulement atteinte à la vie privée de M. Nicolas X..., mais également à ses prérogatives de propriétaire, au motif que "le droit à l'image" est "un attribut du droit de propriété" ; qu'en se déterminant ainsi sans préciser en quoi il était porté atteinte au droit d'usage et de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 544 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a justement retenu que la publication dans la presse de la photographie de la résidence de M. X..., accompagnée du nom du propriétaire et de sa localisation précise, portait atteinte au droit de M. X... au respect de sa vie privée ; qu'ainsi, abstraction faite du motif, erroné mais surabondant, selon lequel le "droit à l'image" serait un attribut du droit de propriété, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs rejette le pourvoi …

B - Cour de Cassation 1ère chambre civile du 7 novembre 2006 - N° de pourvoi: 05-12788 :

« Le droit de chacun au respect de sa vie privée s'étend à la présentation interne des locaux constituant le cadre de son habitat et, d'autre part, l'utilisation faite des photographies qui en sont prises demeure soumise à l'autorisation de la personne concernée … »

II – Le droit à l’image est aussi et tout de même un attribut du droit de propriété, en référence à l’article 544 du code civil.

A – Cour de cassation 1ère chambre civile du 10 mars 1999 - N° de pourvoi: 96-18699 - affaire concernant le café Gondrée, situé à Bénouville, à proximité directe du Pegasus Bridge -

« Vu l'article 544 du Code civil »

« Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit »

« Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire »

« Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé »

« Par ces motifs, casse et annule … »

B - Cour de Cassation Assemblée Plénière du 7 mai 2004 – pourvoi numéro 02-10450 sur Cour d’appel de Rouen du 31 octobre 2001 - affaire concernant l’hôtel de Girancourt à Rouen :

« Aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements" ; Que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement »

« En énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il appartenait à l'exposante de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser le préjudice, la Cour d'appel  a violé l'article 544 du Code civil »

« Par ces motifs, casse … »

 

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Photographie Eugène Atger, Hotel Girancourt 48 rue Saint-Patrice Rouen 1907 – B.M. ROUENEugène Atget, Hôtel Girancourt: 48 rue Saint-Patrice, 1907, Bibliothèque municipale de Rouen, Est. rec. m 171-05Eugène Atget, Hôtel Girancourt: 48 rue Saint-Patrice, 1907, Bibliothèque municipale de Rouen, Est. rec. m 171-05Eugène Atget, Hôtel Girancourt: 48 rue Saint-Patrice, 1907, Bibliothèque municipale de Rouen, Est. rec. m 171-05Eugène Atget, Hôtel Girancourt: 48 rue Saint-Patrice, 1907, Bibliothèque municipale de Rouen, Est. rec. m 171-05


C - Cour de Cassation 1ère chambre civile du 5 juillet 2005 - N° de pourvoi: 02-21452 sur Cour d’appel de Paris du 19 février 2002 (l’appel ne figure pas sur Legifrance).

« Selon l'arrêt attaqué que la société Flohic éditions a publié, dans un tome d'une collection intitulée "Le patrimoine des communes de France", la photographie d'une maison du XVIIIe siècle, accompagnée de précisions localisatrices, historiques et architecturales ; que Mlles Marie-Laure et Marie-France X..., soeurs et copropriétaires de l'immeuble, dont le consentement préalable à l'utilisation de cette image n'avait pas été sollicité, ont assigné ladite société en dommages-intérêts »

« Les soeurs X... font grief à la Cour d'appel d'avoir rejeté leurs prétentions, alors que, selon le moyen, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, le propriétaire ayant seul le droit d'exploiter son bien sous quelque forme que ce soit, et que l'exploitation du bien par un tiers, sous la forme de photographie, porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire et qu'en décidant du contraire la Cour d'appel a directement violé l'article 544 du Code civil »

« Mais attendu que le propriétaire d'une chose, qui ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci, ne peut s'opposer à l'utilisation du cliché par un tiers que si elle lui cause un trouble anormal »

« Que la Cour d'appel, qui a relevé que les soeurs X... ne versaient pas aux débats le moindre élément propre à établir que la reproduction litigieuse perturbait leur tranquillité et intimité ou que les indications de situation géographique, non critiquées par le moyen sous l'angle de la vie privée, permettaient de redouter en l'espèce un trouble quelconque, a ainsi légalement justifié sa décision »

« Par ces motifs, rejette le pourvoi … »

D – Cour de cassation chambre commerciale le 31 mars 2015 - N° de pourvoi: 13-21300 – Affaire concernant le Moulin Rouge et l’édition du Tertre -

« Attendu que les sociétés Moulin rouge et Bal du Moulin rouge font grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société Bal du Moulin rouge en réparation du trouble anormal porté à sa propriété alors, selon le moyen, que le propriétaire d'une chose, s'il ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci, peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ; qu'en l'espèce, en écartant les prétentions de la société Bal du Moulin rouge au titre du trouble anormal causé à sa propriété, aux motifs inopérants tirés de l'absence de risque de confusion, d'acte contraire à l'exercice loyal du commerce, ou de profit indûment tiré de l'image du Moulin rouge, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si un trouble anormal ne résultait pas de la reproduction sur des supports de qualité médiocre, trousse d'écolier, tapis de souris et dessous de verre, de la façade du Moulin rouge qui avilissait l'image de ce célèbre cabaret parisien et la dépréciait dans l'esprit du public, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 544 du code civil »
« Mais attendu qu'en relevant qu'aucun préjudice n'était résulté de la reproduction du Moulin rouge parmi les principaux monuments et lieux touristiques de Paris, la cour d'appel a fait ressortir que n'était pas caractérisé un trouble anormal au droit de propriété de la société Bal du Moulin rouge ; que le moyen n'est pas fondé »
« Par ces motifs, rejette le pourvoi … »

Note : Dans la décision du 7 mai 2004, la Cour considérait qu'exploiter l'image de son bien était une émanation du droit de jouir de la chose ; elle se basait alors sur le droit de propriété pour protéger l'image du bien. Dans la décision du 31 mars 2015, il est plutôt question de caractériser et de mesurer un trouble anormal au droit de propriété.

III – Toutefois, le droit à l’image peut aussi appartenir à l’auteur d’une œuvre, étant alors en situation de concours avec une propriété intellectuelle.

L’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle indique que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. ». Ainsi, l’auteur d’une œuvre a tous les droits sur cette dernière dont ceux de la donner ou la vendre, la prêter ou la louer.

Ce texte peut concerner les architectes, les paysagistes, et aussi les architectes-décorateurs – CA de Versailles 15 novembre 2001 - ou les photographes – TGI de Paris chambre civile 3 du 16 octobre 2007 numéro de RG 06/12071 –

 

Telles sont les dispositions essentielles concernant le droit à l’image des biens.

                                                                                                                                                                                   Y.D.F.