En sylviculture, les notions de coupe réglée,

exploitation régulière et forêt aménagée

 

 

En forêt, les notions de coupes réglées ou bien d’exploitation régulière ou encore de forêt aménagée sont d’usage courant mais de définitions assez imprécises, pouvant faire l’objet d’appréciations très différentes, voire divergentes, notamment entre administration et administrés, entre vendeurs et acquéreurs, entre usufruitiers et nu-propriétaires, également entre sociétaires.

Essayons de dresser l’état de la réglementation qui évoque ces différentes notions, pour ainsi tenter de mieux comprendre et peut-être clarifier …

 

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Les différentes notions :

 

Une coupe réglée désigne une pratique d'exploitation de bois en forêt par abattage périodique d'une portion de bois déterminée ;

La mise en coupes réglées correspond à une méthode particulière d’exploitation procédant à une série de coupes qui se succèdent les unes aux autres de façon régulière, de proche en proche, par rotation, en allant préférentiellement à l’encontre des vents dominants ; elle est d’inspiration colbertienne, appliquée depuis longtemps sur le taillis, elle sera aussi préconisée pour la futaie régulière.

La coupe réglée ne doit pas être confondue avec la coupe ordinaire ou la coupe autorisée ; la coupe ordinaire a pour opposé la coupe extraordinaire ; le contraire de la coupe autorisée sera la coupe illégale.

Une exploitation régulière correspond à une série de coupes périodiques faites dans un cadre durable de ménagement de la ressource, évitant l’appauvrissement pour pouvoir se renouveler ; les coupes elles-mêmes sont appelées régulières, parfois usagères.

Une forêt aménagée correspond à une futaie ou un taillis sous futaie soumis à des coupes réglées : son opposé est la forêt non aménagée, celle donc non soumise à de telles coupes réglées.

 

L’application dans les textes :

 

Le code civil :

 

La distinction entre les actes d’administration et les actes de disposition

*Article 504 : le tuteur accomplit seul … les actes d’administration nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée.

Concernant la forêt, quelles notions rattachent-on aux actes d’administration : les coupes ordinaires ou régulières, soit les coupes réglées … Mais comment traiter l’adoption du plan d’aménagement qui permet de procéder à de telles coupes ?

*Article 505 : le tuteur ne peut, sans y être autorisé …, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée.

Ici, quelles notions rattachent-on aux actes de disposition : les coupes extraordinaires, mais peut-être aussi les coupes irrégulières …

           

La distinction entre les meubles et les immeubles

*Article 521: Les coupes ordinaires des bois taillis ou de futaies mises en coupes réglées ne deviennent meubles qu’au fur et à mesure que les arbres sont abattus.

Attention, les arbres destinés à être abattus, même de haute futaie, peuvent par ailleurs être considérés comme des meubles par anticipation (avant même qu’ils ne soient abattus !) ; mais, cela ne s’appliquera qu’aux arbres non soumis aux dispositions de l’article 521 !

 

Le droit de propriété des plantations – Le sort des plantations réalisées a non domino (par exemple par un locataire)

*Articles 552 et suivants – La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations … qu’il juge à propos …

Ici, aucune distinction selon la nature des plantations, par exemple taillis ou futaie : ce sont des immeubles par nature ou par accession ; seule exception, les arbres en pot ou les arbres en pépinière.

*Article 555 sur les indemnités dues au planteur de bonne foi – voir également l’article L 411-69 du code rural sur les indemnités dues au fermier en fin de bail ; à l’inverse, il y a aussi les indemnités dues par le locataire au bailleur pour coupe abusive ;

Ici, aucune distinction non plus ; nous sommes plutôt sur le terrain de l’expertise (plantation indemnisable ou coupe abusive préjudiciable) et de la jurisprudence au cas par cas.

 

Les droits de l’usufruitier et ceux du nu-propriétaire - La distinction entre les fruits et les produits :

*Article 578 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804 

L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance (exploitation durable).

Les prérogatives du droit de propriété sont l’usus, le fructus et l’abusus … seuls les deux premiers sont à l’usage de l’usufruitier.

*Article 590 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804

Si l'usufruit comprend des bois taillis, l'usufruitier est tenu d'observer l'ordre et la quotité des coupes, conformément à l'aménagement ou à l'usage constant des propriétaires ; sans indemnité toutefois en faveur de l'usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux, soit de futaie, qu'il n'aurait pas faites pendant sa jouissance.

Les arbres qu'on peut tirer d'une pépinière sans la dégrader ne font aussi partie de l'usufruit qu'à la charge par l'usufruitier de se conformer aux usages des lieux pour le remplacement.

*Article 591 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804

L'usufruitier profite encore, toujours en se conformant aux époques et à l'usage des anciens propriétaires, des parties de bois de haute futaie qui ont été mises en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu'elles se fassent d'une certaine quantité d'arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine.

*Article 592 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804

Dans tous les autres cas, l'usufruitier ne peut toucher aux arbres de haute futaie : il peut seulement employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre s'il est nécessaire, mais à la charge d'en faire constater la nécessité avec le propriétaire.

*Article 593 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804

Il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l'usage du pays ou la coutume des propriétaires.

*Article 594 - Créé par Loi 1804-01-30 promulguée le 9 février 1804

Les arbres fruitiers qui meurent, ceux mêmes qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l'usufruitier, à la charge de les remplacer par d'autres.

 

La situation de l’usufruit portant sur une forêt non aménagée :

Dans une coupe de futaie ou de taillis sous futaie non soumise à des coupes réglées (ce qui correspond à l'expression technique de forêt non aménagée en fait) sauf le droit aux chablis ou à quelques bois d'oeuvre limités aux besoins du domaine, l'usufruitier ne peut tirer aucun produit de la futaie. Il a seulement le droit de jouir de l'ombrage de ses arbres et du plaisir de les regarder pousser. C'est ce que nous appelons le « droit à l'ombre » (O. de Grandcourt)

Dans ces conditions, comment gérer les coupes d’éclaircie ou de bois dépérissant faites par l’usufruitier dans un but d'amélioration du peuplement dans une forêt non aménagée, et aussi bien les coupes extraordinaires ou intenses faites par le nu-propriétaire en vue de la régénération dans les forêts aménagées ; dans les deux cas, à qui appartient la coupe ? Qui peut l’autoriser ou bien l’interdire ?

Une solution est possible, si l’on veut bien admettre que la coupe attribuée en totalité au nu-propriétaire correspond à une anticipation sur ses droits. Elle équivaut à une faveur accordée par l’usufruit de son vivant ce qui alors mériterait pour lui une indemnité. Les professionnels préconisent dans ce cas le partage des produits de la coupe entre nu-propriétaire et usufruitier selon une table établie en fonction de l’âge de ce dernier – voir en annexe -

Dans tous les cas, le non-respect des règles de droit, par exemple l’encaissement d’une coupe par une personne autre que le véritable bénéficiaire, pourrait avoir des conséquences aussi bien civiles que fiscales.

 

Le code forestier : on y retrouve à plusieurs reprises les notions de coupes réglées ou d’exploitation régulière :

 

Concernant les forêts de protection :

*Article R 141-19 et svts

Le propriétaire de bois et forêts classés comme forêt de protection et ne relevant pas du régime forestier peut faire approuver un règlement d'exploitation résultant soit d'un usage constant, soit d'un aménagement régulier.

 

Concernant les bois et forêts relevant du régime forestier (Etat et collectivités …) :

*Article L 211-1

Les bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités et établissements publics … relèvent du régime forestier.

            Seuls ces bois d’exploitation régulière relèvent donc de la gestion de l’Office National des Forêts.

*Article D 156-6

Les collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 ne peuvent bénéficier d'aides publiques attribuées par l'Etat ou pour son compte que si le régime forestier est appliqué à leurs bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution.

*Article L 213-5

Dans les bois et forêts de l'Etat, toute coupe non prévue par un document d'aménagement approuvé doit être autorisée par le ministre chargé des forêts, à peine de nullité des ventes.

*Article R 213-21 - Créé par Décret n°2012-836 du 29 juin 2012 - art. (V)

Pour l'application de l'article L. 213-5, sont considérées comme réglées par un aménagement :

1° Les coupes conformes à un document d'aménagement qui en a fixé la nature et l'emplacement, dès lors que leur exécution a lieu au cours de la période prévue par ce document ou n'est ni avancée ni reportée d'une durée excédant le délai fixé par arrêté du ministre chargé des forêts (5 ans – voir l’arrêté ci-après) ;

2° Les coupes conformes à un règlement type de gestion mentionné à l'article D. 212-9 ;

3° Les coupes conformes à un usage constant, s'agissant de taillis et de taillis sous futaie, dans les parties de bois et forêts non couvertes par un document d'aménagement ou un règlement type de gestion.

*Article R 213-22 - Créé par Décret n°2012-836 du 29 juin 2012 - art. (V)

Les coupes autres que celles mentionnées à l'article R. 213-21 sont considérées comme non réglées au sens de l'article L. 213-5 et requièrent l'autorisation du ministre chargé des forêts.

(ces deux articles R 213-21 et 22 correspondent aux anciens articles L 133-2 et R 133-10)

 

*Arrêté du 2 juillet 2004 relatif à la définition des coupes réglées :

Vu l'article R. 133-10 du code forestier (aujourd’hui R 213-21 ci-dessus),

Article 1 - Le délai maximal prévu à l'alinéa a de l'article R. 133-10 du code forestier pour considérer une coupe comme réglée est de cinq ans.

Ce délai s'applique par rapport à l'année d'exécution prévue de la coupe. Si la coupe est programmée sur une période pluriannuelle, ce délai s'applique par rapport à l'année médiane de cette période.

Article 2 - En l'absence de précision sur l'année ou la période de réalisation d'une coupe dans le document d'aménagement, le délai s'applique à l'année médiane de la durée de l'aménagement forestier.

 

*Instruction technique du 23 décembre 2015 sur l’ajournement des coupes.

 

Concernant les bois et forêts des particuliers :

*Article R 312-12 - Créé par Décret n°2012-836 du 29 juin 2012 - art. (V)

Sont considérées comme coupes extraordinaires soumises à l'autorisation préalable du centre régional de la propriété forestière :

1° Les coupes qui, à l'exception de celles prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 312-5, dérogent au programme fixé par le plan simple de gestion soit par leur nature, soit par leur assiette, soit par leur époque, soit par leur quotité ;

2° Les coupes effectuées dans les conditions prévues à l'article R. 312-9.

Lorsqu'une coupe extraordinaire est liée à un projet de défrichement autorisé en application des articles R. 341-1 et suivants, elle est dispensée de l'autorisation pour la superficie objet du défrichement.

*Article R 312-13 - Créé par Décret n°2012-836 du 29 juin 2012 - art. (V)

Le propriétaire qui désire procéder à une coupe extraordinaire définie à l'article R. 312-12 en informe, par tout moyen permettant d'établir date certaine, le centre régional de la propriété forestière dont il relève en motivant sa demande. Il ne peut procéder à la coupe sollicitée qu'après l'autorisation du centre.

Le centre, dans un délai de six mois :

1° Soit autorise la coupe qui constitue un acte de gestion conforme tant aux règles d'une sage gestion économique qu'au schéma régional de gestion sylvicole ;

2° Soit subordonne son autorisation à des modifications pouvant porter sur la nature, l'assiette, l'époque ou la quotité de la coupe ainsi qu'à l'exécution de travaux ultérieurs de repeuplement et d'entretien à réaliser dans un délai déterminé ;

3° Soit refuse son autorisation.

Le propriétaire peut, dans le délai d'un mois après la notification de la décision par le centre régional de la propriété forestière, former une réclamation auprès du ministre chargé des forêts.

 

Le code rural : ce code édicte de nombreux points concernant les bois et forêts, mais il ne traite pas de notre sujet sur les différentes natures de coupes, d’exploitations ou de forêts …

 

Les coutumes ou usages locaux (ici, ceux de Seine-Maritime - 76) :

La coupe des bois-taillis doit se faire tant pour l’usufruitier que pour le fermier, suivant l’ordre et l’âge adoptés par le propriétaire.

Le fermier doit pour l’exploitation des taillis se conformer aux usages : à 9, 12, 15 ou 18 ans selon la qualité du sol : les aménagements s’en font par coupes égales au nombre de ces périodes.

L’élagage des taillis se fait par l’usufruitier seulement.

L’usufruitier ne peut invoquer l’usage de faire du pelard pour les bois qui n’y étaient pas soumis par le propriétaire.

On doit laisser dans les taillis des baliveaux de graine ou à défaut de souche, en nombre suffisant …

Les arbres de haute futaie, qu’ils soient sur des fossés en élévation ou plantés en massif ou en avenues, ne sont soumis à aucune coupe réglée : par suite, l’usufruitier n’y a aucun droit.

Si les arbres de haute futaie sont aménagés par coupes réglées, celles-ci auront lieu à coupe blanche ou en coupe noire (autrement dit en déracinant) dans les bois-taillis ; à coupe blanche jusqu’à 60 ans et en déracinant les autres arbres plus âgés.

Les produits annuels ou périodiques reviennent à l’usufruitier (voir l’article 593 du code civil)

Les produits annuels sont l’émondage et l’enlèvement des bois secs.

Les produits périodiques sont l’élagage et l’ébranchage.      

 

L’usage des lieux :

A plusieurs endroits, nous avons fait état de l’usage des propriétaires ou des lieux, concernant les coupes usagères, la durée de rotation des coupes, la perception des produits de la forêt, etc … encore faut-il les connaître et en conserver les traces …

 

Conclusion : A notre avis :

*les coupes réglées ne correspondent qu’à un système d’exploitation préconisé par Colbert, ignorant les autres systèmes correspondants par exemple à des peuplements irréguliers ou jardinés ; ce terme ne peut donc être à l’usage du législateur pour l’ensemble de sa règlementation.

*les coupes ordinaires sont celles auxquelles on procède régulièrement, dans le cadre d’une exploitation donc régulière à l’intérieur d’une forêt dite aménagée :

En abrégé : coupes ordinaires + coupes régulières = exploitation régulière = forêt aménagée

Le législateur appelle forêt aménagée, celle qui possède un document de gestion ; il appelle coupes autorisées, mais aussi bien coupes réglées, celles prévues dans le document de gestion.

*les coupes extraordinaires sont pour le législateur celles qui ne sont pas prévues au document de gestion, celles donc qui devront obtenir une autorisation spéciale.

*les forêts non aménagées sont pour le législateur celles qui ne possèdent pas de document de gestion ; dans le langage courant, ce sont les forêts qui ne font l’objet d’aucune coupe régulière ; on parle aussi de forêt inexploitée.

*les coupes illégales sont celles qui ont été exécutées, bien que ne figurant pas dans le document de gestion et n’ayant pas été spécialement autorisées.

 

Toutes ces notions emploient un langage alternatif (blanc-noir) pour qualifier des situations pas toujours aussi tranchées sur le terrain ; elles requièrent donc de notre part précision et usage prudent.

 

                                                                                                             Yves Duboys Fresney

Sources :

Legifrance : code civil et code forestier

Code des usages locaux

O de Grandcourt : « L’usufruit des futaies non aménagées »

Véronique Legrand : « L’usufruit en forêt »

 

Annexe :

1)      -Le barème fiscal de l’article 669 du CGI :

 

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2)      - La valeur économique de l’usufruit (source Fidroit) :

 

Usufruitier : un homme

Âge     3 %       4 %       5 %        6 %

50 ans 56,24 % 66,59 % 74,44 % 80,39 %

60 ans 44,51 % 54,23 % 62,18 % 68,69 %

70 ans 31,88 % 39,91 % 46,94 % 53,08 %

80 ans 19,57 % 25,10 % 30,20 % 34,91 %

90 ans 10,57 % 13,77 % 16,84 % 19,76 %

 

Usufruitier : une femme

Âge     3 %       4 %       5 %        6 %

50 ans 63,52 % 73,76 % 81,07 % 86,30 %

60 ans 52,43 % 62,69 % 70,67 % 76,89 %

70 ans 38,90 % 47,99 % 55,66 % 62,14 %

80 ans 24,14 % 30,69 % 36,63 % 42,00 %

90 ans 12,14 % 15,78 % 19,24 % 22,52 %

 

3)      - L’ancienne table de Foiret :

 

A 20 ans, l'usufruit est estimé à 717,75 millièmes et la nue-propriété à 182,25

A 30 ans,                             — 773,34                                           — 226,66

A 40 ans,                             — 702,29                                           — 297,71

A 50 ans,                             — 601,56                                           — 398,44

A 60 ans,                             — 472,02                                           — 527,98

A 70 ans,                             — 326,90                                           — 673,10

A 80 ans,                             — 191,51                                           — 808,49