A Fécamp, le grand jardin de la mer
L’estran, la zone de marnage, le rivage, la grève, la plage, la rocaille …
Quel nom donner à cet espace situé entre les basses et les hautes mers, alternativement découvert puis recouvert, deux fois par jour environ ! Les deux appellation de notre enfance étaient la plage et la rocaille …
Mais, serait-t-il exagéré de parler ici de jardin, de « jardin maritime » ? Au niveau étymologique, sans doute pas, car « jardin » vient de « garden » qui lui-même vient du scandinave « gard » ou enceinte ; un jardin est une enceinte existant autour de la maison ; autrement, un « Fisigard » ou « fish-gard » est une pêcherie, une enceinte pour poissons, dénommée plus simplement « gard » en danois ; dans un acte de l’an 1030, on retrouve l’indication d’un « Fisigard » à Dieppe.
Autre point de rapprochement avec le jardin, c’est l’usage que l’on fait des lieux, soit le loisir comme dans un jardin d’agrément, soit la production alimentaire comme dans un jardin ouvrier ; et dans un système plus élaboré, le jardin est souvent divisé en deux parties, l’une fleurie et l’autre maraichère, ici nous avons la plage d’une part et la rocaille d’autre part.
Entre ville et mer, la plage avec les bains de mer
Pendant tout le Moyen-Age, Fécamp, malgré son caractère maritime, fait dos à la mer, protégée des flots par un cordon de galets et occupée seulement par les installations des garde-côtes ou bien des corderies.
Puis, l’homme, lors d’un renouveau de lui-même, comme s’il se retournait, porte une attention nouvelle sur le front de mer ; il y exerce sa curiosité naissante en observant les minéraux, les plantes et les animaux marins ; Georges Cuvier y débute ses recherches zoologiques et biologiques en confectionnant un herbier ; les écrivains-voyageurs circulent de plages en plages en empruntant les routes côtières ; les peintres comme Berthe Morisot, Claude Monet, Louise Abbéma, Ludovic de Saint-Edme, Albert Marquet et bien d’autres se succèdent à Fécamp pour y mettre la nature en « paysage » [1] ; tous sont attirés par le rivage ; le front de mer est urbanisé, les villas apparaissent, le perrey est transformé en digue-promenade ; le port enregistre les premiers navires de plaisance.
La plage de galets, autrefois simple zone d’échouage, devient très fréquentée ; l’on se baigne, s’expose, se promène pour regarder mais aussi y être regardé. Les principales distractions étaient les bains de mer et les jeux du casino [2] .
Entre falaise et mer, la rocaille avec la pêche à pied
La pêche à pied est un type de pêche qui se pratique sur toutes les grèves en bord de mer, principalement à marée basse ou en eau peu profonde. Elle consiste en la capture, à la main ou à l'aide d'outils, de crustacés ou de mollusques, destinés à la consommation humaine.
Les méthodes les plus courantes sont l’utilisation d’outils de type râteau ou tisonnier pour déterrer les crabes, surtout les tourteaux ou « dormeurs » et les étrilles, enfouis sous les rochers durant la marée haute ; pour pêcher les crevettes ou bouquets, le pêcheur ira soit dans l'eau, au flot, soit au bord des gorges en utilisant une épuisette ou une balance que l’on nomme ici « lanet » ; il y avait aussi la récolte des moules et des bigorneaux ou « vigneaux ».
Les grandes marées étaient et sont toujours très favorables à cette activité, les zones à marée très basse étant alors plus rarement découvertes.
Autrefois, la pêche à pied représentait pour certains, les estivants, une distraction, mais pour d’autres que l’on pourrait appeler les « paysans de la mer », une vraie nécessité alimentaire ; dans les quartiers maritimes, les enfants, avec un seau à la main ou une hotte sur le dos, faisaient le porte-à-porte, ils proposaient moyennant quelques pièces leur récolte journalière de crevettes ou de bigorneaux.
Le grand intérêt était que cette activité se réalisait de façon informelle, sans règlement particulier, avec seulement quelques règles de bonne conduite et de précaution au moment de la marée montante ; il y avait de la place pour tout le monde, les étendues étaient suffisamment importantes ; les estivants ou amateurs ne s’éloignaient pas trop des plages et puis par mauvais temps ou l’hiver disparaissaient …
D’après les textes, aucune déclaration préalable n’est nécessaire pour se livrer habituellement à la pêche à pied sur les rivages de la mer, alors même qu’elle ne nécessite pas l’occupation d’un emplacement déterminé (décrets du 4 juillet 1853, du 19 novembre 1859, du 10 mai 1862) ; seuls les filets fixes devaient être autorisés.
Le préfet étant responsable des risques sanitaires sur les lieux publics peut en interdire la pratique, ou seulement le prélèvement et la consommation de quelques espèces particulières.
Autrefois, les pêcheries
Les pêcheries étaient des installations provisoires ou fixes, soit des pièges à poissons composés de filets étendus sur des piquets de bois, soit des barrages à poissons constituées de longs murets faits de pierre sèche ou de bois entrelacés, posés en fascines .
Très souvent, les pêcheurs complétaient les installations par les lignes de fonds ou des nasses.
L’idée était de retenir le poisson à la marée descendante dans des installations qui filtrent l’eau mais pas ses occupants ; dans certains systèmes simples, la zone de capture n’est pas formalisée et le poisson est seulement prélevé à basse mer à l’arrière d’un muret de pierres ou d’une haie végétale ; dans d’autres plus élaborés, le principe est de contraindre le poisson à emprunter un passage étroit dans lequel il sera pêché au moyen d’un instrument mobile de type filet emmanché ou à se diriger vers un piège, une nasse, d’où il ne pourra s’échapper.
Les pêcheries en V ou en entonnoir constituent la forme de barrage la plus commune, mais elles peuvent prendre des formes très variées, plus ou moins complexes, et faire appel à une grande diversité de matériaux. Le barrage peut par exemple être constitué de filets suspendus ou de simples matériaux végétaux, en général du noisetier, composé d’une ou de plusieurs lignes de pieux portant des branches de clayonnage ou un panneau mobile de clayonnage. Lorsqu’il est construit en pierres, il peut former une digue de hauteur variable selon la configuration des lieux jusqu’à constituer de véritables « écluses ».
Au Moyen-Age, les seigneurs du littoral accordaient couramment aux pêcheurs des concessions d’une partie de grève, moyennant rentes. Les abbés et religieux de Fécamp se disait jouir des droits de Varech, marais, alluvion, pêcherie et de toute autre droiture, justice, vicomté et juridiction des Eaux. Toutes les pêcheries à tous poissons sur le cours de la Seine appartenaient au Vicomté de l’eau de Rouen ; sinon elles étaient aux différentes abbayes qui longent le fleuve, Boscherville, Jumièges, Boscherville, Valasse.
L’article 194 de la coutume de Normandie stipule : « Tout seigneur Féodal a droit de varech à cause de son fief, tant qu’il s’étend sur la rive de la mer » ; concernant les pêcheries, la situation va évoluer.
Un peu plus tard en effet, le pouvoir royal s’affermissant, les « frontières des mers » furent considérées comme un espace du domaine royal ; « il y a des choses publiques qui appartiennent spécialement au Roi : parmi elles, le rivage de la mer ». L’ordonnance de la Marine de Colbert, dans son livre V, le définit comme étant « tout ce que la mer couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu’où le grand flot de Mars se peut étendre sur les grèves. La pêche de la mer est libre à tous les sujets du Roi. »
Une déclaration du Roi donnée à Versailles le 18 mars 1727 réglemente les pêches à pied et tentes à la basse eau sur les côtes des provinces … de Normandie. Pour posséder une pêcherie, il fallait une concession du Roi ; ainsi disparurent les rentes seigneuriales sur les pêcheries ; en fait, les concessions ne furent que rarement accordées ; vers 1740, les commissaires du Roi obtenaient en justice la destruction de nombreuses pêcheries en plusieurs endroits de France ; on disait alors qu’elles concurrençaient trop les autres pêches et étaient dangereuses pour la navigation ; autrement, s’il fallait leur être favorable, on disait qu’elles venaient compenser les crises économiques quand celles-ci survenaient sur les activités agricoles.
La Révolution de 1789 apporte une plus grande liberté d’installation mais aussi des conflits de compétence entre les administrations (Marine, Ponts et Chaussées, Municipalités …). On a parlé alors de la « bataille des pêcheries » avec des pétitions, des blocages, des révoltes même et des procès …
Les pêcheries seront par la suite plus strictement encadrées, par un décret du 4 juillet 1853 portant règlement de la pêche maritime côtière, qui notamment interdit les constructions en dur ; la première guerre mondiale interrompt toute activité ; un arrêté ministériel du 24 mai 1965 interdit toute création et renouvellement de pêcherie ou d’écluses à poissons en bois ou en pierre ainsi que tout transfert de ces mêmes pêcheries ou écluses soit entre vifs soit par décès ; un décret du 25 janvier 1990 confirme l’interdiction.
Localement, il y avait les parcs à poissons de Dieppe, ou les parcs à huitres d’Etretat, Fécamp, Dieppe, Le Tréport. Le quartier maritime accordait un bail pour l’amodiation d’une partie de plage … Les concessions disparurent aussi bien par résiliation que par non renouvellement volontaire, la pêche devenait moins miraculeuse qu’autrefois …
Aujourd’hui encore, en allant vous promener sur l’estran, vous y trouverez des murets, des restes de maçonnerie, d’anciens bassins, des barrages en forme entonnoirs qui représentent les derniers restes de cette activité côtière d’autrefois.
Conclusion
A Fécamp, au fond de la vallée, la plupart des habitants avaient l’usage de jardins dits « potagers » qui répondaient aux besoins alimentaires de la population, mais en front de mer, il y en avait un où l’on récoltait aussi bien les produits de la nature, ceux en provenance de la mer ; la paroisse maritime de Fécamp, celle de Saint-Etienne, avait des maisons de marins si étroites qu’elles ne laissaient de place à l’arrière de chacune que pour une cour ; le jardin, finalement se situait au-delà du perrey, au bord de l’eau, un espace maritime collectif où il n’était point utile de semer, seulement récolter, dame Nature fournissait le nécessaire …
Y. D. F.
Voir en arrière-plan la belle falaise du Catelier et l’ancien casino
Illustration du traité des pêches par Duhamel de Montceau
Notes :