Malaise chez les historiens

 

            Fin décembre 2017, au beau milieu de la France, à Sancerre très exactement, après une journée de flâneries dans les villages et les coteaux de la région, le sancerrois, à la recherche de curiosités et monuments comme nous aimons le faire, quel plaisir de trouver ouvert un café-libraire  pour nous réchauffer la gorge et nous remplir l’esprit.

            Boisson chaude et lecture, un heureux mélange en cette fin de journée plutôt glaciale, en cette fin d’année un peu morose ; est-ce qu’un titre, un auteur, quelques pages vont pouvoir nous surprendre, nous ravir et puis nous permettre de rebondir sur un nouvel an plus serein, plus prometteur…

            Passé en revue tous les romans de l’année, les livres politiques et puis les livres d’histoire, un titre se détache des autres, « L’histoire mondiale de la France » par et sous la direction de Patrick Boucheron … Le principe est intéressant de re-traverser l’histoire de France par des dates-clés, re-visiter les évènements-marquants au moyen de chapitres concis ; l’ouvrage est collectif avec des textes compétents et approfondis, et tout de même une écriture unifiée.

            Résultat de recherche d'images pour "histoire mondiale de la France"Pour ce livre, nous adoptons une lecture très particulière : après un premier chapitre pris par attirance et premier choix, au beau milieu du livre et lu rapidement chez notre café-libraire, les suivants seront abordés selon l’humeur, tantôt aussitôt après et tantôt avant, jusqu’à la fin et puis le début de l’ouvrage.

            Notre surprise viendra au fur et à mesure de la lecture, ce que l’on prenait pour anecdotique, va devenir régulier, des sujets tabous qui reviennent souvent, très orientés vers la politique sociale, avec des allusions tantôt à des faits similaires d’actualité, tantôt à des convictions personnelles ou actuelles, d’une certaine pensée générale dominante, etc …

            Ce qu’il ne faut pas faire en histoire, nous avons l’impression de le retrouver ici, sous des signatures éminentes et diplômées, nous voulons parler de déclarations générales inexplicables et inexpliquées pouvant contenir des amalgames, des raccourcis, des anachronismes, des attitudes manichéennes qui tous réunis peuvent aboutir à de véritables confusions. Selon Marc Bloch « l’ennemi de la véritable histoire, c’est la manie du jugement. »

            Alors l’histoire que l’on pensait en dehors de toute polémique, y retourne allègrement ; il y eut jadis l’histoire émanant des auteurs du 19ème siècle, Michelet, Thierry, Bainville, etc … – tellement décriée par la suite, faite d’appréciations d’ordre général, parfois personnelles, sans fondement véritable et sans réelle vérification, et puis désormais l’approche plutôt scientifique, soutenue par de vrais arguments, des preuves sérieuses, des chiffres concrets.

La meilleure référence à cette nouvelle méthode historique est évidemment Marc Bloch, auteur incontournable qui nous a toujours paru imprégné de vérités – voir « Apologie pour l’histoire » par Marc Bloch, édition Armand Colin 2005 - … Nous pensions que la communauté des historiens allait le bien comprendre et puis en rester là ; hélas, non …

            Aujourd’hui, avec le livre ci-dessus, nous avons l’impression de retomber dans la subjectivité, avec désormais des appréciations contestables, de quitter la ligne droite, prendre des chemins latéraux plus sinueux, et même revenir en arrière, à commencer par la référence à Michelet à qui l’on emprunte le titre de l’ouvrage à un mot près – mondiale à la place de universelle – et puis une citation : « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France ».

            Les chapitres de notre lecture commencent toujours par une date, un fait précis parfois divers, une vraie manchette de journal, ; puis le corps principal du texte se déroule, mais pas vraiment comme Marc Bloch l’aurait souhaité, à certains endroits manifestement subjectif, avec parfois une pointe d’ironies, toutes les mêmes, sur la classe dirigeante, sur les dirigeants et puis sur la France elle-même, ce qu’elle était autrefois, et aussi très régulièrement des sujets tabous comme les guerres souvent inutiles, le colonialisme, l’impérialisme, les migrations, intégrations et mélanges des peuples, car les frontières également et souvent inutiles, les contestations nationales que l’on veut rendre internationales ; enfin le paragraphe final, une conclusion qui n’en est pas vraiment une, du coup sans fondement véritable, avec une ouverture du texte de dernière minute, un élargissement des idées totalement gratuit, une ironie parfois grinçante, une tentative d’explication du mot mondial, une justification du titre sous forme parfois d’une simple « pirouette » .

            Alors, tout est là, semble-t-il, ce qu’il ne faut pas faire ou dire : allusion aux temps présents, prise de positions avec jugement de l’auteur, explication de l’histoire à partir seulement de politique sociale – à la lecture, nous avons rapidement le sentiment que les auteurs étaient tous « encartés » politiquement ! –

            En vérité, d’après ce qu’on a pu lire par ailleurs, M. Boucheron s’oppose depuis longtemps à une certaine écriture de l’histoire, celle des revues de vulgarisation, celle des grandes dates et des guerres successives, celle des journalistes comme Stéphane Bern, Franck Ferrand, Eric Zemmour et tous les autres, et aussi des historiens de renom, tels Gallo, Nora, Sévilla etc … Il préfère l’histoire racontée autrement, peut-être un peu à l’envers, l’analyse des faits sociaux et des classes sociales, souvent expliquée par le bas, l’histoire de la contestation, de toute forme d’opposition au pouvoir, une sorte de contre-histoire … Il évite de parler de certains personnages historiques dont l’éthique ne lui convient pas personnellement : Jeanne d’Arc, Napoléon, de Gaulle … Il refuserait certainement de vibrer au souvenir du sacre de Reims (voir une citation de Marc Bloch à ce sujet).  M. Boucheron a bel et bien organisé un livre contestataire …

            Il y aurait donc, désormais, deux manières d’écrire l’histoire – et voici assurément une attitude manichéenne – celle des « vulgarisateurs de l’histoire » et puis celle de « MM. Boucheron et compagnie »

            Une nouvelle polémique vient de naître, une de plus, dont nous n’avons vraiment pas besoin, touchant à la fois notre histoire et notre pays qui eux non plus n’en ont pas besoin ; une nouvelle « crise de l’histoire », inutile et même dangereuse, car touchant nos fondamentaux.

            La France nous a tout confié, absolument tout ce que l’on peut aujourd’hui lui devoir : un territoire, des paysages, une langue, des institutions, une école, des archives si chères aux historiens, un passé commun pour en faire un présent, puis un devenir, à réaliser ensemble ; essayons donc de gérer convenablement ces « richesses » communes, de les vivre ensemble, en faisant chacun valoir ses différents points de vues, mais sans pour cela « s’étriper », se quereller, enfoncer exagérément les autres pour laisser plus de place à son propre point de vue, à ses arguments.

            Alors, M Boucheron, vous n’aimez pas les querelles d’autrefois, celles des autres, les rois et les empereurs, mais vous en créez de nouvelles, vous n’aimez pas les dictateurs, semble-t-il, mais ne l’avez-vous pas été « un tant soit peu » en imposant à vos auteurs un cahier des charges soutenu, peut-être des thématiques retenues d’office au moyen d’un style général très engagé, adopté par tous pour l’ouvrage, sans doute sur vos directives ! …

            Ce livre a le mérite d’être lu ; il traverse notre histoire de France, de façon intéressante, pour des pages parfois rarement écrites (sur les expositions), mais prenons du recul à certains endroits, sur certaines appréciations qui n’échapperont pas au lecteur ; et puis, dès le livre refermé, allons vite relire Marc Bloch, pour s’attacher aux meilleurs principes et rester ainsi dans une ligne la plus objective possible de l’écriture de l’Histoire, pour le mieux possible appréhender celle de notre pays « La France » .

                                                                                                                                   

                                                                                                                                    YDF

                                                                                                                                Février 2018