Les avenues perpétuelles
Les alignements des arbres représentent l’exemple parfait d’une nature créée par l’homme ; ils se situent idéalement le long des routes ou bien en limite des propriétés ou des parcellaires ; le premier réflexe du planteur a été d’utiliser à un même instant, un même champ visuel, une même distance entre chaque pied et puis une même espèce d’arbre.
Parfois, le choix s’est porté sur deux essences alternées; désormais , pour différentes raisons, on imagine une plus grande diversification. Les difficultés rencontrées par exemple sur les platanes du Canal du Midi nous poussent à la réflexion vers des variations dans les espèces d’arbres et puis dans l’âge des arbres et donc des coupes.
Les alignements mono-spécifiques ne peuvent pas se renouveler facilement ; les arbres arrivent ensemble à maturité et il faudra tôt ou tard procéder à une coupe rase ; en pleine forêt, on recherche aujourd’hui à éviter la coupe rase grâce au mode d’exploitation en futaie irrégulière ; et bien nous allons essayer de transposer cette réponse aux alignements d’arbres.
Dans les domaines et les parcs, le renouvellement des alignements est un point délicat dans la gestion des espaces ; les préconisations des horticulteurs sont généralement les suivantes : anticiper de 20 ans la coupe de l’alignement sur un tiers de sa longueur, dans la partie la plus éloignée de la propriété ; puis 10 ans plus tard dans le tiers central, enfin le dernier tiers le plus proche à sa maturité.
Ces difficultés de renouvellement ont conduit les hommes à proposer d’autres solutions, à notre connaissance rarement utilisées, mais dont il faudrait se souvenir.
L’idée d’une avenue d’arbres de variétés différentes revient en tout premier lieu à Duhamel du Monceau (1700-1782) qui se plaignait de ne voir en France que des alignements d’ormes et de noyers et jamais des autres espèces.
En 1802, Julien Pierre Allaire (1742-1816) administrateur général des forêts présente un rapport sur l’art de planter en mélange ;
Le nom et l’idée d’avenues perpétuelles revient à Jean Louis Rast de Maupas (1731-1821) directeur des pépinières du département du Rhône, qui suite à une communication à la Société d’Agriculture de Paris, publiera en 1808 dans les Annales Forestières (page 263 à 277) un premier texte intitulé « Mémoire sur les moyens de créer des avenues perpétuelles »
La diffusion et la synthèse de ces différentes idées en reviendra par la suite à Jacques-Joseph Baudrillart (1774-1832) agronome et forestier, l’un des fondateurs de l’Ecole Royale Forestière qui deviendra plus tard l’Ecole Nationale des Eaux et Forêts, dans son Traité Général des Eaux et Forêts, Chasses et Pêches de 1827 ; la publication dans les Annales Forestières de 1808 ayant eu lieu sous sa direction.
Puis, deux reprises du thème auront lieu, dans respectivement :
- Le Magazine Pittoresque de Edouard Charton de 1843 – 11ème année - page 142
- Le journal Le Progrès Agricole numéro 2485 du 8 mars 1936
L’avenue perpétuelle a certes du temps devant soi, mais il nous a paru nécessaire de rappeler son existence et ainsi la réhabiliter. L’argumentaire d’autrefois se limitait à l’esthétique et à la production régulière de bois ; aujourd’hui, les changements climatiques et puis la propagation des maladies des arbres font grandement partie du débat.
I - Le projet d’avenue de 1808 de MM. Rast de Maupas et Baudrillart que nous associons pour l’occasion :
Sur les bords de l'avenue plantée d'un double alignement d'arbres, l'auteur de ce projet planifie une coupe d'une partie des arbres tous les 30 ans, mais de manière à toujours conserver l'alignement paysager, ainsi qu’une ressource régulière en bois :
- 1ère étape : Jeune plantation de un érable et deux peupliers, puis à nouveau un érable et deux peupliers, etc…
- 2ème : Coupe des deux peupliers remplacés par un orme
- 3ème : Coupe des érables remplacés chacun par deux peupliers
- 4ème : Coupe des deux peupliers remplacés par un orme
- 5ème : Coupe de la moitié des ormes les plus anciens remplacés chacun par deux peupliers …
Le projet s’étale sur 150 ans ; il utilise des peupliers – P - sur 30 ans, des érables – E - sur 60 ans et des ormes – O - sur 90 ans ; sauf les érables utilisés au début, le projet est basé sur une alternance entre les peupliers et les ormes ; l’une des idées retenue est de ne pas replanter aussitôt au même endroit et d’attendre au moins trente ans pour le faire ; par contre, dans ce cas, il est nécessaire à certains moments d’abattre deux arbres sur trois, ce qui appauvrit sensiblement l’avenue.
date |
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1808 |
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1838 |
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1868 |
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1898 |
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1928 |
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II - Un projet d’arbres feuillus, avec des peupliers sur 25 ans, des châtaigniers sur 50 ans, des merisiers sur 75 ans et des hêtres sur 100 ans :
durée |
Point A |
B |
C |
D |
E |
F |
G |
H |
25 ans |
Peuplier xxxxxxx |
Chât |
Merisier |
Hêtre |
Peuplier xxxxxxx |
Chât |
Merisier |
Hêtre |
50 |
Chât |
Chât xxxxxxxx |
Merisier |
Hêtre |
Chât |
Chât xxxxx |
Merisier |
Hêtre |
75 |
Chât xxxxxxxx |
Merisier |
Merisier xxxxxxxx |
Hêtre |
Chât xxxxx |
Merisier |
Merisier xxxxxxx |
Hêtre |
100 |
Merisier |
Merisier |
Hêtre |
Hêtre xxxxxxxx |
Merisier |
Merisier |
Hêtre |
Hêtre xxxxxx |
125 |
Merisier |
Merisier xxxxxxxx |
Hêtre |
Peuplier xxxxxxxx |
Merisier |
Merisier xxxxx |
Hêtre |
Peuplier xxxxxxx |
150 |
Merisier xxxxxxxxx |
Hêtre |
Hêtre |
Châtaignier |
Merisier xxxxx |
Hêtre |
Hêtre |
Chât |
175 |
Hêtre |
Hêtre |
Hêtre xxxxxxx |
Châtaignier xxxxxxxxx |
Hêtre |
Hêtre |
Hêtre xxxxx |
Chât xxxx |
200 |
Hêtre |
Hêtre |
Peuplier xxxxxxxx |
Merisier |
Hêtre |
Hêtre |
Peuplier xxxxxx |
Merisier |
225 |
Hêtre |
Hêtre xxxxxxxx |
Châtaignier |
Merisier |
Hêtre |
Hêtre xxxxx |
Chât |
Merisier |
250 |
Hêtre xxxxxxx |
Peuplier xxxxxxxx |
Châtaignier xxxxxxxxxx |
Merisier xxxxxxxxx |
Hêtre xxxxxxx |
Peuplierxxxx |
Chât xxxxx |
Merisier xxxxxxxx |
275 |
Peuplier xxxxxxxx |
Chât |
Merisier |
Hêtre |
Peuplier xxxxxx |
Chat |
Merisier |
Hêtre |
300 |
Chât |
Chât xxxxxxxxx |
Merisier |
Hêtre |
Chât |
Chat xxxx |
Merisier |
Hêtre |
III - Un projet d’arbres résineux : avec des pins taeda – p - sur 30 ans, des mélèzes – m – sur 60 ans et des cèdres – c – sur 90 ans :
Durée |
Point A |
Point B |
Point C |
30 |
p |
m |
c |
60 |
m |
p |
c |
90 |
m |
c |
c |
120 |
p |
c |
p |
150 |
c |
c |
m |
180 |
c |
p |
m |
210 |
c |
m |
p |
240 |
p |
m |
c |
270 |
m |
p |
c |
300 |
m |
c |
c |
330 |
p |
c |
p |
360 |
c |
c |
m |
390 |
c |
p |
m |
420 |
c |
m |
p |
450 |
p |
m |
m |
480 |
m |
p |
m |
510 |
m |
m |
p |
IV - Comme on peut le comprendre, il y a une grande variété possible d’ « avenues perpétuelles », selon les souhaits personnels du demandeur, la configuration du terrain, la consistance du sol, le climat environnant etc ; les critères à retenir peuvent être :
- Les rotations par âge et/ou par espèces au nombre de deux, trois, quatre ou même cinq : la durée de rotation pouvant aller de 20 ans à 50 ans.
- L’alternance proposée par Allaire d’arbres de bois durs à croissante lente et de bois mous à croissance rapide
- Les avenues de différents feuillus : le choix ici est immense ; il faut alors tenter soit la ressemblance soit le contraste dans la forme le port les feuilles ou l’écorce des troncs
- Les avenues de différents résineux que l’on appelait autrefois des arbres verts : on conserve une certaine unité et on évite la chute annuelle des feuilles caduques ; l’alternance de sapins à forme conique et de pin pignon à forme parasol n’a à notre connaissance jamais été expérimentée ; et pourtant, elle permet une bonne occupation de l’espace.
- L’alternance de feuillus et résineux, ou plus exactement de chênes et sapins, est suggérée par Duhamel du Monceau mais se retrouve rarement ; celui-ci dit l’avoir vu dans plusieurs cantons de Haute-Normandie.
- Les avenues d’arbres fastigiés : très utile dans les petits espaces, le long des routes ou en limite de propriété (très utilisé dans le parc du palais de l’Elysée) ; on y évite ou diminue les entretiens et élagages.
- Les avenues d’arbres en cépées : là, on s’évite le problème des souches des arbres abattus qui gênent à la replantation
- Les avenues d’arbustes : dans les petits espaces ou pour une autre ambiance …
V – Les distances de plantations : la pratique d’autrefois était de planter le long des grandes routes tous les 5 à 6 mètres ; M Rast de Maupas préconise 12 mètres de façon à pouvoir replanter dans l’intervalle, jusqu’à deux peupliers tous les 4 mètres. Tous les auteurs de cette époque se plaignent de ce qu’en général on plante les arbres beaucoup trop près les uns des autres.
VI - La situation du Canal du
Midi : Pour
lutter contre la maladie du chancre coloré survenue pendant la guerre 1939-1945
et assurer la sécurité des personnes en cas de chute d’arbres, 14 000
platanes ont dû être abattus le long du Canal du Midi depuis 2006.
Voies Navigables de France ou VNF a pu accélérer le programme de replantations
avec 2000 arbres sur l’hiver 2015/2016 et 1800 nouveaux arbres prévus sur l’hiver
2016/2017. Au total depuis 2011, VNF a replanté 4100 arbres.
Le chêne chevelu a été validé par le ministère de l’environnement, de l’Energie
et de la Mer comme essence principale à 40% en remplacement des platanes ainsi
que six essences complémentaires qui l’accompagnent à 60% – dont le tilleul et
l’érable,
On retrouvera le chêne chevelu dans l’Hérault sur le tronçon compris entre la réserve naturelle du Bagnas et Béziers, le pin d’Alep, le tamaris, le mûrier blanc, s’élèveront dans l’Agathois et le Narbonnais, le micocoulier dans la portion allant de Béziers à Ouveillan dans l’Aude ; le peuplier blanc ou encore le tilleul à grandes feuilles viendront s’intercaler tout au long de la voie d’eau.
Nous prenons acte que sur une petite partie du tronçon, des platanes, oui des platanes sains, seront replantés.
Alors, nous sollicitons qu’une partie du tronçon du canal soit traité à titre expérimental en « avenue perpétuelle » ; les critères développés dans le présent article devraient en principe correspondre à ceux imposés par le cahier de référence pour une approche patrimoniale et paysagère des plantations du Canal du Midi, avec ici en plus un aspect pédagogique non négligeable.
Conclusion : les agronomes français ont toujours été très novateurs dans les domaines qui les concernent à savoir la culture, l’élevage et puis la forêt ; les nombreuses idées ont souvent générés de nombreux progrès ; ici l’idée des « avenues perpétuelles » serait donc laissée pour compte, alors même que nous y voyons un intérêt grandissant ; mais peut-être l’homme préfère-t-il les résultats à court terme, plus qu’à long terme ou à perpétuité ; l’idée de plantations en mélange et de prélèvements sélectifs fonctionne pourtant très bien en peuplement c’est-à-dire en forêt, et pourquoi ne marcherait-il pas pour les alignements ; le choix esthétique pour une même image répétitive serait-il le seul élément à prendre en compte ; les autres arguments ne vont-ils pas être enfin reconnus…
A n’en pas douter, l’avenir nous reparlera de ce sujet pour en faire un meilleur usage. M Rast de Maupas concluait en son temps ainsi : « Les idées les plus simples ne se présentent pas toujours – aussitôt – et restant inconnues pendant plusieurs siècles ; on finit par être singulièrement étonné de les voir dans l’oubli pendant un laps de temps si considérable ; celle-ci est dans ce cas, comme on le jugera bientôt. »
Yves Duboys Fresney