L’Hortus Conclusus
Le mot latin Hortus signifie jardin, qui viendrait de oriri ou sortir, en référence à la coutume antique qui voulait que les femmes romaines aient la charge spéciale du jardin, ceux aptes à porter les armes devant en conséquence en sortir … ou plutôt ne pas y travailler.
Le jardin antique prend des formes régulières et s'entoure de haies et de clôtures ; conformément aux traditions de l'Orient, de l'Espagne et de l'Italie, il devient un espace composé et fermé.
Par la suite, l’hortus conclusus est un jardin clos de murs, en usage à l’époque médiévale,
Il s’agissait depuis fort longtemps de se réserver sur la nature commune un espace personnel, créé à sa façon, protégé des regards et des intrusions, des animaux sauvages ainsi que des mauvaises graines…
Le jardin est représentatif de l’effort de l’homme sur la nature, de la maitrise de celle-ci pour le rendre plus harmonieuse.
Les composants du jardin :
- Muret de briques, de forme carrée ou circulaire pour clôturer, donc enfermer mais aussi préserver,
- Treillis, pergolas, menuiseries pour l’intimité, l’abri des regards,
- Sièges, bancs, banquette pour la lecture ou la réflexion, pour engager un dialogue ou des confidences,
- Au milieu du jardin : fontaine, bassin d’eau, puits, arbre solitaire comme centre d’intérêt,
Les végétaux sont utilisés en fonction de leur symbolique : plantes grimpantes, vigne, roses, chèvrefeuille, etc…
La symbolique des plantes
Les artistes médiévaux y ont souvent entremêlé les symboles antiques et chrétiens, avec tantôt la notion de refuge sur le monde extérieur et tantôt le symbole de la pureté de la Vierge Marie.
Le symbolisme des fleurs est le fait d'attribuer à certaines d’entre elles des vertus, ou de servir d'emblème.
Il y a les œuvres de Dieu (le chou, la carotte, l’avoine, le froment, le trèfle) et les œuvres du Diable (le chardon, la cigüe, l’ivraie, le carex, la cuscute, les pâtenôtres).
De nombreuses plantes sont dédiées à la Vierge : la cuscute ou cheveux de la Vierge, la stellaire ou collerette de la Vierge, le liseron des haies ou manchettes de la Vierge, l’ancolie ou gants de Notre-Dame, le cypripedium ou sabot de la Vierge, le pied d’alouette ou éperon de la Vierge, le sedum telephium ou herbe de la Vierge, le silybium marianum ou chardon-Marie.
Les différentes représentations
Les peintures, mais aussi les gravures nous donnent de nombreux exemples, souvent d’inspiration italienne :
L’Hortus Conclusus de Salomon
Près de Bethléem ( à 3/4 d’heure de la cité de David), à Eurtase ou Ortas, dans la direction des vasques de Salomon, s’installèrent au cours du 19ème siècle, la fondation des filles de Notre Dame du Jardin.
Dans un endroit de vraie solitude, sur le flanc de la colline, en face du hameau d’Eurtase, près du fameux jardin dit « Hortus Conclusus » ; le terrain y est arrosé par une source l’Aïn Eurtase et est d’une fertilité remarquable : jardin fermé, identifié comme étant celui de Salomon dont parle l’Ecclesiaste et le Cantique des Cantiques - 4, 12 de la Vulgate - jardin aux fruits divins, mais jardin réservé et clos ; au milieu, une fontaine scellée de l’Ecriture :
« Hortus Conclusus soror mea sponsa ;
Hortus Conclusus fons signatus »
« Tu es un jardin fermé, ma sœur, mon épouse ;
Un jardin fermé, une source scellée ? »
La poésie mystique poursuivra ce thème, de même les autres arts, la peinture ; l'hortus conclusus sera pour Charles Péguy une métaphore fondatrice du for intérieur.
Le Moyen âge
Le jardin clos prend au cours du Moyen Age à nouveau une dimension chrétienne ; le jardin est la meilleure expression du divin ; on parle alors du jardin de l’âme ; l’art religieux l’associa au culte marial et donc les peintres et enlumineurs des 14ème et 15ème siècle représentent la Vierge au milieu d’un jardin fermé qui sera le jardin de Marie, entourée d’un buisson de roses ; ce thème se développe à partir de l’Italie du Nord puis de l’école rhénane avec Lochner et Martin Schongauer, pour se répandre ensuite dans toute l’Europe.
Martin Schongauer, Vierge à l'Enfant dans un jardin de roses.
Les premiers monastères à avoir des hortus conclusus sont irlandais, là où s’était réfugié pendant les invasions barbares une partie de la civilisation gréco-romaine … En France, le patron des jardiniers est un moine irlandais Fiacra ou saint Fiacre, fêté le 30 août de chaque année, il fut le fondateur d’un ermitage près de Meaux, au Breuil ; la science des jardins passe dans les abbayes suisses soumises à la règle de Saint Colomban avec Saint-Gall et Reichenau ; à la fin du Moyen Age, plusieurs abbayes possèdent un petit jardin clos qui renvoie à l’image du jardin de Marie des peintres.
Les attributs bibliques de la Vierge, au nombre de 15, parmi lesquels le jardin clos, l’Hortus Conclusus (voir en bas à droite) ; les autres attributs sont : le soleil, resplendissante comme le soleil, un rameau, la tige de Jessé fleurie, une roseraie, un buisson de roses, un lis, comme le lis entre les épines, une fontaine, la fontaine des jardins, une enceinte fortifiée, la cité de Dieu, une étoile, étoile de la mer, la lune, belle comme la lune, un olivier, olivier à l’aspect brillant, un puits, puits d’eau vive, un miroir, miroir sans tâche, un cèdre, cèdre surélevé, une porte, porte du ciel (voir ci-dessous).
Abbatiale La Trinité de Fécamp – au-dessus de la Dormition de la Vierge, la Vierge d’Assomption avec ses attributs bibliques, ici 14, dont l’Ortus Conclusus
Le jardin seigneurial aussi se développe à la fin du Moyen Age ; on y fait valoir des valeurs esthétiques mais aussi symboliques, avec un retour au jardin antique ; le choix des plantes et des fleurs est également symbolique ; le jardin est réservé, comme lieu de rencontre de la fiancée avec son promis, ou bien lieu d’un rêve amoureux, ou encore lieu de réflexion du maître des lieux, sur soi ou sur le monde.
En Italie, à Orta San Julio, sur le lac d’Orta, l'emblème de la municipalité (visible par exemple sur la façade du Broletto ou palais municipal et aussi sur le pavage de la pallazo della Comunita : voir ci-dessous ) porte l'inscription Hortus Conclusus, en lien avec le nom d' Orta ; autre hypothèse : l’isola San Giulio située au milieu du lac fait partie de la commune d’Orta ; alors l’île ne serait-elle pas l’hortus d’origine, ceinturée non pas par un mur mais par les eaux ?
Le jardin clos disparait dans les périodes suivantes, l’homme étant alors à la recherche dans la nature de perspectives, de lignes de fuite, d’ouvertures sur la campagne désormais maîtrisée. Il réapparait ponctuellement dans les jardins contemporains.
YDF - Juillet 2018 -