Les dix anciennes paroisses de Fécamp
Le 21 octobre 1789, parait la loi martiale, proclamée à Fécamp le 8 novembre ; le 28 octobre 1789, les biens ecclésiastiques sont confisqués et mis à la disposition de la Nation ; le 13 avril 1790, la religion catholique cesse d’être reconnue comme religion d’Etat ; le 24 août suivant, parait la constitution civile du Clergé, avec un seul diocèse par département, avec les évêques et curés nommés par les assemblées départementales ou de district ; le 2 novembre, parait la loi de confiscation des biens du clergé et le licenciement des religieux ; le 27 novembre suivant un décret oblige le clergé à prêter serment à la constitution civile.
Sur les huit curés de Fécamp, un seul, M Mascrier, curé de Saint-Ouen officier municipal depuis le 11 février 1790 prête serment avec deux vicaires de Saint-Etienne et le prêtre desservant le prieuré du Bourg Baudouin. Le chapelain des Annonciades et les autres curés refusent le serment ; ils sont obligés de se disperser, Jean Baptiste Laîné curé de Saint-Fromond s’exile en Angleterre ainsi que François Avenel curé de Saint-Nicolas.
La chronologie des faits :
Le 27 mars 1791, le Conseil Général de Fécamp décide de supprimer 7 paroisses de Fécamp, Sainte Croix, Saint Fromond, Saint Thomas, Saint Léger, Saint-Ouen, Saint-Nicolas et Saint-Benoit ; il décide aussi que l’église Saint-Valéry sera conservée comme succursale et que le territoire de Fécamp sera divisé en deux paroisses : Saint-Etienne et La Trinité, délimitée par la Haute rue Sainte Croix, la rue à la Grise et celle des Galeries. Cette délimitation a été modifiée le 20 novembre 1805. Les églises supprimées n’ont été fermées que le 28 août 1791.
Le 14 juillet 1791 : A propos de l’anniversaire de la Confédération, l’abbé Hermel, curé constitutionnel de Saint-Etienne célèbre la messe sur la place du Vieux Marché où un autel avait été dressé. Après cette cérémonie, des discours ont été prononcés par le maire et le curé et des serments sont prêtés.
Le 24 août 1791 : Le service du culte cesse dans l’église Saint Benoit qui est fermée à partir de ce jour.
Le 25 août 1791 : Sept curés et plusieurs vicaires de Fécamp ayant refusé le serment sont déchus de leurs fonctions curiales.
Le 28 août 1791, sept églises sont fermées et réunies à l’église abbatiale qui devient une paroisse sous le nom de Saint-Trinité. Il n’y a plus ainsi que deux paroisses avec deux prêtres assermentés, Guillaume Le Tellier ancien moine de l’abbaye devient curé de la Trinité et M Hermel, ancien vicaire de Saint-Etienne en devient le curé ; plus tard ce dernier renoncera à la prêtrise.
Les sept autres églises sont vidées de leur mobilier malgré les protestations de la population – les portes fermées et scellées sauf Saint Benoit déjà fermée depuis le 24 août - ; en janvier 1792, avec les presbytères et les cimetières, elles sont vendues comme biens nationaux ; les acquéreurs s’empressent de démolir les églises pour revendre les matériaux …L’abbaye est vendue en deux lots, l’église échappant à la destruction grâce à son érection en nouvelle paroisse.
Le 25 octobre 1791 : M de Parnajon est chargé de recueillir tous les vases sacrés et l’argenterie des églises supprimées de Fécamp.
Le 30 octobre 1791 : Un M. Devisme demande à acheter les bâtiments, cour et jardins de la si-devant abbaye, et de la chapelle de la Vierge. Le maire et le procureur de la Commune présentent des observations concluant au rejet de la demande.
Le 5 janvier 1792, l’église et le cimetière de Saint-Léger sont adjugés par le District de Montivilliers à Henri Parnajon moyennant 2450 livres ; le presbytère de Saint-Thomas à M Charles Bérigny fils par 3650 livres ; celui de Saint-Benoit à MM. Pierre Pouchet de Gruchet et Jacques Beaumont de Fécamp par 3250 livres
Le 7 mars 1792, au District de Montivilliers, il a été adjugé :
- Les église et cimetière de Saint Fromond et Saint Thomas à MM. François Benoit Desportes, Guillaume Marcotte et Edouard Rousselet moyennant 18400 livres,
- L’église et le cimetière de Saint Nicolas à Jean Collos par 4025 livres
- Le presbytère de Saint-Nicolas à Isaac Hermel et Adrien Lenormand par 3250 livres
- Et le presbytère de Saint Léger à JB Queval par 5900 livres
Le 22 mars 1792, Au District de Montivilliers : une nouvelle adjudication des biens du clergé a lieu ce jour ; il est adjugé :
- L’église et le cimetière de Sainte Croix à MM. Bridel, Allain, Sandret et Ladiray moyennant 4600 livres
- L’église et le cimetière de Saint-Benoit à Letellier de Lyons la Foret par 4025 livres
- Le presbytère de Saint-Ouen à Romain Georges Feray minotier au Havre par 8025 livres
Le cimetière de Saint-Ouen au même par 3675 livres
La maison conventuelle à Joseph Lehec maréchal à Lille (Eure) par 401000 livres mais cet acquéreur n’ayant pas exécuté les conditions de l’adjudication, cette vente n’a pas eu de suite
- Et la maison abbatiale à la Ville de Fécamp pour 6900 livres
Le 4 août 1792 : L’Assemblée Législative reconnaissant l’utilité de conserver la chapelle du Bourg Baudouin et de la réparer, accorde une somme de 6 000 francs.
Le 11 août 1792 : Le sieur Pierre Jazé, officier municipal, maître voilier de la paroisse Saint-Etienne, est mis en état d’arrestation pour avoir ameuté le peuple et voulu empêcher l’enlèvement des tableaux de la ci-devant église.
Le 2 octobre 1792 : Le gouvernement prend possession du couvent des Annonciades d’où les sœurs au nombre d’une vingtaine sont expulsées.
Le 13 juin 1793 : la maison conventuelle de l’Abbaye est vendue à Laurent Marquerey de Vernon moyennant 271 000 livres mais cette vente a été sans effet, l’acquéreur n’en ayant pas rempli les conditions
Le 27 juillet 1793 : Le Conseil Général de la Commune décide que les cloches de chaque église seront cassées dans le clocher, à l’exception des deux plus grosses de chacune des églises, sur l’une desquelles frappe le marteau de l’horloge, qui sont réservées par le service. Dès le lendemain, il y a eu trois cloches cassées à l’abbaye.
Le 20 septembre 1793 : Les bâtiments claustraux de l’abbaye sont vendus par les administrateurs du district de Montivilliers au citoyen Leplay entrepreneur à Fécamp moyennant 105 000 livres ; par actes de Me Gelée notaire du 30 novembre 1849 et du 23 mars 1852, M et Mme Cavé les revendent à la Ville de Fécamp moyennant 55 000 francs.
Le 9 décembre 1793 : Un certain nombre d’ex-nobles convoqués d’urgence déclarent qu’ils ne détiennent pas de titres de noblesse ni de titres féodaux ; le 10 décembre, dans un club, un membre de la Société Populaire demande que le tableau de Henri IV et ceux des ducs de Normandie soient brulés avec les titres féodaux sur la place du Vieux Marché.
Le 21 mars 1794 : Le Conseil Général de la Commune de Fécamp, sur la demande de la Société Populaire, décide de fermer des églises et chapelles et la suppression du culte catholique.
Le 28 mars 1794 : l’abbé Letellier, curé de la Trinité, est arrêté sous prétexte qu’il a emporté deux fioles en argent contenant la relique du Précieux Sang.
Le 1er juillet 1794 : Le citoyen Bérigny fait décider que les ouvertures de la chapelle du Bourg Baudouin seront condamnées et bloquées dès le lendemain et ce parce que les églises étant fermées, cette chapelle vu son éloignement continuait à être fréquentée, que malgré le poste qui y avait été placé pour en empêcher l’entrée, un nommé Quesnot de Senneville avait tenté d’y pénétrer et qu’en se retirant, il avait dit qu’il reviendrait avec une centaine de paysans armés de faulx et de bâtons.
Le 6 août 1794 : (dans l’église abbatiale) On propose d’abattre la chaire des bénédictins à cause de son état de vétusté et de démolir les figures restant encore du jubé parce qu’elles représentaient un reste de fanatisme ; cette proposition n’eut pas de suite.
Le 25 mars 1795 : l’agent de la municipalité de Fécamp donne lecture dans la chapelle de Fécamp (Notre Dame du Salut ?) d’un papier qui défend de prier Dieu dans ladite chapelle ; tout le monde lui donne des coups de bâtons, d’autres des coups de pierres ; on lui fait des trous à la tête, à le mettre au lit ; tout le monde trouve cela bien fait.
Le 15 juin 1795 : les deux églises de Fécamp sont rendues au culte.
Le 9 août 1802 : Le conseil de fabrique de la Sainte Trinité et l’abbé Letellier curé font une protestation à la mairie contre l’installation de l’abbé de Valville qui venait d’être nommé curé de cette paroisse – cette protestation n’a pas eu d’effet -
Le 14 août 1802 : L’abbé de Valville, curé, prend possession de l’église de la Trinité, accompagné du maire, des adjoints, des autorités et de la force armée, au milieu d’une agitation populaire et de cris séditieux ; des personnes qui voulaient et réclamaient le maintien de l’abbé Letellier comme curé sont arrêtées mais elles s’échappent.
Les différentes paroisses sont :
La Sainte Trinité : ancienne église abbatiale, devenue église de paroisse et grâce à cela sauvée de la démolition.
On doit à l’abbé Letellier ancien moine bénédictin, ancien curé de la Sainte Trinité puis de Goderville, la conservation du Précieux Sang pendant la période révolutionnaire
Saint Fromond : la paroisse comprenait 1 200 âmes à la Révolution pour 10 000 dans Fécamp; l’église était de construction élégante avec trois nefs bâtie par Antoine Boyer située à l’emplacement du 36-38 rue André Paul Leroux ; vendue le 7 mars 1792 puis démolie …
Quatre colonnes de l’église se retrouvent en façade de l’ancienne pharmacie Sousan du 16 rue Alexandre Legros; six autres en façade autrefois du 23 place Charles de Gaulle, actuellement une banque, anciennement le café « Les Colonnes ».
Saint Thomas : église située près de la porte ouest de l’abbaye, la porte de la mer, juste à côté de l’église Saint-Fromond séparée d’elle par une ruelle
Saint Leger : en mémoire de Saint Léger évêque d’Autun qui fut tenu prisonnier à Fécamp; église édifiée dès le XIème siècle près de l’entrée de l’abbaye, la porte dorée, à l’angle de la rue du même nom – aujourd’hui rue des frères Marcotte - et de la rue d’Estouteville. Le presbytère se situait au 18 rue des Renelles. 500 âmes en 1789.
Sainte Croix : l’église s’élevait dans le jardin en arrière de la maison du 21 rue Paul Vasselin – anciennement rue Haute Sainte Croix – Le presbytère se situait de l’autre côté du raidillon donnant sur la rue Basse – rue Charles Gosset.
Saint Nicolas : église du début du XII ème siècle, de construction modeste située près de l’hôpital au fond de la retenue, à une extrémité de la rue du même nom en jonction avec la rue Bizet ; composée d’une simple nef, d’un important transept, mais sans clocher avec seulement un campanile en arcade au-dessus du portail occupé par deux cloches ; le presbytère était de l’autre côté de la rue; la paroisse comprenait à la Révolution environ huit cents âmes, en majorité des marins comme à Saint-Etienne; Saint-Nicolas est d’ailleurs le patron des marins; le dernier curé était J B Avenel qui comme réfractaire dû se cacher; l’église et son cimetière sont mis en vente le 7 mars 1792 et adjugés pour 4025 livres à M Collos négociant (source : Histoire des rues de Fécamp par Daniel Banse page 112)
Saint Etienne: dressée sur une butte au-dessus de la retenue en direction du port, entourée de son cimetière; c’est la paroisse des marins avec 2 900 âmes en 1790, 3500 au 16ème siècle ; l’origine était antérieure à 1088; transformée et agrandie par Antoine Boyer au 16ème siècle – transept, tour, portail sud et nef en partie – puis par Camille Albert à la fin du 19ème siècle – tour et bas côtés -
Saint Benoit: paroisse rurale située dans la vallée, avec encore aujourd’hui une rue du même nom
Saint Ouen: paroisse rurale située dans la vallée, rue Robert le Diable; fermée en 1791, vendue en 1792; l’église possédait trois parties en alignement, la nef le chœur et une sacristie; elle sera conservée et transformée en habitation; démolie vers 1980-90
Saint Valery: paroisse rurale située dans la vallée
Saint Léonard: située vers le sud au centre d’un village du même nom, paroisse de Fécamp avant 1790 mais commune indépendante par la suite
Réflexions complémentaires : ces différents rappels historiques nécessitent quelques compléments, car il serait utile de mieux comprendre la situation réelle des habitants de Fécamp face aux évènements révolutionnaires.
La Terreur instaurée en France par le courant montagnard entre septembre 1792 et le 28 juillet 1794 ou 9 thermidor an II, provenait de Paris où elle s’est installée au pouvoir après avoir rivalisé puis écarté le courant girondin ; par la suite, elle s’est imposée par la force dans tout le pays en nommant des délégués de province pour la plupart autoritaires et même virulents, assistés en cela par l’armée révolutionnaire.
Les anciennes forces dominantes du pays désormais pourchassées étaient la noblesse mais aussi l’église, nous n’avions pas alors cette notion plus récente de séparation de l’église et de l’état.
La fermeture des églises correspondait officiellement à une confiscation des biens dont les prêtres soit avaient refusé le serment soit s’étaient enfuis ou exilés dans un pays étranger avec qui la France était en guerre. Ces confiscations concernaient d’ailleurs autant les biens d’église que les biens de la noblesse.
La fermeture des églises représentait en outre pour les habitants une interdiction d’exercer leur culte religieux ; sur ce point, seulement deux lieux de culte avaient été maintenus ; cela peut-être parce que seulement deux prêtres assermentés étaient alors disponibles ! Il est sûr également que la population de Fécamp avait fortement diminué pendant cette période ; malgré tout, la limitation à deux endroits représentait une restriction importante par rapport à la situation antérieure.
Le sens de la préservation d’un bien ancien dit aujourd’hui culturel, à cette époque-là, n’existait pas ; l’utilisation de ces monuments comme carrière de pierre, apparemment ne choquait pas, ou si peu… D’autre part, le rachat des biens ainsi confisqués se réalisait apparemment sans arrière-pensée par les bourgeois et entrepreneurs locaux. La pudeur de ne pas posséder dans sa famille des biens nationaux si mal acquis n’apparaitra que plus tard au cours d’un 19ème siècle plus puritain.
Et donc, face à ces différents évènements, y avait-il eu à l’époque des réactions notables, tantôt des partisans royalistes, tantôt des pratiquants religieux, ou bien émanant plus généralement des humanistes : assez peu semble-t-il, du moins officiellement. Compte tenu de la Terreur pratiquée, et puis de la délation existante et toujours possible, les réactions ont certainement dû être étouffées ; avons-nous donc aujourd’hui des éléments suffisamment probants et une idée réaliste et objective de cette réaction qui bien souvent n’avait dû se cantonner que dans les consciences et dans la foi intérieure !
YDF
Sources :
- Les éphémérides fécampoises de Charles Pollet
- Fécamp par l’abbé Gilbert Décultot, édit Durand)
- Les paroisses de Fécamp par Jean Lemaître