La protection des œuvres d’art dans les collections publiques
Les collections publiques d’œuvres d’art sont par principe et depuis toujours inaliénables et aussi imprescriptibles – article L.3111-1 du Code Général de la propriété des personnes publiques ou CGPPP - ; elles sont aussi protégées par des sanctions pénales renforcées.
Deux textes de loi assez récents sont venus à la fois compléter et modifier ces règles ancestrales et intangibles ; pour les uns, ces nouveaux textes à consonance libérale ne constituent que de simples aménagements notamment en vue de la circulation des œuvres, pour d’autres ils appellent à une certaine méfiance en créant ainsi des exceptions capables de remettre en cause les grands principes.
Les lois nouvelles de 2002 et 2004
1°) La loi n°2002-5 du 4 janvier 2002; il s’agit de la loi-musée ; celle-ci reprend à son compte les règles d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité – codifiées aux articles L 451-3 et L 451-5 du Code du Patrimoine ou CP – , puis elle définit l’appellation « Musée de France » ; elle créée un Haut Conseil des Musées de France ; réglemente le déclassement – article L 451-5 et 6 du CP ; les biens incorporés dans les collections publiques par dons ou legs ou pour les collections ne relevant pas de l’Etat, ceux acquis avec l’aide de l’Etat ne peuvent être déclassés – article L 451-7 du CP.
En outre, une personne publique peut transférer à titre gratuit la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si cette dernière s’engage à en maintenir l’affectation à un Musée de France –article L 451-8- du CP . Le transfert de propriété est approuvé par le ministre chargé de la culture et le cas échéant par le ministre intéressé après avis du Haut Conseil des Musées de France. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux biens remis à l’Etat en application des articles 1131 et 1716 bis du code général des impôts.
Les conditions de prêt et de dépôt des biens constituant les collections des musées de France appartenant à l’Etat ou à l’un de ses établissements publics sont définies par décret en Conseil d’Etat –article L 451-11- du CP . Le Haut Conseil des musées de France formule des recommandations sur la circulation, les échanges et les prêts de biens constituant les collections entre musées bénéficiant de l’appellation « musée de France ».
Un décret n°2002-628 du 25 avril 2002 institue la commission scientifique nationale des collections des musées de France
Un décret d’application n°2002-852 du 2 mai 2002 réglemente les inventaires, les services d’accueil des publics, de diffusion, d’animation et de médiation culturelles, enfin le contrôle scientifique et technique.
Pour cette loi et pour ces décrets, quelques observations sont nécessaires :
- les règles d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité sont rappelées mais seulement pour les « Musées de France » ; qu’en est-il de la compatibilité entre les textes (CGPPP et CP) ; qu’en est-il des autres musées ou des autres collections publiques sur ce point ?
- la loi ne fixe aucune règle en matière de prêt et de dépôt d’œuvres n’appartenant pas à l’Etat ; le motif serait que la décentralisation laisse la libre administration de leurs œuvres d’art aux collectivités territoriales ; encore fallait-il le savoir ; il y a nous semble-t-il une différence entre libre administration des collectivités et de leurs œuvres et puis absence de protection due à une lacune de la loi…
- Concernant les inventaires, un point nous parait faible : l’acte d’achat et sa date sont visés mais pas les conditions de détention notamment celles imposées par les donateurs ; ces conditions restent au fond des dossiers et sont avec le temps oubliées ; ce sont la plupart du temps des conditions d’exposition ou bien de possession qui si elles ne sont pas respectées ouvrent un droit de résolution ou de rétrocession au profit des familles des donateurs; quelques contentieux ont vu le jour lesquels auraient pu être évités … Il en est de même des conditions émises par les financeurs et puis de celles résultant du mécennat…
- La procédure de déclassement a toujours été possible ; elle est désormais réglementée avec tout de même deux garanties : l’avis de la Commission scientifique nationale des collections des musées de France et aussi le droit de préférence de l’Etat en cas de vente par un propriétaire public d’un bien déclassé ; et puis il y a aussi le contrôle de l’exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels – article L 111-2 du CP.
2°) La loi n°2004-809 du 13 août 2004 a organisé la possibilité de transfert d’immeubles classés ou inscrits appartenant à l’Etat au profit des collectivités territoriales ; le transfert d’objets mobiliers est également prévu, ceux présents dans les immeubles mais également tout autre mobilier classé ou inscrit
Un décret du 20 juillet 2005 organise la procédure de transfert pour ce qui concerne les immeubles ; le transfert des meubles n’a pas été réglementé – voir RM Besson du 6 avril 2006 – Nous pouvons en être inquiet, d’autant que la loi de 2002 comme indiqué plus haut n’a pas non plus légiféré sur les œuvres d’art détenus par les collectivités territoriales.
Pour ces deux textes comme pour tous les autres textes concernant le Patrimoine, le lecteur ou l’utilisateur doit être très attentif au champ d’application ; à quel bien tel texte s’applique-t-il et a contrario auquel ne s’applique-t-il pas ? …aux Trésors Nationaux, aux meubles classés ou inscrits, aux biens des « Musées de France », aux biens culturels ou bien à toutes les autres collections publiques … et il y a aussi les acquisitions faites par les fonds régionaux d’art contemporain ou FRAC ; au sein d’un même organisme, on ne voit nulle part de distinction entre les œuvres majeures et les fonds de réserve non présentables. Avouons-le, il est parfois difficile de s’y retrouver sur l’application des différents textes aux différents biens…
Les inquiétudes
Dans les milieux artistiques et culturels, l’inquiétude est grande ; les biens publics sont-ils toujours suffisamment garantis ? La volonté des donateurs, inspirée par la confiance dans les institutions, est-elle toujours préservée ? L’Etat qui paye ou bien accorde des remises d’impôts y retrouve-t-il son compte ?
Sur la toile d’internet, des articles, éditoriaux et pétitions circulent et se multiplient pour dénoncer les risques engendrés ; le journal Le Monde du 13 décembre 2006, publie un texte, « Les musées ne sont pas à vendre », signé par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, dénonçant les récentes « dérives » des musées français et du Louvre en particulier avec la création du Louvre Abou Dhabi. Le journal Libération du 12 avril 2013 reparle du Louvre Abou Dhabi et de ses mille et un ennuis ; dans le Journal des Arts du 2 mai 2013 : « Inaliénabilité : coup bas porté aux collections ! » ; on y dénonce un prêt renouvelable de 300 documents anciens à la Corée du Sud qui déguiserait une véritable restitution. Le château de Versailles, avec ses 60 000 œuvres dont 7 000 peintures, affiche désormais une politique volontaire en faveur des transferts…
On parle, tout de même de façon un peu outrancière, ici de marchandisation de la culture et là de tentative de déréglementation du système d’inaliénabilité et de déclassement des œuvres …
Le 1er août 2007, le nouveau président Sarkozy demande dans une lettre de mission au ministre de la culture que soit engagée une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, « sans compromettre naturellement le patrimoine de la nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux » ; le ministre confie à M. Jacques Rigaud le 16 octobre 2007 le soin de conduire une mission de concertation, de réflexion et de proposition destinée à éclairer les choix des pouvoirs publics sur ce sujet essentiel ; le 6 février 2008, Jacques Rigaud émet son rapport sur l’état de la situation dans ce domaine et il évoque la politique et donc les risques ressentis par la plupart des personnes auditionnées de déclassement et même d’aliénation de certains biens.
Suite au rapport Rigaud, nous avons pu assister à une sorte de renoncement des pouvoirs publics à une politique d’aliénation des œuvres, mais cela jusqu’à quand ?
Depuis ces deux lois de 2002 et 2004, les administrés par l’intermédiaire de leurs parlementaires se sont montrés inquiets de la situation ; de nombreuses questions ministérielles tombent régulièrement sur le bureau du ministre de la culture pour demander des éclaircissements ; sur cinq questions – 14222 du 15 janvier 2008 – 14807 du 15 janvier 2008 – 03091 du 17 janvier 2008 - 15539 du 29 janvier 2008 – 17747 du 26 février 2008 – le ministre répond à chaque fois et tous ensemble au moyen d’un texte identique !
Inquiétude pour ce qui concerne les œuvres d’art acquises ou restaurées avec des deniers publics, celles de l’Etat qui sont en fait assez bien garantis par le label « Musée de France » mais aussi et surtout celles des collectivités locales, des établissements publics et aussi des associations qui ont pu être subventionnées pour acquérir ; y a-t-il un suivi dans l’utilisation des deniers publics ; les dossiers d’acquisitions dits d’investissement sont souvent bien tenus ; mais l’organisme payeur émet-il des contreparties au paiement, de détention, de conservation, de présentation au public ; ces conditions sont-elles inventoriées pour être véritablement appliquées …
Inquiétude pour tout ce qui concerne les cessions, les transferts et les déplacements des œuvres, qu’ils soient temporaires ou définitifs. Nous connaissons déjà les risques de révocation des donations et legs faits d’œuvres d’art quand les donataires ou légataires qu’ils soient particuliers ou collectivités publiques ne respectent pas les conditions imposées par exemple pour l’exposition, l’utilisation ou la conservation des biens ; un deuxième motif de révocation risque de se produire, au fait que les cessions, transferts ou déplacements, bien que autorisés par la loi, ne soient contraires aux vœux des donateurs attachés à l’inaliénabilité des biens ; inquiétude sur les conditions des transferts surtout au sein des collectivités locales et puis à l’étranger.
Inquiétude enfin sur la méthode législative : aujourd’hui tout est permis, le déclassement, le prêt, le transfert ou la cession, le contrôle ne se faisant que par des commissions ou des administrations ; le contrôle donc ne se fait plus par les textes mais par les hommes ; et l’on sait que les hommes peuvent changer ; le ministre de la culture nous indique dans sa réponse ministérielle Besson n° 21132 du 6 avril 2006 qu’il n’y a que trois dossiers de transfert de collections mobilières faits au titre de la loi du 13 août 2004 ; mais désormais rien n’empêche et surtout pas les textes que dans un avenir proche ou lointain il y ait non plus 3 mais 30 ou même 300 dossiers de transfert ; dans sa réponse ministérielle Habib n°17748 du 1er juillet 2008, le ministère fait siennes les recommandations de la mission Rigaud : nous en prenons acte, mais il ajoute qu’une réflexion était en cours – projet ou proposition de loi ? – sur la composition de la commission scientifique « afin que soient mieux prises en compte les demandes éventuelles de déclassement des œuvres d’art... » ; enfin, par une question n°109362 du 24 mai 2011, Mme Marland-Militello demande au ministre combien de transferts ont été approuvés en vertu de l’article 451-8 du code du patrimoine, quels biens culturels ont été concernés et quels musées de France ont pu en bénéficier ; cette question est restée sans réponse et a été retirée le 19 juin 2012 en fin de mandat du parlementaire !…
En conclusion, soyons des observateurs attentifs de nos biens culturels et de nos objets d’art dans les collections publiques ; d’une façon directe c'est-à-dire visuelle, mais aussi de façon indirecte, soyons attentifs à toutes les règles administratives, juridiques ou financières qui les entourent, à toutes les modifications envisagées et même aux simples tentatives, car il y va d’une protection réelle, pour une meilleure conservation et pour une véritable pérennité des œuvres dans le temps.
Le ministère de la culture annonce en ce printemps 2013 une nouvelle réforme législative en vue d’un « dépoussiérage » du Code du Patrimoine, pour le rendre « plus cohérent » et pour que le patrimoine devienne le « vecteur d’une politique d’avenir » ; alors, faisons là encore attention à cet effet d’annonce, aux formules employées et puis aux résultats escomptés …
YDF - Mai 2013-
P.S. : L’ordonnance numéro 2017-1134 du 5 juillet 2017 ajoute au titre II du code du patrimoine un chapitre 5 intitulé « Transfert de propriété de biens culturels entre personnes publiques » ; le nouvel article L.125-1 dispose qu’une personne publique, après approbation de l’autorité administrative compétente, pourra transférer à titre gratuit à une autre personne publique, sans déclassement préalable, la propriété d’un bien culturel mobilier ou d’un ensemble de biens culturels appartenant à son domaine public, pour la meilleure conservation des biens ou pour un autre motif d’intérêt général.
Ce transfert ne peut porter sur les archives publiques, sur les biens donnés ou légués à la personne publique lorsque le donateur ou le testateur s’est opposé dans l’acte de donation ou le testament à une substitution de gratifié, ou sur les biens remis à l’Etat en application des articles 1131 et 1716bis du code général des impôts.
Voilà bien une rédaction malicieuse d’ordonnance ; il ne suffirait donc pas de nommer expressément la personne publique pour qu’elle en soit définitivement destinataire, non plus de rappeler l’inaliénabilité et imprescriptibilité de l’article L. 3111-1 du CGPPP ; il faudrait ou plutôt il aurait fallu de façon prémonitoire dire dans l’acte lui-même et non pas postérieurement que le transfert entre plusieurs personnes publiques, pour le cas où une loi l’autoriserait, celui-ci serait alors impossible à réaliser !! ….
L’ordonnance doit faire l’objet avant le 1er janvier 2018, d’un décret d’application … Continuons donc à être vigilants …
Août 2017