La théorie de la continuité des rivières

 

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Nous voulons parler ici de la continuité dans l’écoulement de toutes les eaux dites douces ou continentales, depuis l’arrosage des terres par la pluie jusqu’aux embouchures des fleuves et des rivières ; ce parcours des eaux est un des thèmes environnementaux actuellement développés ; il nous a paru utile d’en reprendre certains points pour montrer la complexité du problème, avec les difficultés rencontrées et parfois les paradoxes.

Les textes, les interlocuteurs :

Les textes en présence sont : la directive européenne 2000 /60, le code de l’environnement avec tous ses articles L210-1 à L219-18, et puis la loi nouvelle numéro 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ; enfin notons deux précisions, la journée du 2 décembre dernier de la COP 21 a été consacrée à l’eau, aussi une journée mondiale de l’eau, organisée par l’ONU, a lieu le 22 mars de chaque année.

Dans chaque bassin hydrographique, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux avec son programme de mesures, et le plan de gestion des risques d’inondation fixent pour 6 ans les objectifs à atteindre et les mesures à mettre en œuvre.

L’interlocuteur principal dans le domaine abordé est le Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, qui actuellement lance un appel à projet sur une stratégie nationale pour la biodiversité, et aussi l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques ou ONEMA dont le site internet onema.fr est à examiner avec attention pour bien comprendre l’enjeu actuel du sujet : voir le thème 22-3 des recherche, développement et innovation intitulé : « Préservation, restauration et réhabilitation des milieux aquatiques » ; certaines expressions nous font un peu peur : on y parle par exemple de « reconquête des milieux aquatiques » et puis d « action ambitieuse de restauration » .

L’Histoire :

L’histoire de l’humanité a, depuis toujours, été dans le contre sens de cette notion de continuité des eaux ; l’homme s’est très régulièrement installé le long des rivières, pour sa consommation, sa cueillette – la pêche – et pour ses activités de circulation ou de production. L’eau et puis une certaine pente, la gravité, ont été, depuis la préhistoire, une source importante d’énergie ; les activités humaines y furent et y sont encore tellement nombreuses qu’il parait difficile de les énumérer toutes ; pour cela et selon le cas, il fallait retenir les eaux, les stocker, ou bien les canaliser ou encore les détourner de leur tracé d’origine, parfois les consommer et donc en restituer moins que le prélèvement réalisé.

Désormais, on nous demanderait donc de faire l’inverse, de remettre les lieux en leur état initial ; que de chemins parcourus depuis l’origine, avec tous ces barrages, ces étangs, ces canaux, etc ; et désormais que de difficultés nous attendent pour une « remise en état » . Alors jusqu’où aller ou plutôt jusqu’où veut-on nous emmener ? A quel stade d’origine se placer ? L’objectif général est plus ou moins évoqué ; il est très idéaliste ; les objectifs pris individuellement ne sont pas connus ; ils sont inquiétants, vu certaines conséquences que l’on pourrait dès à présent imaginer.

L’histoire des ouvrages hydrauliques fût de tout temps accompagnée de multiples réglementations : celles sur la domanialité des eaux, sur les prises d’eau et son usage, sur les créations de plans d’eau et d’étangs ; la réglementation des droits des riverains, celle de la pêche, de l’extraction d’une matière première – les gravières, les sablières – L’ancien régime avait émis des ordonnances dès 1566 et 1669 ; la Révolution Française et l’Empire, par réaction antiféodale, s’étaient montrés très libéraux avec l’article 544 du code civil ; le régime juridique des eaux a été refondu par une loi du 8 avril 1898 puis dernièrement par celle du 16 décembre 1964 ; nous sommes donc déjà et depuis longtemps dans un secteur fortement réglementé.

De plus, les exploitations ou activités humaines ont depuis toujours fait l’objet ponctuellement d’une autorisation administrative ou d’une déclaration préalable ; l’obligation de remise en état des terrains en fin d’exploitation résulte d’un décret du 20 septembre 1971 et d’une circulaire du 15 septembre 1972.

Les mesures de police ont toujours existé, avec notamment l’ancien article 134 du code rural sur la suppression des étangs insalubres ; les maires et les préfets exerçaient conjointement les mesures, le préfet assurait le « libre cours des eaux ».

Les propriétaires de biefs et de plans d’eau à qui les administrations ont demandé parfois avec insistance la preuve de leur titre – quelquefois très anciens remontant à l’ancien régime – pour sans aucun doute à l’époque les reconnaître, désormais devraient tout abandonner …

La continuité des eaux n’est pas une notion nouvelle ; ce problème était déjà bien connu pour la remontée des eaux par les salmonidés ; depuis bien longtemps, les propriétaires d’ouvrages hydrauliques avaient l’obligation de créer des échelles ou passes à poissons ; alors est-ce à dire aujourd’hui que ces échelles n’étaient pas efficaces ; ou bien que toutes les espèces de poissons n’étaient pas en mesure de les utiliser ; des explications sur ce point nous paraissent nécessaires…

L’enjeu du problème

Nous sommes évidemment conscients et favorables à une amélioration sensible de notre système actuel, une amélioration de la qualité de l’eau, une meilleure protection de la faune et de la flore ; nous sommes favorables au principe de la continuité des eaux, donc à ne pas créer de nouveaux ouvrages qui iraient à l’encontre de ce principe – voir l’article L 214-17 du code de l’environnement, disposition pour un  temps déclarée anticonstitutionnelle - , mais de là à remettre en cause tous les ouvrages antérieurs !!! Cela est de la pure idéologie !!! Seuls les ponts seraient-ils donc encore autorisés !!! A la condition sans doute de ne pas modifier ou réduire le passage de l’eau !!!

Devant de tels excès, nous pourrions dans nos propos tomber dans d’autres excès ; en vérité, dans le doute actuel, il y aurait de quoi s’inquiéter ;  aussi, les autorités compétentes ne devraient-elles pas donner sur ce point une réponse officielle pour très certainement rassurer les personnes concernées ou intéressées !

La continuité des eaux, a priori et contrairement à ce qui est dit parfois - pour peut-être créer des amalgames - ne sert pas à la pureté des eaux ; celle-ci peut être obtenue et conservée malgré les ouvrages hydrauliques ; il s’agit tout de même de contrôler les activités humaines déployées dans et autour de ces ouvrages ; la continuité des eaux sert essentiellement à la circulation de la faune aquatique ; un moulin des 16ème – 17ème – 18ème siècles possédant encore tout son mécanisme de meunerie, avec sa dérivation et son bief, doit-il être neutralisé et même détruit pour appliquer les causes nouvelles en faveur de la faune aquatique ? Le danger pour la faune est-il important à ce point ? Ce qui est sûr désormais est que le danger se trouve reporté sur le moulin, et puis il sera double encore si la cause devait être entendue d’avance sans aucune réflexion de fond, aucune discussion contradictoire, aucun consensus émanant de la Société toute entière – enquête publique, référendum local ! –

Certains ajoutent au problème de la continuité des eaux, celui du transport des alluvions, dénommé aussi continuité sédimentaire : l’homme, là encore, ne devrait pas modifier, interrompre ou accentuer, le transport des limons ou des graves et moraines ; il ne devrait même pas protéger les berges par des enrochements ou des palplanches ; ces ouvrages, lit-on sur le site d’ONEMA, « empêchent les cours d’eaux qui en ont de la capacité de se recharger en matériaux ; l’énergie des écoulements ne peut plus se dissiper par le transport de la charge de fonds ; elle est reportée en aval, aggravant les phénomènes d’érosion sur le fond du lit ou sur les berges » .

L’action de l’homme

En vérité, tout ce qui a été fait par l’homme ne l’a pas été forcément à l’encontre de la nature. Que l’on arrête d’opposer l’homme à la nature ; celui-ci a été responsable de mauvais traitements mais cela est, semble-t-il, de moins en moins le cas ; une prise de conscience existe tout de même ; un regret cependant que cela se fasse un peu tard … Et puis que l’on arrête aussi de créer des tensions entre le public et le privé !

Accuser l’homme, c’est s’orienter immanquablement vers des contraintes pour obligations de police et vers la répression…

L’homme, depuis toujours et sans contestation, a modifié le système hydraulique : il a plutôt développé le réseau intérieur des eaux, a multiplié les berges et de cela, le paysage ne peut qu’en être satisfait ; vu autrement, il a modifié le réseau de circulation de la faune aquatique, mais sans pour cela le diminuer ni le détruire comme cela a été dit.

L’Etat :

Un inventaire des ouvrages hydrauliques serait un travail colossal mais il serait intéressant de connaître la part incombant aux propriétaires privés et celles incombant aux collectivités publiques et à l’Etat ; dans le cadre d’une remise en cause de tout ou partie de ces ouvrages, qui sera le plus impacté , les personnes privées ou bien l’Etat, ce dernier étant l’auteur de la plupart des plus grands ouvrages, de tous les canaux, de tous les barrages productifs d’électricité ; l’Etat est prêt à imposer une nouvelle réglementation contraignante mais est-il prêt à la supporter lui-même ; un doute apparait avec la loi du 8 août 2016, avec la création de l’agence française de la biodiversité car la moitié des membres du conseil d’administration seront des représentants de l’Etat ; voilà ce qui s’appelle être à la fois juge et partie.

   L’Etat a dans le passé pris des initiatives ayant des incidences sur l’eau, il a émis de véritables politiques concernant l’assèchement des marais, puis concernant les loisirs autour des plans d’eau ; en viendrait-il aujourd’hui à soutenir l’inverse ?

Le canal du Midi est un ouvrage assez extraordinaire en ingéniosité pour y maintenir constamment tout au long du tracé à chaque altimétrie un certain niveau d’eau ; il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996 ; lui aussi, bien que faisant partie intégrante du paysage d’Aquitaine, ne favorise pas la continuité des rivières qu’il croise.

Et puis que faire pour l’usine marémotrice de la Rance, pour le barrage de Serre-Ponçon, et pour toutes les écluses des voies navigables, des ascenseurs à péniches, etc ? Quel sort donner à l’avenir du projet très avancé de canal Seine-Nord ?

D’une façon plus générale, les canaux vont tous à l’encontre de la théorie développée ; en tant que voies de communication, ils sont du ressort de l’Etat ; que va-t-il se passer pour eux ? Va-ton devoir rayer de la carte de France l’ensemble de ce réseau de voies navigables créé pour l’essentiel au cours des 18ème et 19ème siècle et qui a été en son temps un élément important dans la circulation des marchandises et des hommes, sans même parler de l’expression « source de progrès » qui aujourd’hui deviendrait semble-t-il, pour certains, inapproprié.

 Le paysage :

A vrai dire, le paysage ne fonctionne pas du tout comme l’écologie.

Il nous suffit ici de citer le professeur Jean Robert Pitte auteur de Histoire du paysage français, de la préhistoire à nos jours, page 19 de l’édition Taillandier : « Pour résumer, le paysage est donc l’expression observable par les sens à la surface de la terre de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture de l’homme. Il est essentiellement changeant et ne peut être appréhendé que dans sa dynamique, c’est-à-dire dans le cadre de l’histoire qui lui restitue sa quatrième dimension. Si l’écologie rappelle que la nature a ses lois fondamentales et qu’il en coûte de les transgresser, l’histoire enseigne que l’homme a ses raisons que la nature ignore. Le paysage est acte de liberté …. »

Alain Corbin poursuit : « Le paysage est façon d’éprouver et d’apprécier l’espace. Or cette lecture, qui varie selon les individus et les groupes, ne cesse de se modifier au fil du temps… »

Comme on peut le voir, l’approche du paysage est très subjective et elle intègre l’action de l’homme, ce que l’écologie poussée à l’extrême se refuse de faire.

Avec la mise en place de la continuité de l’eau, le paysage perdrait beaucoup, la plupart des eaux dormantes, les canaux etc… en fait de nombreux endroits où se réalisent harmonieusement la juxtaposition et même le contact étroit et direct entre la végétation et l’eau.

Des problèmes juridiques :

Une prise d’eau, une dérivation, un plan d’eau autorisé par l’Etat il y a plusieurs siècles pourront-ils être aujourd’hui remise en cause ; une loi nouvelle peut toujours défaire une loi ancienne, mais deux interprétations, deux règles de droit ici s’opposent : celle ne pas modifier les situations antérieures par soucis de non rétroactivité ou bien celle de les modifier tout de même par application de l’effet immédiat de la loi nouvelle ; la loi du 8 août 2016 donne un élément de réponse concernant la réparation du préjudice écologique : l’action se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique – article 2226-1 nouveau du code civil ; alors pour notre thème, cela sera sur dix ans ou bien sur plusieurs siècles ?

Toujours sur le plan juridique, une étude préliminaire approfondie serait nécessaire pour analyser une réforme éventuelle au regard de différents points de droit : l’inconstitutionnalité, la défense des droits de l’homme, la rétroactivité, les règles de prescription, etc …

Il ne servirait à rien d’avancer plus loin dans les recherches environnementales si l’analyse juridique conclue ou privilégie le statu quo.  

Les paradoxes sur le sujet existent, en voici quelques-uns :

-          Demandes de fermetures de certains étangs , même anciens, et en parallèle créations à tout-va de bassins de rétention pour lutter contre le ruissellement des eaux provenant des terrains agricoles ; les premiers n’auraient semble-t-il que des aspects négatifs alors que les autres seraient en tout point positifs, écologiquement parlant bien entendu.

-          Demandes de fermeture de certains étangs et en parallèle demande de remise en état de zones humides ; mais les étangs ne sont-ils pas en soi des zones humides !

-          Serait-il vraiment possible que le ministère de l’Environnement et de l’Energie menace de fermeture les ouvrages hydrauliques producteurs d’énergie ?

-          La loi du 8 août 2008 s’intitule pour la reconquête … des paysages, alors que la mise en place d’une politique de continuité des eaux pour nous constituerait une destruction de certains paysages.

-          Les règles relatives à l’écologie et celles sur les paysages étant en opposition, comment le ministère de l’Environnement va-t-il pouvoir gérer sereinement le tout à la fois !

-          L’on voudrait étendre les zones de circulation de la faune sauvage, alors que en parallèle, on réduit celles des hommes par plusieurs interdits dus à la loi littoral, à la création de zones de protection et puis de « sanctuaires » réputés inaccessibles.

Et puis quelques mises au point sont nécessaires:

-          La ripisylve – formation boisée le long des cours d’eau - est un phénomène purement agricole ; les arbres en fait proviennent d’une régénération naturelle parfaitement irriguée et que l’homme n’a pas su entretenir par le fauchage ; ce point est identique aux talus ou aux bordures des champs où les haies vives ont proliféré un peu par « négligence » ou bien comme des « délaissés » et puis aussi dans le but d’en tirer du bois de chauffage ; ces points ne sont pas purement naturels hors de l’action humaine comme cela a pu être dit.

-          Les plans d’eau, au moins ceux créés par l’homme, sont critiqués car compte tenu de la surface d’échange à l’ensoleillement, ils participent au réchauffement des eaux stagnantes ; pour être complet, il faudrait ici ajouter que la ripisylve participe elle au rafraichissement des cours d’eau qu’elle entoure ; alors au lieu de vouloir fermer des plans d’eau du fait de la critique émise, ne pourrait-on pas inciter à la ripisylve un peu partout…

-          L’action de l’homme n’a pas toujours été réalisée à l’encontre de la nature ; les ouvrages hydrauliques qu’il a créés certes pour ses propres besoins n’ont pas toujours été réalisés à l’encontre de la qualité de l’eau et à l’encontre des espèces animales ou végétales ; ces points sont importants car ils conditionneraient les pourparlers à venir.

Enfin, des problématiques sont à résoudre :

-          De ne pas prendre de front les propriétaires des ouvrages hydrauliques ; les contentieux sont à éviter ; cela nous rappelle le passage en force de la loi littoral pour ce qui concerne les servitudes des sentes piétonnes en bord de mer ; cela avait généré de nombreuses difficultés, de nombreux contentieux et une opposition marquée des populations concernées à l’égard de leurs administrations.

-          Sur notre sujet, d’éviter l’anachronisme, les oppositions liées à des périodes historiques différentes, ne pas revenir sur la notion d’état de nature cher à Jean Jacques Rousseau, ne pas renouveler une querelle des anciens et des modernes.

-          De toutes les façons, respecter l’équité dans les actions, entre l’Etat, les collectivités publiques et les propriétaires privés, entre les propriétaires eux-mêmes, entre les régions ou ici les bassins versants, entre ceux qui accepteraient et ceux qui n’accepteraient pas et feraient de la résistance, etc …

En conclusion,

D’une part, il nous faut tous admettre que l’on ne saurait revenir à une nature vierge ,

D’autre part, que le paysage depuis ses origines est en perpétuel changements ,

Alors, devant ces constats, comment exiger de notre société le retour à la continuité intégrale des eaux de rivières, telle qu’elles étaient à l’origine ; comment donc vouloir ainsi effacer toutes les activités humaines et  riveraines d’autrefois et aussi d’aujourd’hui, comment vouloir appliquer ce qui ne peut être et rester en fait qu’une simple théorie

 

                                                                                                      Yves Duboys Fresney

                                                                                                      Septembre 2016

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