Le chalutier « Ginette Le Borgne »
premier départ pour Terre Neuve
premières photos
Le chalutier « Ginette Le Borgne » est construit en 1947 aux USA aux chantiers Bath Iron Works à Quincy Massachusetts dans l’Etat du Maine USA ; il fait partie avec le "Colonel Pleven" "Bassilour" "Heureux" "Finlande" et "Minerva » d'une série de six chalutiers construits pour le compte du gouvernement français et attribués à différents armateurs au titre des dommages de guerre.
Ses caractéristiques sont les suivantes : longueur 68m, largeur 11,75m, creux 6,30m, jauge brute 1437,19 tonneaux, jauge nette 762,67 tonneaux muni d’une machine de 1300 chevaux en puissance effective – moteur Burmeister et Wain de 1 100 cv - ; l’équipage est de 61 hommes.
II Il est inscrit à Fécamp le 14 avril 1948 sous le numéro F 1061; et francisé à Fécamp le 17 avril 1948 sous le numéro 3057, appartenant à la Société Havraise de Pêche [1] , 3 rue Casimir Périer Le Havre, laquelle dépend de la Compagnie Charles Le Borgne et travaille en liaison avec la Société Fécampoise de Pêche - ; il prend le nom de sa marraine [2] .
L’inscription Maritime nous donne des informations sur ses déplacements et ses activités :
- Armement à Fécamp le 14 avril 1948
- Désarmement au Havre le 9 février 1949
- Armement au Havre le 11 février 1949
- Désarmement au Havre le 31 décembre 1949
- Armement au Havre le 11 février 1950
- Désarmement au Havre le 28 décembre 1950
- Armement au Havre le 19 février 1951
- Perdu corps et biens à Terre Neuve le 21 mai 1951
- Désarmement – définitif - le 16 août 1951
Les capitaines furent successivement :
- En 1948 : Féron puis Morgan
- En 1949 : Trefield puis Heuzé
- En 1950 : Rique puis Guerrant
- En 1951 : Lecan
Le patron de pêche était Emile Friboulet de 1948 à 1951 ; l’on pratiquait encore sur ce navire un système plutôt désuet avec un capitaine qui conduit le navire d’un point à un autre, remplissant le rôle des « pilotes » d’autrefois et un patron de pêche [3] qui dirige la pêche, qui manœuvre, qui traite avec les armateurs, qui embauche l’équipage, etc… En fait c’est ce dernier seul qui commande, mais c’est le capitaine qui est le seul responsable devant la loi et qui en cas d’accident, comparaîtra devant le tribunal [4] …
Le départ de Fécamp pour Terre Neuve n’eut lieu qu’une seule fois lors du premier armement le 14 avril 1948; l’évènement est unique, un témoin est là, Louis Piquet, le grand père du signataire, avec son appareil photo ; sur la première photo, le navire est à quai à côté du « Cap Fagnet » qui s’approvisionne en sel [5] ; puis il y a le départ, le passage entre les jetées et enfin l’éloignement vers l’ouest.
Le 19 février 1951, le chalutier part du Havre pour ce qui sera son dernier voyage ; le 24 mai 1951, alors qu’il était en pleine mer dans les parages de Terre Neuve et dans le brouillard – à 200 km au sud de Cap Race – 46° 02’ 8 de latitude nord et 51° 59’ 6 de longitude ouest - , il fut abordé en plein travers par le « Jacques Coeur » [6] et il sombra rapidement en se couchant sur babord ; sur les 61 membres de l’équipage, il y eut 2 morts et 10 disparus, soit noyés par congestion soit assommés par le matériel de pêche tombant du bâtiment quand il s’est couché ; une seule baleinière a pu être mise à l’eau mais les baleinières du Jacques Cœur ont recueilli plusieurs rescapés ; trois sont inanimés à bord, l’un d’entre eux un mousse ayant repris connaissance ; le chalutier « Minerve » participe aux recherches ; le Jacques Cœur avait des avaries peu graves : l’avant écrasé mais aucune brèche ; les navires ne se sont vus que trop tard et pour des navires qui trainent un chalut, les manœuvres de dernière minute sont inefficaces.
« L’Aventure » avec à sa tête le commandant Blanchard en charge de la Station Navale de Terre Neuve se retrouve rapidement sur les lieux ; un procès-verbal est dressé à partir des premiers témoignages – voir en annexe - ; il servira aux autorités judiciaires ; le commandant Blanchard reprendra en détail son intervention dans un livre « L’Aventure et ses terre-neuvas ».
« La Ginette » sera reconnue coupable ; elle était en réalité sur un banc de poisson, en pleine activité de pêche et ne voulant sans doute pas se faire repérer, ne répondit pas aux appels dans la brume ; un vitrail a été offert à la chapelle Notre Dame du Salut en mémoire de ces marins morts ou disparus.
Les marins revenus en France sains et saufs ont été réembarqués la même année sur le navire « Saturnia » de la Société Havraise de Pêche. Ces marins firent donc sur les deux navires sept mois et douze jours et avaient droit à une bonification de durée sur leur retraite ; en effet, six mois de navigation dans les parages de Terre Neuve comptaient comme s’il y avait eu douze mois de navigation ; un litige s’éleva entre les Invalides de la Marine qui réclamèrent des cotisations en conséquence sur douze mois et l’armateur qui selon les textes défendait que les six mois de navigation devaient être réalisés sur un seul et même navire ; le tribunal du Havre juge en faveur de l’établissement des Invalides, la cour d’appel de Rouen également en date du 18 mai 1956, la cour de cassation rejette le pourvoi de l’armateur en date du 9 juin 1960.
Yves Duboys Fresney
Voir : Journal Le Patriote du 26 mai 1951
Journal "Le Marin" n° 246 du 22 février 1952
Registres de l’inscription maritime
Rapport du Commandant Blanchard sur l’abordage du 24 mai 1951 – voir en annexe -
« L’Aventure » et ses terre-neuvas par le Commandant Blanchard Edition France Empire 1952 chapitre Naufrage pages 59 à 72
Remerciements à Jack Daussy pour sa contribution.
[2] Un premier « Ginette Le Borgne » existait dans les années 1930, un cargo attaché au port d’Oran – peut-être avait-il été détruit pendant la guerre, d’où la reprise du même nom peu après – voir également le « Ginette Le Borgne » ex « Cap Nord » qui navigua de 1939 à 1944 -
[3] Ou subrécargue
[4] Extrait du rapport du commandant Blanchard ci-annexé.
[5] Le « Cap Fagnet » construit en 1930 en activité jusqu’en 1955, de l’armement Pêcheries de Fécamp immatriculé F 764 avec pour capitaine André Lecoeur – voir photo in fine - .
[6] Le « Jacques Cœur » de la Compagnie Générale de la Grande Pêche capitaine Jules Recher immatriculé F 1097, lancé en 1949, dénommé par la suite en 1963 « Groenland » puis « Nicolas Selles ».
Le Cap Fagnet approvisionné en sel avant son départ de Fécamp pour Terre-Neuve – avril 1948 -