Pour un nouveau contrat d’exploitation de la forêt
ou comment faire pour posséder et aussi faire exploiter une forêt par deux personnes distinctes
La forêt privée française a besoin d’une attention, d’une aide particulière ; les pouvoirs publics, les professionnels du secteur s’y emploient, mais nous pensons aussi que les économistes d’une part et les juristes d’autre part peuvent avoir des propositions à formuler, chacun dans leur domaine de compétence, pour améliorer et redresser la situation.
Les systèmes actuels d’exploitation de la forêt
Le propriétaire forestier est lui-même exploitant forestier
Ce type d’exploitation est traditionnel et historique, de cumuler sur une même personne la qualité de propriétaire et d’exploitant ; le propriétaire a toujours vécu près de sa forêt à laquelle il était souvent très attaché ; il la connaissait bien et puis savait comment faire pour l’exploiter ; la population rurale était dense et donc il y avait du monde pour s’en occuper.
Aujourd’hui, les temps ayant changé, les propriétaires ont pris des distances avec la forêt ; ils la connaissent moins bien, s’en sont éloignés et puis ont perdu les méthodes et les circuits d’exploitation. Le morcellement de la forêt constituera un facteur aggravant de la situation.
Une exception à cette « incompétence relative » existe toutefois avec les propriétaires professionnels, les groupements forestiers - articles L.241-1 à L.241-6 du CF - ou les sociétés d’Epargne Forestière - articles L. 214-84 à L. 214-88 du Code Monétaire et Financier - qui savent agir et s’entourer de conseils.
Le monde agricole a depuis longtemps subdivisé les deux fonctions de propriétaire et d’exploitant avec les tenures de l’ancien régime, puis désormais le statut du fermage.
L’exploitation par un expert forestier, une coopérative forestière ou un gestionnaire forestier professionnel
Pour les surfaces forestières supérieures à 25 ha, un plan simple de gestion ou PSG est obligatoire, et alors l’intervention d’un professionnel parait bien utile pour ce premier document de gestion mais également pour la suite des opérations préconisées par le plan.
Les professionnels agissent souvent sur mandat verbal et sur des opérations ponctuelles demandées par les propriétaires ; ils n’ont que très rarement un mandat général, une représentativité totale ; de nombreuses opérations forestières devenues nécessaires ne sont pas réalisées ; force est de constater que toutes les forêts de plus de 25 ha ne possèdent pas de plan de gestion ; que certains propriétaires acceptent les travaux provoquant des recettes mais pas forcément les autres provoquant des dépenses.
Il serait intéressant d’approfondir l’usage du contrat de 10 ans minimum prévu à l’article R 124-2 du CF, concernant les bois et forêts appartenant à des personnes publiques et ne relevant pas du régime forestier. Un tel contrat ne pourrait-il pas être aussi proposé aux propriétaires privés ?
L’exploitation par un système collectif
Il faut dans ce cas adhérer à l’un des trois types d’organisme suivants :
- L’association syndicale libre de gestion forestière ou ASLGF – art L 332-1 du code forestier
- L’organisme de gestion et d'exploitation forestière en commun - Article L 332-6 du CF
- Le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier - Article L 332-7 du CF
Les travaux sont alors décidés par l’organisme commun, selon les règles de majorité prévus aux statuts ; une fois votés, ils s’appliquent à tous …
L’exploitation par l’Office National des Forêts ou ONF
L’ONF est l’organisme gestionnaire des forêts publiques, celles domaniales de l’Etat, mais aussi celles de toutes les communes et autres collectivités locales ou établissements publics ; il s’agit d’une régie directe avec possibilité de sous-traiter certains travaux ou marchés par le biais d’adjudications publiques.
La gestion contractuelle de la forêt privée par l'Office national des forêts peut être envisagée - Article L 315-2 du CF -
Les liens juridiques possibles entre un propriétaire de forêt et son exploitant
La location
La formule la plus proche est celle du bail rural qui peut prendre deux formes particulières : le fermage et le métayage avec pour l’une des parties le bénéfice d’une récolte annuelle et pour l’autre un paiement soit en deniers ou en nature ; mais ces contrats visent les productions agricoles et non celle forestières – article L 411-1 du code rural -. De nombreux facteurs sont rapprochant mais un seul différencie vraiment : la durée de la culture : elle ne sera pas d’une annuité mais plutôt d’un siècle !
Le fermage est un type de bail rural dans lequel un propriétaire, le bailleur, confie à un preneur, le fermier, le soin de cultiver une terre sous contrat et moyennant une redevance ou fermage - article L 411-1 du code rural
Le métayage a pour condition le partage avec le bailleur des produits récoltés – article L 417-1 du code rural – partage au tiers de la récolte pour le propriétaire, mais pour lui sans frais à payer.
Echappent au statut du fermage les conventions portant sur l’utilisation des forêts ou des biens soumis au régime forestier (forêts publiques) – article L 411-2 du code rural – En revanche, il n’est pas interdit aux parties de soumettre au statut du fermage des biens qui normalement auraient pu ne pas l’être – voir pour des parcelles de bois et forêts : cass civ 3ème ch 17 juin 1987 -
L’affermage forestier existe au Canada ; nous allons par ailleurs tenter de l’analyser.
La prestation de service
C’est une convention par laquelle une personne s’oblige contre rémunération à exécuter pour l’autre partie un travail déterminé, à mettre à la disposition de son co-contractant son savoir-faire dans un domaine spécifique, sans le représenter et de façon indépendante – article 1710 du code civil – Un décret du 27 octobre 2005 sur le travail dissimulé, prévoit une liste de pièces à demander lors de la conclusion d’un tel contrat , article R324-4 du code du travail -
Le contrat d’entreprise doit préciser les travaux à faire, leur durée et les modalités de leur rémunération
Le mandat de gestion
Le propriétaire d’une exploitation peut toujours en confier la gestion à un mandataire rémunéré, une sorte de régisseur qui agit toujours pour le compte de son mandant, conformément à l’article 1984 du code civil ; mais attention d’une part à la présomption de salariat et d’autre part à la dissimulation d’un bail …
Le contrat de promotion immobilière
Article 1831-1 du code civil : c’est un mandat d’intérêt commun par lequel une personne dite promoteur s’oblige envers le maître d’un ouvrage à faire procéder pour un prix convenu, au moyen de contrats de louage d’ouvrage, à la réalisation d’un programme, ainsi qu’à procéder elle-même ou à faire procéder, moyennant une rémunération convenue, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives et financières concourant au même objet. Ce promoteur est garant de l’exécution des obligations mises à la charge des personnes avec lesquelles il a traité au nom du maître de l’ouvrage … Si le promoteur s’engage à exécuter lui-même partie des opérations du programme, il est tenu, quant à ces opérations, des obligations d’un locateur d’ouvrage ;
Article 1831-2 : Le contrat emporte pouvoir pour le promoteur de conclure les contrats, recevoir les travaux, liquider les marchés et généralement celui d’accomplir, à due concurrence du prix convenu, au nom du maître de l’ouvrage tous les actes qu’exige la réalisation du programme.
L’on pourrait très bien imaginer un nouveau contrat non pas de promotion immobilière mais de promotion forestière …
Le contrat de vente
Lorsque l’exploitant procède par lui-même à l’achat des coupes, le contrat s’analyse en une vente doublée d’une prestation de services ici anticipée ; on peut aussi parler d’un acte mixte ;
En résumé, si la charge et la responsabilité de la maitrise d’œuvre incombent toujours au propriétaire forestier , nous sommes certainement et seulement en présence d’une prestation de service ; si elles incombent à l’exploitant, nous sommes en présence d’une location foncière ; si l’exploitant est acquéreur des coupes de bois, nous sommes en présence d’une vente ; le contrat de promotion immobilière est cité ici à titre d’exemple pour se faire une idée de ce qu’un contrat spécifique ou « sui generis » pourrait donner en matière forestière.
Attention, la requalification en salariat entraine l’exigibilité de charges sociales, la requalification en prestation de service entraine la TVA ;
Vers un nouveau contrat d’exploitation
Les premières expériences
Les professionnels du secteur agissent très souvent et depuis toujours par accord verbal avec leur client ; un écrit devient de plus en plus nécessaire ; le contrat prend alors souvent la forme d’un mandat de gestion en vue d’exercer des missions ponctuelles successives.
La société Néo-Sylva située à St Etienne de Montluc – 44360 - propose un contrat spécifique d’une durée de 50 à 60 ans portant sur une surface forestière de 10 ha minimale et prévoyant : dès le départ la coupe rase des plantations existantes dont le produit reviendrait au propriétaire, puis une replantation régulière logiquement en résineux aux frais moitié du propriétaire et autre moitié de l’exploitant, les coupes intermédiaires et la coupe finale revenant moitié au propriétaire et moitié à l’exploitant ; le rachat du bois provenant des coupes se réalise par l’exploitant lui-même qui a un deuxième métier dans l’usinage et la commercialisation . La pratique et le sort donné à cette proposition de contrat sera intéressante à suivre pour connaître son impact et son efficacité.
La société Forêt-Solution située à Aubière – 63170 - fait également une proposition globale de services.
D’autres sociétés doivent certainement proposer des contrats ou services similaires ; il serait intéressant de les connaître et les comparer.
Une proposition de contrat-cadre
La loi pourrait elle aussi proposer un régime spécifique d’exploitation, comme cela existe dans le secteur agricole – le statut du fermage - et encore de la construction – le contrat de promotion immobilière - ; à défaut, les personnes intéressées peuvent toujours utiliser toute la panoplie contractuelle ainsi que la réglementation existante pour aboutir à un modèle de contrat tel que celui proposé ci-après :
Formule de contrat d’exploitation forestière :
Les caractéristiques du contrat en seraient les suivantes :
Exposé
- Justification du droit de propriété – effet relatif -
- Etat des inscriptions hypothécaires
- Plan de gestion en cours de la forêt
- Existence ou absence de contrats de location, de concessions, de droits usager, ou d’autres contrat de gestion ; de servitudes …
- Règles d’urbanisme et environnementales applicables
Convention
- Définition du contrat – qualification de location foncière ou de contrat d’entreprise ou de mandat général ou encore de contrat spécifique comprenant une vente de coupes de bois,
- Etat-civil complet des intervenants à l’acte, avec les pouvoirs spécifiques des représentants des sociétés – Attention, préciser ici qui a la qualification de maître d’œuvre - soit le propriétaire, soit l’exploitant, soit les deux à la fois ? avec solidarité ? –
- Déclarations générales de capacité civile et commerciale des intervenants
- Désignation complète des parcelles concernées – cadastre – joindre un plan -
- Durée du contrat : durée déterminée ou déterminable – à date fixe ou bien dès la coupe finale réalisée avec éventuellement une replantation immédiate – ou dès que x% des pieds atteignent un diamètre de xx centimètres.
- Reconduction possible du contrat – modalités – à prévoir ou à exclure -
- Prise en charge des documents de gestion – refonte nécessaire en cas de coupe rase initiale – renouvellement en cours de contrat selon les durées,
- Prise en charge des autorisations administratives – permission de voirie, autorisations de travaux ou de constructions - Autres tâches administratives – déclarations diverses, demandes de subventions, déclarations fiscales -
- Détail des travaux forestiers à réaliser – plantations, entretien des plantations, taille de formation, élagage, abattage – conditions de réalisation -
- Détail des coupes de bois à réaliser – à indiquer souvent en annexe – conditions de réalisation – sous-traitance ou pas – vente des coupes de bois, méthodes de ventes, exploitant acquéreur, possible ou pas, avec ou sans exclusivité –
- Le cas échéant, détail des aménagements à réaliser – place de dépôt, chemin d’accès, chemin d’exploitation, cloisonnement et desserte, clôtures et barrières -
- Calendrier des réalisations des travaux ou des coupes – les dates butoir –
- Prix ou redevance, en recettes ou dépenses, avec mode de fixation, modalité de répartition entre propriétaire et exploitant – 50% chacun ? ou 30 et 70% mais sans partage des charges ? - , modalités de paiement, paiement en deniers ou en nature – acomptes, échéances, cas de retard, intérêts de retard, report éventuel sur la prestation suivante, droit de rétention sur les coupes de bois – Attention, la rémunération en nature pourrait être un élément déterminant de la qualification même du contrat –
- Obligations du propriétaire : obligation de délivrer toutes informations utiles pour pouvoir exploiter, obligation de laisser le libre accès aux terrains, obligation de payer ses prises en charge,
- Obligations de l’exploitant : obligation de tout mettre en œuvre avec les meilleurs soins et diligences possibles - obligation de moyen – et non de résultat - fournitures de pièces justificatives tous les six mois, décret du 27 octobre 2005 -
- Obligations spécifiques : respect des lois et règlements – notamment du code forestier - respect des règles sur les coupes de bois – respect des documents de gestion – respect des normes environnementales, des pratiques de développement durable – norme PEFC -
- Responsabilité des lieux : soit au propriétaire (contrat d’entreprise), soit à l’exploitant (location foncière),
- Obligation d’entretien des lieux – chemins, layons, bordures et limites de voisinages, fossés et caniveaux : soit au propriétaire (contrat d’entreprise), soit à l’exploitant (location foncière),
- Obligations d’assurance – du propriétaire d’une part, de l’exploitant d’autre part – assurance responsabilité civile, assurance incendie et tempête, assurance pour les prestations de travaux forestiers et de coupes de bois,
- Sort de la chasse et autres activités,
- Cas de rupture de contrat pour force majeure : incendie, tempête, grève générale, guerre …
- Cas de rupture anticipée par accord réciproque,
- Autres cas de rupture avec ou sans indemnité,
- Cas de résiliation en cours de contrat pour non-respect d’obligations – fixation d’indemnités, clause pénale, sort des plantations - ,
- Cas de transmission de la propriété forestière – vente ou donation ou succession – poursuite ou non du contrat – pacte de préférence ou non en faveur de l’exploitant
- Cas de cession possible ou non du contrat en faveur d’une filiale – article L 233-3 du code de commerce - , ou même cession libre en faveur d’un tiers ?
- Cas de disparition de l’exploitant – décès ou liquidation – sort des plantations,
- Cas de litiges : arbitrage, conciliation, tribunal compétent,
- Fiscalité : prise en charge définitive des impôts locaux – option TVA sur le contrat – autres charges,
- Enregistrement du contrat au centre des impôts – date certaine -
- Publicité foncière du contrat – contrats de plus de 12 ans – opposabilité aux tiers – Intervention d’un notaire pour assurer cette publicité au fichier immobilier,
- Rédaction par un professionnel pour éviter des requalifications ou risques de délit – travail dissimulé, prêt de main d’œuvre illicite, marchandage interdit –
Annexes :
- Pouvoirs des signataires
- Statuts des sociétés et modèle K bis du registre du commerce
- Plan de cadastre
- Documents d’urbanisme ou environnementaux applicables
- Descriptif des travaux et des coupes par parcelles
- Budget prévisionnel – pour la compréhension du contrat, informatif, mais sans engagement réel sur les montants des recettes et des dépenses.
Il s’agit là d’une simple proposition de contrat d’exploitation d’une forêt, destinée à lister les dispositions applicables, à réfléchir sur l’équilibre d’un tel contrat, éventuellement à en ouvrir le débat.
Avec un contrat de cette nature, les propriétaires forestiers d’une part, mais les exploitants également pourraient trouver les bases d’un accord équitable pour à la fois valoriser le foncier et stimuler, au-delà de l’exploitant, le marché du bois ; intéresser tous les propriétaires y compris ceux des parcelles morcelées, et ainsi attribuer des ressources à tous selon un pourcentage qu’il sera important de bien fixer, si l’on voulait voir perdurer un tel système.
Yves Duboys Fresney