Les règles de voisinage
Le voisinage se règle en théorie de façon assez simple : il s’agit de créer une limite divisoire précise, verticale, acceptée par les riverains, de sorte que chacun puisse y exercer de part et d’autre, pleinement, son droit de propriété. Malgré ce principe relativement clair, la pratique réserve régulièrement des surprises que nous allons essayer de comprendre.
Les clôtures
Tout propriétaire peut clore son héritage (article 647 du code civil ou CC). L’on a dit que « les bonnes clôtures font les bons voisins » ! Le but est de délimiter avec précision et durablement une parcelle et puis d’en éviter l’intrusion ou à l’inverse de contenir les animaux courants.
Les clôtures sont de nature diverse : mur ou muret de pierre sèche, palissade, planches ou carrelis, poteaux avec fils de ronce, grillage, treillage, grille ou autre ferronnerie, haie, talus ou fossé, saut de loup ou « ha-ha », etc …
Un mur de clôture doit être aveugle ou orbe, ne pas générer de servitude de jours et vues sans le consentement du fond voisin ; seuls les jours de souffrance sont autorisés.
Les clôtures doivent dans la mesure du possible porter la marque de leur propriétaire ; à défaut de marques de non mitoyenneté de l’article 654 du CC ou de mention dans les actes, des litiges peuvent apparaître …. Les professionnels, notaires, géomètres, huissiers sont fréquemment sollicités à ce sujet.
Les marques de non mitoyenneté sont : les chaperons, les corbeaux, les filets ou larmiers …
En ville, une clôture peut être forcée, imposée par son voisin, article 663 du CC ; en campagne, les animaux d’élevage nécessite une clôture qui si elle est constituée de fils de ronce sera posée en retrait de 0,50 mètre ; en dehors de ces cas, un propriétaire peut ne pas vouloir de clôture, celles existantes pouvant être démolies et supprimées par leur possesseur, ce qui n’est pas forcément du goût du voisinage …
La mitoyenneté
Elle est gérée par les articles 653 et suivants du CC
La mitoyenneté d’une clôture ou d’un fossé est présumée (article 666 du CC), c’est-à-dire qu’elle s’applique à défaut de preuve contraire (marque ou mention dans les titres) .
Elle peut s’acquérir (articles 661 et 668 du CC) et puis s’abandonner (articles 656 et 667 du CC)[1].
Un mur mitoyen peut être exhaussé ou « roti » - article 658 du CC ; il doit rester aveugle sauf « jour de coutume ».
Les servitudes : sur le principe, elles portent légalement atteinte à la formule « chacun chez soi » ; elles sont régies par les articles 637 et suivants du CC, étant de diverses natures, soit légales, soit conventionnelles, apparentes ou non, continues ou discontinues ; nous y trouvons les servitudes de jours ou vues [2] , de passage, de tour d’échelle ou échalage [3] , relatives au droit de construire ou de planter, etc … Elles font parfois l’objet de relations délicates entre les deux voisins, celui du fonds dominant à qui profite la servitude et l’autre du fonds servant qui doit respecter, parfois subir la servitude.
Les relations normales de voisinage
Le caractère absolu du droit de propriété, prévu à l’article 544 du code civil, est aussitôt pondéré par un rappel concernant les situations abusives, exagérées ou anormales : « pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements ». La relation normale de voisinage est une notion plutôt subjective ; comment l’établir à l’égard les voisins immédiats d’un établissement de nuit ou bien d’un aérodrome ? Là encore, des litiges peuvent survenir en matière de bruit, de vue, d’ensoleillement, etc …
Lithographie de Amédée de Noé alias Cham (1818-1879) publiée dans Le Charivari
La situation particulière des terrains en pente
Les terrains en pente appellent deux précisions :
- Les propriétaires cherchent souvent à aplanir leur terrain ; le mur séparatif sert alors de soutènement : s’il retient un apport de terres du fond supérieur, il appartient à celui-ci ; s’il correspond à un creusement du fond inférieur, il appartient alors à ce dernier ; il faut parfois retrouver le niveau naturel du sol en pente pour savoir si l’on est dans le premier cas de surcharge ou dans le second de décharge.
- Les eaux de ruissellement constituent une servitude naturelle avec le fond supérieur dominant et le fond inférieur servant ; le premier fond ne peut de son fait aggraver l’écoulement naturel, le second ne peut de son fait également en empêcher l’écoulement (article 640 du CC) .
Les cas de constructions en limite de propriété
Les constructions en limite de propriété rendent la situation un peu plus complexe encore ; pour une construction en quadrilatère, la limite de voisinage peut exister sur un seul côté (secteur urbain diffus), sur deux côtés et même sur trois côtés (secteur urbain dense) ; en limite, les jours et vues ne sont pas autorisées sauf servitude valablement consentie par le fond voisin ; on pratique alors souvent le jour de souffrance (carreau de verre) ou le jour d’aplomb, zénithal.
L’écoulement des eaux doit se faire sur son propre fonds ou sur la voie publique (article 681 du CC) d’où des descentes de gouttière obliques sur les murs arrière ou latéraux, parfois même à l’intérieur des greniers !
Les toitures débordantes sont fréquentes surtout dans les régions pluvieuses ; on parle d’une avancée de toiture ou d’un enjambement qui constitue un empiètement et donc une atteinte au droit de propriété du voisin ; les gouttières doivent alors être posées au-dessus de son propre mur à la façon d’un chéneau ….
Enfin, l’isolation par l’extérieur pose problème : voir revue VMF numéro 276.
L’enchevêtrement d’une construction et d’un mur mitoyen
La situation d’une construction en limite de propriété en présence d’un mur mitoyen pose problème ; les différentes solutions requièrent un consensus de voisinage : soit l’adossement sur le mur, avec ou sans exhaussement, soit la suppression du mur à hauteur de la construction, soit une construction jointive qui sera en deçà de la limite … Un rachat de mitoyenneté peut être tenté ; dans tous les cas, ne jamais entamer les travaux sans un accord écrit de voisinage…
Deux constructions de part et d’autre de la limite peuvent aussi faire problème au niveau des fondations, des grilles de ventilation, des joints d’étanchéité … en cas de constructions de hauteur différente, le mur de limite est mitoyen jusqu’à la construction la plus basse ou héberge ; le pied d’aile est une bande mitoyenne de 0,33 m en limite de l’héberge ou en limite d’une cheminée.
Les cas de certains ouvrages particuliers
L’article 674 du code civil vise les constructions particulières de puits ou fosse d’aisances, de cheminée ou âtre, forge, four ou fourneau, d’étable, magasin de sel ou amas de matières corrosives ; des prescriptions spécifiques de construction ou de distance sont prévues dans les règlements et usages locaux pour, dit l’article, éviter de nuire au voisin.
Il est d’usage de laisser un espace libre ou « tour du chat » et d’établir un contre-mur.
Au final, ces règles de voisinages ne sont pas si évidentes que cela, au plan technique mais aussi humain : elles doivent suggérer auprès de chacun de nous des préventions plutôt que des règlements de comptes ; la bonne-entente avec ses voisins est assurément une nécessité sociale de premier ordre, sachant que selon un proverbe ancien « il n’y a point de terre sans voisins ».
Y.D.F.
[1] L’abandon vient évidemment à l’esprit quand votre voisin vous impose des frais sur un mur mitoyen en vertu de l’article 667 du CC.
[2] Servitude de vue droite – article 678 du CC - de vue oblique – article 679 -
[3] Vient de échelier ou échelle composée d’un seul montant central traversé par de grosses chevilles qui servent d’échelons.