Les gobes de Dieppe et du littoral cauchois
Ils sont tous là sur la plage, les habitants des gobes [1] que l’on appelle gobiers [2] , ils se nomment Duval à Yport, Vallin à Etretat, à Dieppe, ils sont plus nombreux, une trentaine de familles, les Prince, Malvillain, Hermelle, soit sous la falaise du Pollet soit du côté du casino [3] , vivant chichement dans un trou de falaise, une caverne, une grotte, tantôt naturelle tantôt creusée autrefois par l’homme pour en extraire de la marne, parfois jadis à usage des contrebandiers [4] .
Ils vivent là aux risques des tempêtes et des grandes marées ou encore les éboulis de falaise ; ils ne veulent pas se mettre ailleurs car ici ils sont au premier rang face à la mer nourricière, comme dans la loge d’un théâtre dont la plage serait la scène ; en vérité la scène se situe, fonction de la marée, tantôt sur la plage, tantôt sur le plateau de l’estran où, avec la marée descendante, débute pour quelques heures la fructueuse pêche à pied.
Les gobes sont sombres et humides, parfois sordides mais qu’à cela tienne ; pas de chauffage, pas de lumière, il suffira de quelques planches et d’une porte pour clôturer et s’approprier l’endroit.
Il leur a été proposé plusieurs fois d’aller vivre au fond de la valleuse entre quatre murs, mais pourquoi aller si loin de leur théâtre d’opération ; c’est le plus près possible qu’il faut s’installer, la plage est pour eux un lieu complet d’activités, avec la pêche bien sûr, un lieu de commercialisation des produits et puis un lieu d’observations, de conversations [5] et de distractions, pour les enfants surtout.
La plage et puis l’estran, c’est la manne, c’est la table quotidiennement servie par la Providence ; dès que l’eau se retire, il faut être là dans les tout premiers, il suffit de cueillir, comme l’été en campagne le ramassage des fruits, mais ici ce sera en toutes saisons, régulièrement tous les jours, il faudra parfois se lever tôt pour cela ; Dame Nature est très prolifique, la mer à chaque marée déverse sur l’estran une partie d’elle-même ; de nombreux animaux de toutes sortes se laissent à chaque fois prendre par les courants côtiers et par la marée ; il suffit de les retrouver dans les anfractuosités de la rocaille ou sous les algues que l’on soulève à l’aide d’un bâton, de faire courir les pousseux ou les lanets dans les mares ou les gorges.
Ici donc la nourriture est quotidienne, comme la marée ; quoi chercher de mieux et pourquoi donc aller ailleurs ; la pêche quotidienne correspond parfaitement à la nourriture quotidienne, le rythme de la marée est le même que celui de l’estomac.
Et quand la pêche aura été bonne, régulièrement bonne, et que l’on aura plus faim, alors on pourra faire des économies de façon à envisager dans quelques années l’achat d’un doris usagé, l’un de ceux qui aura fait plusieurs campagnes de pêche aux bancs de Terre-Neuve ; avec cet équipement, on multiple les pêches, par la pose quotidienne d’un ou plusieurs casiers ou encore d’un trémaille.
Ainsi vécurent pendant plusieurs années une population côtière, les gobiers, de façon très simple sans aucun doute mais peut-être heureuse malgré tout ! Et comment donc l’histoire des gobes de Dieppe se termina-t-elle ? En 1913, une inspection sanitaire fut diligentée et celle-ci conclut en la nécessité d’évacuer les lieux, les condamner et de reloger les familles occupantes…
Yves Duboys Fresney
Voir « Les habitations souterraines de Normandie » par G. Dubosc, 1900.
Notes :