La responsabilité des propriétaires de chemins de littoral
Malgré une apparence d’exonération, un propriétaire de chemin côtier peut très bien encourir une responsabilité particulière dans le cadre de l’usage par un tiers d’une servitude de passage de littoral située sur son propre terrain.
Entrons donc dans le détail de cette question :
Les risques encourus :
Les risques engendrés par l’ouverture d’une servitude de passage sont de diverses natures :
- Risque d’accident,
- Risque de chute d’objets, arbres, rochers …
- Risque de pollution, déchets, incendie
- Risque d’activités nuisibles (musique, repas…)
- Risque de dégradations, de vols …
Les responsabilités pouvant être engagées sont :
- Soit civiles : celles des concepteurs, des installateurs, celles des utilisateurs, et puis celles des responsables de personnes (parents, employeurs …), ou de biens (propriétaires)
- Soit administratives : celles des collectivités concernées
- Soit pénales : celles des auteurs d’infractions à la loi, de trois sortes : contraventions, délits ou crimes.
Il faut, à notre avis, aussi bien se préoccuper de la responsabilité de la personne propriétaire d’un chemin de littoral que celle du propriétaire seulement voisin d’un tel chemin.
Les textes
I – Responsabilité civile de droit commun
Résultant des articles 1240 et suivants du code civil – anciennement 1382 et suivants -
1240 : Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
1241 : Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
1242 : On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.
II - Article dérogatoire de la responsabilité : L 121-37 du code de l’urbanisme
Créé par ORDONNANCE n°2015-1174 du 23 septembre 2015
Anciennement Code de l'urbanisme - art. L 160-7, alinéa 5
Codifié à l’origine par un Décret 73-1022 1973-11-08 JORF 13 novembre 1973
Modifié par Loi n°86-2 du 3 janvier 1986 - art. 6 JORF 4 janvier 1986
« La responsabilité civile des propriétaires des terrains, voies et chemins grevés par les servitudes définies aux articles L. 121-31 et L. 121-34 ne saurait être engagée au titre de dommages causés ou subis par les bénéficiaires de ces servitudes. »
Attention, cette disposition comporte des limites :
- Limite à la responsabilité civile – et non la responsabilité pénale évidemment -
- Aux propriétaires – le texte ne parle pas de ses ayant-droits –
- Aux servitudes des articles L 121-31 et L 121-34 du CU – et non les autres servitudes légales – par exemple de halage ou de montagne – ni encore les servitudes purement conventionnelles -
- Aux dommages – ceux-ci peuvent être corporels, matériels ou immatériels -
- Aux bénéficiaires des servitudes – et non pas, selon la formule habituelle des assureurs : à tous les tiers et au propriétaire lui-même ou ses proches -
Le texte exclut clairement de sa portée et donc maintient le propriétaire responsable des fautes intentionnelles – sur le plan civil – et des infractions intentionnelles ou non intentionnelles – sur le plan pénal -
Il résulte de ce texte que la responsabilité des propriétaires pour des dommages causés à un piéton ne pourrait par exemple être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde (article 1242 du CC). Elle ne pourra être engagée que sur le fondement de la responsabilité personnelle pour faute prévue par l’article 1240 du code civil . Cela pourrait être le cas par exemple si le propriétaire a établi un obstacle sur le chemin.
III – Autre texte dérogatoire de responsabilité : article L. 214-12 du code de l'environnement :
« La responsabilité civile des riverains des cours d'eau non domaniaux ne saurait être engagée au titre des dommages causés ou subis à l'occasion de la circulation des engins nautiques de loisir non motorisés ou de la pratique du tourisme, des loisirs et des sports nautiques qu'en raison de leurs actes fautifs. »
La mise en cause de la responsabilité
Concernant la responsabilité civile : la notion de gardien d’une chose, d’un bien
Un propriétaire en titre d’un bien est présumé gardien de celui-ci On est gardien d'une chose lorsque l'on possède les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle sur celle-ci (Cass. ch. Réunies, 2 décembre 1941, DC 1942). En cas de dommage causé par une chose, celui qui en a la garde devra alors assumer la responsabilité du dommage.
Toutefois, un propriétaire a le droit de confier la garde de la chose à un tiers ; dans ce cas la présomption de responsabilité ne lui incombe plus, celle-ci est transférée en même temps que la garde du bien.
Malheureusement, l’article L 121-37 du code de l’urbanisme n’exprime pas clairement ce transfert de garde au profit de la collectivité.
Concernant la responsabilité administrative : un sentier de littoral est un ouvrage public
Lorsqu’un dommage est causé à un usager d’un ouvrage public, le juge présume un « défaut d’entretien normal » de l’ouvrage, engageant la responsabilité de la personne publique. Il appartient alors à cette dernière de prouver qu’aucune faute de sa part n’est à l’origine du dommage. Cette notion de défaut d’entretien normal s’apprécie au cas par cas et est entendue au sens large : elle inclut le défaut d’aménagement normal et le vice de conception.
Exemples:
Un chemin rural ouvert à la circulation publique constitue un ouvrage public bien qu’il fasse partie du domaine privé de la commune (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 8 mars 1999, n° 96BX01737, consorts Yerle).
Un sentier du littoral, passant sur des terrains appartenant au Conservatoire du littoral ouverts au public, fait partie du domaine public de cet établissement public et constitue un ouvrage public (Tribunal administratif de Nice, 11 décembre 2001, n° 97-842, Barny de Romanet contre Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres et autres). Le raisonnement pourrait être le même concernant un chemin traversant un espace naturel sensible d’un département.
Un sentier passant sur des propriétés privées aménagé par une collectivité publique sur le fondement d’une convention d’usage pourrait être considéré comme un ouvrage public.
Une voie privée ouverte à la circulation publique dont une commune assurerait l’entretien dans un but d’intérêt général pourrait être considérée comme un ouvrage public (Conseil d’État, 23 juin 1986, n° 53122).
- En revanche, l’absence, sur la partie d’un sentier qui longe des gorges (Kakouetta, Pyrénées-Atlantiques) et sur laquelle un accident s’était produit, d’un dispositif spécial destiné à protéger les usagers des risques de chute dans un ravin ne constitue pas un aménagement défectueux de l’ouvrage constitutif d’un défaut d’entretien normal.
Pour arriver à ces conclusions les juges ont tenu compte de la largeur du sentier, de la présence d’une main courante et de l’existence d’une signalisation des difficultés susceptibles d’être rencontrées sur le parcours (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 8 mars 1994, n° 92BX00764).
Concernant la responsabilité pénale dans le cadre des délits non intentionnels
Article L 121-3 du Code Pénal - modifié par Loi n°2000-647 du 10 juillet 2000 - art. 1 - JORF du 11 juillet 2000 -
« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
La maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence constituent donc des formes de fautes non intentionnelles.
Le code pénal pose les conditions générales à la mise en jeu de la responsabilité pénale en matière de délits non intentionnels, en définissant la notion de faute pénale d’imprudence ou de négligence.
Mais il prévoit en complément des conditions particulières à la reconnaissance de cette faute lorsqu’elle a été seulement la cause indirecte du dommage.
Pour un même dommage, il faut en effet comprendre que peut être engagée non seulement la responsabilité pénale de la personne dont la faute constitue la cause directe du dommage, mais également la responsabilité pénale de la personne dont la faute a causé indirectement le dommage.
La faute doit être constituée par une imprudence, une négligence ou des manquements à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement .
La prévention
L’entretien
Concernant les voies privées ouvertes à la circulation publique, il faut noter qu’aucune loi n’impose leur entretien. Mais les mécanismes d’engagement de la responsabilité sont tels qu’elles reviennent à obliger le gestionnaire et le propriétaire de l’espace concerné à procéder à cet entretien afin de supprimer tout danger éventuel.
Et là encore, comme pour
la garde du bien, la loi n’exprime pas clairement le transfertd’entretien au
profit de la collectivité…
L’affichage
Article R121-25 du code de l’urbanisme–créé par décret n°2015-1783 du 28 décembre 2015 -
« Le maire prend toute mesure de signalisation nécessaire en vue de préciser l'emplacement de la servitude de passage. En cas de carence du maire, le préfet se substitue après mise en demeure restée sans effet. »
Préciser l’emplacement de la servitude, certes, mais peut-être un peu plus : rappeler les conditions d’utilisation du chemin, énumérer quelques interdits, éveiller la responsabilité personnelle des bénéficiaires de la servitude …
Le défaut d’affichage est de la responsabilité des maires et subsidiairement des préfets, mais il est de l’intérêt des propriétaires d’exiger cet affichage, au besoin d’en discuter et d’en approuver le contenu.
Un document contractuel parait utile
Il serait prudent semble-t-il d’envisager un document écrit, propre à l’espace concerné, de type convention de partenariat public privé (P.P.P.), visant notamment les dispositions suivantes :
- La détermination et le rôle de la ou des personnes morales de droit public concernées par la servitude – en effet, les transferts de compétences ou les délégations ne sont pas toujours portées à la connaissance du public ou même des personnes plus directement concernées .
- Y stipuler le gardien des lieux : même si la loi ne fait pas, il y a lieu de le préciser.
- Y stipuler à qui incombe l’entretien des lieux : idem.
- Savoir à qui incombe les réparations ou le remplacement des installations
- Y convenir de l’affichage sur les lieux, avec un texte approuvé par les parties
- Y établir un bilan des risques encourus sur le site, avec les moyens à mettre en oeuvre pour y faire face.
- S’obliger d’assurer tous les tiers – et non seulement les bénéficiaires de la servitude comme le dit l’article L 121-37 du CU – avec une assurance responsabilité civile, mais aussi une assurance des dommages aux biens, et également une garantie « défense et recours » ou une protection juridique ; avec enfin l’obligation de communiquer les contrats d’assurance respectifs à chacune des parties.
La garantie « défense et recours » nous parait strictement nécessaire ; en effet, dans les contentieux de responsabilités, la tendance est de vouloir impliquer tout le monde («arroser» tout le monde ce qui est d’autant plus évident en bord de mer !) Malgré l’article L 121-37 du code de l’urbanisme, nous pensons que le propriétaire pourrait être régulièrement appelé en garantie … avec donc pour lui l’obligation de se défendre …
Concernant les relations entre le propriétaire et son assureur, il est évident que l’existence de la servitude de passage doit faire l’objet d’une mention spéciale dans le contrat d’assurance ; et il faut être conscient que cette mention peut provoquer un surcoût de prime au contrat.
Réponses ministérielles :
I - Question N° : 60260 de M. Morel-A-L'Huissier Pierre (Union pour un Mouvement Populaire - Lozère ) QE
Ministère interrogé : Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales
Ministère attributaire : Justice et libertés (garde des sceaux)
Question publiée au JO le : 06/10/2009 page : 9371
Réponse publiée au JO le : 22/12/2009 page : 12338
Date de changement d'attribution : 27/10/2009
Rubrique : tourisme et loisirs
Tête d'analyse : activités de plein air
Analyse : sites naturels. propriétés privées. réglementation
Texte de la QUESTION : M. Pierre Morel-A-L'Huissier attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur le problème de l'accès à des sites naturels par des propriétés privées. Il lui demande l'état de la jurisprudence à l'heure actuelle concernant le respect de la propriété privée et les réflexions menées, tant au niveau du droit de propriété, que de l'exonération de toute responsabilité du particulier en cas d'accident (escalade, canyoning...).
Texte de la REPONSE : La notion de site naturel recouvre l'ensemble des espaces et milieux naturels que constituent notamment le littoral, la montagne, les plages, la forêt, les parcs, les réserves. Ce patrimoine naturel diversifié fait l'objet d'une réglementation spécifique et d'une jurisprudence adaptée à chaque domaine. De manière générale, l'accès du public aux sites naturels est principalement assuré par des servitudes administratives établies sur des propriétés privées à des fins d'utilité publique. Peuvent être citées, à titre d'exemple, les servitudes de passage des piétons le long du littoral, les servitudes de halage, les servitudes de passage en montagne. La responsabilité civile du propriétaire privé peut être recherchée en application des principes de droit commun de la responsabilité civile délictuelle ou quasi-délictuelle fondée sur la faute à l'exception de certains régimes d'exclusion ou limitation prévus par la loi (art. L. 214-12 du code de l'environnement ou L. 160-7 du code de l'urbanisme). Enfin, dans le cadre des conventions d'ouverture au public passées entre les collectivités territoriales et des propriétaires privés ou dans le cadre d'ouverture contractuelle d'un terrain privé à une fédération sportive, un transfert de garde peut être prévu au contrat, afin d'exonérer les propriétaires de leur responsabilité.
II - Question écrite n° 06793 de M. Jean Louis Masson (Moselle - NI) publiée dans le JO Sénat du 06/06/2013 - page 1695 - Rappelle la question 05195 du 7 mars 2013 -
M. Jean Louis Masson rappelle à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, les termes de sa question n°05195 posée le 07/03/2013 sous le titre : " Responsabilité du propriétaire laissant libre accès à sa propriété ", qui n'a pas obtenu de réponse à ce jour. Il s'étonne tout particulièrement de ce retard important et il souhaiterait qu'elle lui indique les raisons d'une telle carence.
Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 20/06/2013 - page 1879
« Les propriétaires fonciers qui laissent le libre accès à leur propriété peuvent en principe engager leur responsabilité extracontractuelle dans les conditions de droit commun, dans l'hypothèse où des sportifs ou promeneurs viendraient à se blesser sur leur terrain. Leur responsabilité pourrait ainsi être recherchée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, relatif à la responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le gardien est celui qui a l'usage, le contrôle et la direction de la chose au moment du fait dommageable et que le propriétaire est présumé gardien. Le gardien peut alors s'exonérer totalement de sa responsabilité en prouvant un cas de force majeure, ou partiellement si la victime a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage. Un propriétaire pourrait par exemple engager sa responsabilité si un promeneur était blessé par une chute de pierres sur son terrain. Dans ces conditions, il est recommandé aux propriétaires de souscrire une assurance de responsabilité civile, qui peut être incluse dans l'assurance multirisques habitation. Il existe toutefois des exceptions à ce principe général de responsabilité civile du propriétaire dans les conditions de droit commun. Ainsi, selon l'article L. 160-7 alinéa 4 du code de l'urbanisme, la responsabilité civile des propriétaires des terrains, voies et chemins grevés par les servitudes de passage des piétons sur le littoral, définies aux articles L. 160-6 et L. 160-6-1 du même code, ne saurait être engagée au titre de dommages causés ou subis par les bénéficiaires de ces servitudes.
III – Question ministérielle publiée au JO le 02/06/2020 : M. Didier Le Gac attire l’attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l’application de la réglementation relative à la servitude de passage des piétons sur le littoral, autrement dénommée « sentier côtier ». Ainsi, la loi du 31 décembre 1976 portant réforme de l’urbanisme a instauré une servitude d’utilité publique (SUP) qui comprend une servitude de passage longitudinale (s’appliquant sur une largeur de 3 mètres aux propriétés privées riveraines du domaine public maritime) et une servitude de passage transversale destinée à relier la voie publique au rivage de la mer ou aux sentiers en cause. Or la mise en place de cette servitude, aujourd’hui codifiée aux articles L. 121-31 à L. 121-37 et R. 121-9 à R. 121-32 du code de l’urbanisme, s’avère très inégale : ainsi dans le département du Finistère, 35 % du littoral demeurent encore inaccessibles aux piétons, soit environ 450 kilomètres de rivage sur les 1 242 que compte le département. Au titre des dispositions précitées du code de l’urbanisme, il appartient au représentant de l’État dans le département d’initier les procédures nécessaires sur la base des études de délimitation menées, par commune littorale, par les services de la direction départementale des territoires et de la mer. Il apparaît néanmoins que l’État ne remplit pas ses obligations de manière uniforme en préférant s’appuyer dans certains territoires sur les collectivités (communes ou EPCI) pour mener à bien les études nécessaires. Si l’intervention des collectivités est utile à la concertation avec les propriétaires concernés, elles ne doivent en assurer ni le coût des études préalables, ni la responsabilité, s’agissant d’une SUP instituée par la loi. L’accès au rivage de la mer doit en effet être garanti par l’État sur l’intégralité du littoral national. C’est pourquoi il souhaite savoir si le Gouvernement entend remédier à cette carence en s’adressant aux représentants de l’État ou encore en simplifiant la réglementation existante, au profit d’une création effective et uniforme de la servitude de passage des piétons sur le littoral.
Réponse publiée au JO le 08/09/2020 page 6142 :
Afin de garantir le principe de libre accès à la plage, le sentier du littoral permet aux piétons d’accéder au rivage de la mer et de cheminer le long du littoral. Il est notamment constitué, d’une part, d’une servitude longitudinale dite « de droit », instituée par une loi du 31 décembre 1976, qui s’applique sans disposition particulière sur une largeur de trois mètres aux propriétés riveraines du domaine public maritime. Il se compose, d’autre part, d’une servitude transversale, instituée par la loi littoral du 3 janvier 1986, qui grève les propriétés privées dans le but de relier la voirie publique au rivage de la mer. Contrairement à la servitude longitudinale, elle nécessite une procédure de création. La création et la gestion du sentier du littoral sont partagées entre les services de l’État et les collectivités locales : s’il revient à l’État d’initier et de diligenter les procédures de modification des servitudes longitudinales et de création des servitudes transversales, il revient au maire de prendre les mesures de signalisation et aux collectivités locales de participer, si elles le souhaitent, aux dépenses nécessaires pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons (articles R. 121-25 et R.121-28 du code de l’urbanisme). De par son ancrage dans les territoires, la politique publique du sentier du littoral est intrinsèquement partenariale et fait intervenir une multitude d’acteurs. C’est pourquoi, dans le prolongement des dispositions réglementaires précitées, et dans l’intérêt bien compris d’une gestion efficace et durable du sentier du littoral, les services de l’État et les collectivités locales sont encouragés à travailler de concert dès le début des procédures d’établissement ou de modification des servitudes. Ils ont recours selon les cas à des conventions qui définissent de façon opérationnelle ce partage des responsabilités et l’affectation des moyens afférents. Dans ce contexte, une simplification de la réglementation au profit d’une création effective et uniforme des servitudes de passage n’est pas à ce stade l’option privilégiée s’agissant d’une servitude longitudinale existant déjà de droit. Si la procédure de modification ou de suspension peut parfois paraître longue et complexe, elle reste nécessaire pour veiller à assurer un juste équilibre entre l’accès du public au rivage, la préservation des droits des propriétaires privés et le respect de l’environnement.
Applications jurisprudentielles :
I - Sur le sentier du littoral, quelqu’un fait une chute et se blesse. Le propriétaire public est-il responsable ? Au Cap Taillat, la responsabilité du Conservatoire du littoral n’a pas été retenue car l’ouvrage public était normalement entretenu.
Pour se rendre à la plage de l’Escallet au Cap Taillat (Ramatuelle), madame X emprunte un sentier situé dans un site naturel appartenant au Conservatoire du littoral. Ici, la côte est rocheuse et présente des passages escarpés. Madame X fait alors une chute et se blesse à la cheville. Elle saisit le tribunal administratif et sollicite condamnation du Conservatoire du littoral à lui payer la somme de 15 245 euros en réparation du préjudice subi. Dans son jugement en date du 11 décembre 2001, la juridiction administrative déboute la plaignante après avoir établi les critères permettant de déterminer si le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres entretient normalement ou non le sentier qualifié d’ouvrage public. En l’état de la jurisprudence, ces critères sont applicables à tout propriétaire public. Ils « balisent » en quelque sorte les exigences jurisprudentielles pour définir ce qu’est l’entretien normal d’un ouvrage public en site naturel. Avant de revenir sur les critères d’entretien tels que définis par le tribunal, retenons tout d’abord qu’un ouvrage est considéré comme public dans la mesure où il fait partie du domaine public et où il est destiné à être ouvert au public. Dans le cas qui nous occupe, madame X est usagère de l’ouvrage public. Le Conservatoire du littoral se doit d’assurer un entretien normal dudit ouvrage à savoir les sentiers, du fait de leur accès au public.
Trois critères à retenir :
L’entretien a été estimé comme normal du fait du respect de trois critères : une communication efficace, une information suffisante qui précise la nature des risques encourus et une surveillance du site. En l’espèce, des panneaux d’information sont implantés au point des départs des sentiers. Ils indiquent les risques que peuvent prendre les promeneurs et précisent que les sentiers des criques présentent des passages difficiles. Le tribunal a estimé que cette signalisation, en place depuis nombre d’années permettait de délivrer une information suffisante. Par ailleurs, le Conservatoire du littoral fait procéder à la surveillance du site par un garde assermenté.
Le tribunal n’a pas retenu le grief de madame X qui reprochait au Conservatoire l’absence de dispositif de protection aux endroits escarpés (rampes). Les juges estimant que celle-ci devait s’attendre à trouver sur ce sentier un « relief naturel et parfois accidenté » et qu’elle aurait dû adopter un comportement empreint de vigilance.
En conclusion, retenons que pour ne pas encourir de responsabilité, il convient d’anticiper. Et, afin de pouvoir faire la démonstration des trois éléments précités, il vaut mieux s’armer de preuves : photos, constats d’huissier, rapports d’activités des gardes. Se souvenir aussi que le tribunal a statué en rappelant l’évidence, à savoir que la nature est source de plaisir mais aussi de danger…
II - CAA de NANTES 3ème chambre, 11 juin 2015 - N° 14NT01033 - Inédit au recueil Lebon
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'emprise du sentier sur lequel a chuté Mme B... n'appartient pas à la communauté de communes du Cap Sizun, mais se situe pour l'essentiel sur des propriétés privées qui sont grevées de la servitude de passage des piétons le long du littoral prévue par les dispositions de l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme ; qu'elle ne constitue pas davantage un chemin rural dont l'entretien relèverait le cas échéant, en vertu de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime, de la responsabilité des communes concernées ; que la circonstance que la communauté de communes du Cap Sizun a procédé à l'installation de panneaux d'information signalant la présence de ce sentier, conformément aux dispositions de l'article R. 160-24 du code de l'urbanisme relatif à la signalisation de la servitude de passage, et qu'elle assurait une fois par an son entretien, dans le cadre de la compétence relative à la protection et la mise en valeur de l'environnement qui lui a été dévolue en application du II de l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, ne suffit pas à conférer à ce sentier, dépourvu d'aménagement particulier, le caractère d'un ouvrage public ou d'une dépendance d'un tel ouvrage susceptible, en cas de dommages subis par les usagers, d'engager la responsabilité de la communauté de communes pour défaut d'entretien normal ;
III - « L’affaire de l’île d’Ouessant »:
Trois enseignants d’un collège privé avaient organisé une sortie scolaire d’une journée en vélo sur le chemin littoral d’Ouessant, au sommet des falaises. Ce chemin littoral est une servitude de passage réservée par le législateur aux piétons. Un groupe d’élèves dépasse un enseignant victime d’un problème mécanique et se trouve livré à lui-même à quelques dizaines de mètres. Un des élèves contourne un rocher côté falaise, fait une chute de 30 mètres et décède. La famille porte plainte contre le directeur de l’école, les enseignants, et le maire de la commune (il n’était pas possible de faire valoir la responsabilité pénale de la commune en tant que personne morale puisque la police ne fait pas partie des activités susceptibles d’être déléguées).
Le tribunal de grande instance de Brest (2 novembre 1999) les condamne pour homicide involontaire (3 mois de prison avec sursis pour le maire). Les motivations du tribunal pour condamner le maire sont les suivantes :
- sa mission de police s’exerce sur ces chemins ouverts à un public très nombreux du fait de la réputation touristique de l’île ;
- il appartenait donc au maire de faire connaître le danger et de faire respecter la servitude. Les juges ont ainsi constaté à l’encontre du maire « une omission coupable en relation directe avec l’accident dans la mesure où un affichage aurait dissuadé les enseignants d’emprunter un tel itinéraire ». Saisie en appel, la cour d’appel de Rennes (3e chambre, 19 septembre 2000, n° 347/2000) a confirmé les condamnations pénales des professeurs et du directeur de l’établissement, mais a relaxé le maire. En se fondant sur l’alinéa 4 de l’article 121-3 du code pénal (cf. § 2-2, p. 56), la cour relève que : (Cour d’Appel de Rennes, 3e chambre, 19 septembre 2000, n° 347/2000) :
- en raison de ses pouvoirs sur les sentiers ouverts au public le maire pouvait placer des panneaux indiquant le danger et l’usage exclusif par les piétons des sentiers privés d’Ouessant ;
- ces panneaux n’existent pas et qu’aucune information n’est donnée sur le panneau d’accueil des passagers arrivant au port ;
- et le maire a ainsi contribué à créer la situation.
Mais la cour relève également que :
- l’île d’Ouessant est un site remarquable où une signalisation multiple ne peut être envisagée » et que le conseil municipal s’était élevé contre une telle signalisation,
- les dépliants touristiques informaient suffisamment les visiteurs,
- et de surcroît l’île d’Ouessant est par elle-même dangereuse et qu’il appartient à chacun d’avoir une attitude responsable et appropriée afin d’éviter de se mettre dans une situation périlleuse».
Septembre 2020 - Y.D.F.