Les caïques à Yport
Les caïques font partie intégrante de l'histoire d'Yport, elles sont sur toutes les cartes postales anciennes de la plage, malheureusement elles ne sont plus là, et pourtant elles avaient une place particulière parmi toutes les barques de pêche de l'Europe du Nord, elles avaient leur propre histoire et leurs caractéristiques que nous allons essayer de retrouver.
Les barques de pêche sur les côtes de la Manche
Au cours du 19ème siècle, le gréement carré disparait peu à peu au profit du gréement aurique; la goélette remplace le brick; les cotres se composent de deux focs dont un sur bout dehors, une grand voile marconi et une flèche; nous avons ainsi les langoustiers de Camaret, les gabarres des Abers, les bautiers de Barfleur; il y a aussi les cotres à tape-cul avec un petit mât à l'arrière gréé au tiers ou à la livarde
Le ketch ou dundee a le mât arrière ou artimon placé avant la barre; ainsi sont les harenguiers
Les barges de la Tamise sont gréées à la livarde autant la grand voile que le tape-cul
A côté du gréement aurique, les voiles au tiers ou latines ont subsisté à plusieurs endroits [1] ; le lougre a les voiles amurées en abord, avec le chasse marée, elles sont amurées au pied du mât; ainsi étaient les bisquines de la baie du Mont Saint Michel, les sinagots du Morbihan et puis les caïques du pays de Caux.
Et aussi, il y avait les sardiniers du Finistère, les chicabots de Réville et de Barfleur, et puis le cul-rond de Barfleur, le picoteux du Calvados, à Courseulles, Luc sur Mer ou Isigny ou encore le cul pointu de Honfleur et la plate de Villerville , la Vaquelotte du Cotentin …
Plus au nord, les pichons de Berck-Plage, les sauterelliers de la baie de la Somme, les picoteux des côtes belges, les flobarts de Wissant, etc…
Parmi toutes ces sortes de barques, les caïques du Pays de Caux avaient leur propre histoire ainsi que leurs caractéristiques :
I - Les caïques et leur histoire à Yport
Les origines
Les traces les plus anciennes sont :
- Les pêcheurs sont cités ici depuis plus de sept siècles (Joseph Boulard)
- En 1522, Yport aurait pris part à l'élan vers Terre Neuve (Charles de la Morandière)
- Un contrat de bail de cabestan est passé le 25 avril 1634.
- Il y avait, en 1755, 119 marins d’Yport inscrits, en 1904 plus de 400…
Au 18ème siècle nous ne savons que peu de choses sur les caïques ; la pêche existait depuis longtemps à Yport, mais au moyen de barques un peu différentes ; les caïques étaient-elles déjà là ? Rien de sûr…
En fait ce mot de caïque, employé tantôt au masculin et tantôt au féminin [2] , proviendrait du grec « Kaiki » ou encore du turc « Kayik » [3] ; nous sommes là dans une famille ancestrale de petits bateaux rustiques à rames ou à voiles, une embarcation légère du Moyen-Orient ; tout à l'origine, les galères avaient un caïc comme embarcation de service, puis ce fut un petit bâtiment de transport et surtout de plaisance utilisé en Grèce et en Turquie; alors Yport, la cité des « grecs » utiliserait des navires d’origine orientale ? Nous sommes vraiment là aux portes de la légende…
En vérité, la caïque d’Yport est l’un des nombreux bateaux de pêche traditionnels des pays du nord, gréé au tiers ayant la particularité d’être mis à l‘eau depuis les plages de galets ; c’est le dernier représentant du gréement de houry ; il paraîtrait que la caïque d’Yport ressemblerait à la corvette canonnière de la flottille de Boulogne ; et voici donc une nouvelle origine possible [4] .
Le terme caïque n’est pas utilisé par Sicard au 18ème s , dans son rapport sur les côtes et les ports, ni par Maupassant dans ses nouvelles ; l’emploi de ce terme se serait répandu sur le littoral de la Manche au début du 19ème siècle à la suite de la construction à Boulogne de la flotte napoléonienne pour envahir l’Angleterre…
Le camp de Boulogne
Quatre catégories de bâtiments à fond plat existaient, au nombre de 2000 pour transporter les 20 000 marins, les 150 000 soldats et les 9 000 chevaux prévus pour le débarquement en Angleterre; il y avait des prames, des canonnières, des bateau canonniers et des péniches; mais il y avait aussi des balancelles, des bricks…
Après la levée du camp de Boulogne en août 1805, beaucoup de ces bateaux canonniers ont été vendus comme bateaux de pêche au prix de cent francs pièce. Les archives mentionnent à la date du 3 avril 1809 que 27 chaloupes canonnières, 27 péniches et 9 "caïques" de la flotte de Boulogne vont passer de ce port dans celui de Flessingue….. Ces bâtiments seront mis sous les ordres de M. de Missiessy et seront expédiés avec 27 hommes plus l'officier commandant par canonnière, 5 par péniche et 4 par "caïque" [5] .
Les caïques au cours du 19ème siècle
En 1837 mais aussi en 1860, il y avait sur la plage 20 bateaux groupés et 9 caloges, les bateaux neuf et puis, en serre-file, ceux invalides, couverts de paille et devenus chaumières [6] .
En 1869, Yport arme 45 bateaux qui sont non pontés et dont le tonnage n’excède pas 7 tonneaux montés par 160 hommes ; les produits vendus se sont élevés cette année là à 100 tonneaux évalués à 85 000 francs ; Yport fournit aussi un nombre important de marins pour les armements du port de Fécamp ;
Les caïques au cours du 20ème siècle
En 1912, Yport a armé 22 bateaux, soit des caïques soit des embarcations de faible tonnage ; la 1ère pêche s’est effectuée dans les environs de Dieppe, mais le plus fort a eu lieu au Havre … [7]
Les deux guerres vont rendre plus difficiles ou même interrompre les activités de pêche ; encore fallait-il se nourrir ; l’entre deux-guerres et puis l’après-guerre ont été des moments plutôt favorables pour la pêche à Yport.
Les pratiques de pêche
L'été, c’est la pêche au maquereau de mars à octobre, et l'hiver au hareng, d’octobre à décembre ; les navires désarmaient de janvier à mars.
A Etretat les caïques, plus petites, sont essentiellement des "trémailleurs", alors qu'à Yport ce sont plutôt des "cordiers". La pêche aux cordes se réalise jusqu’au large des côtes anglaises, à la traine avec quatre grandes perches deux de chaque côté ; on mouillait 90 pièces de cordes de 100 m de long garnies d’environ 1 500 hameçons boëttés avec du maquereau.
La pêche aux filets de fond recueillait des raies, soles, turbots, congres, roussettes, etc…
Il y avait aussi la pêche aux bars et puis la pose des casiers à Homards…
Le hareng se pêche au filet dérivant comme sur les dundees, le long de la côte depuis Dieppe jusqu’au Havre et en baie de Seine.
La vente du poisson se réalisait souvent à la criée, soit aux particuliers présents soit au mareyeur, Alfred Lecanu. Les filets débarqués, démêlés, nettoyés puis séchés avant d’être ramendés …
La recette est partagée à la « chaudrée » au cours d’un souper ;
Les résultats de pêche
La Revue Maritime nous donne quelques résultats de la pêche à Yport :
- 1895 : 86 660 kg de harengs pour une valeur de 13 000 francs
- 1896 : 22 500 kg de maquereaux pour une valeur de 9 000 francs
29 400 kg de harengs pour une valeur de 14 700 frs
- 1897 : 36 000 kg de harengs pour une valeur de 7 200 frs
15 000 kg de maquereaux pour une valeur 6 000 frs
- 1898 : 30 130 kg de maquereaux pour une valeur de 13 520 frs
- 1901 : 51 320 frs en valeur de Harengs
3 000 frs autres espèces
- 1902 : 20 000 frs en valeur de Harengs
- 1903 : 17 700 frs en valeur de maquereaux
18 500 frs de poissons divers
Le prix du hareng se situe entre 15 et 20 centimes le kilo ; le prix du maquereau à 40 cts le kg.
Ces résultats sont bien inférieurs à ceux de Fécamp Dieppe et surtout Boulogne, mais ils suffisent largement pour nourrir toute la population du village, au point de dire qu’il n’y avait pas ici de mendicité contrairement aux villages environnants.
Les résultats mensuels en 1896 (sources La Revue Maritime repris par La Gazette d’Yport)
Avril : pêche littorale : 2126 frs
Pêche à pied – goémons et espèces diverses : 2125 frs
Total 4251 frs
Mai : 3750 maquereaux valeur 1500 frs
Poissons frais – pêche en haute mer et littoral – 8600 frs
50 homards valeur 100 frs
Moules et coquillages 50 frs
Espèces diverses : 1150 frs
Total du mois : 12 120 frs
Juin : 21 500 maquereaux valeur : 8 600 frs
Pêche en haute mer et littorale : 20 000 frs
Homards et langoustes : 450 frs
Moules : 60 frs
Goémons et espèces diverses : 1235 frs
Total du mois : 30 325 frs
II - Les caractéristiques des caïques
Les caïques sont non pontées…
Le gréement
D'abord gréé en lougre à trois mâts au tiers, puis à deux mâts gréés en bourcetmalet ; à trois mâts, nous avons un grand mât haut de une fois et demie la longueur de la barque, portant une grand-voile pouvant être surmontée d’un hunier, une misaine amurée en foc à l’extrémité du bout dehors pointé vers le bas appelé « chique » , et un tape-cul portant une voile aurique ; le grand mât est rabattable; il va disparaître sur les plus petits navires, à deux mats, dont le mât d’avant ou misaine sera aussi rabattable ; la voilure est aurique, gréée au tiers, sur le mât d’avant et arrière également ; nous sommes proches du lougre (lougre à deux mâts) et du dundee ;
La carène
La carène est faite à tableau et bordée à clins d’orme, la quille est curviligne et en chêne
Le tirant d'eau est faible pour permettre le halage à terre
Le clin est une technique très répandue dans le nord de l’Europe ; des canots à clins existaient autrefois sur la côte picarde et au sud de l'Angleterre ; l'origine en est peut-être viking …
La structure est résistance et légère et souple à la fois.
Les joues sont développées à l’avant pour affronter la houle et les rouleaux.
Les bordées sont goudronnées de noir avec une bande blanche, et puis des moustaches de couleurs.
La jauge
Elle allait de 10-15 tonneaux pour les plus grandes à 8-9 tonneaux pour les plus petites, on parlait alors de demi-caïque; la taille ira plutôt en diminuant.
L'équipage allait de 4 à 7 hommes, et jusqu'à 10 parfois.
La motorisation
Depuis l’origine, les manœuvres se faisaient à la voile et à l’aviron ;
La motorisation apparait à partir de 1910 mais se développe surtout après la première guerre mondiale; celle-ci va permettre aux navires de remonter au mieux les courants et les vents, mieux longer la côte en évitant les échouages involontaires, peut-être diminuer le nombre de marins à bord.
Elle va aussi modifier la proue des navires en privilégiant le tableau plutôt que le cul-rond.
Avec la motorisation, les voilures sont plus ou moins abandonnées; parfois seulement pendant les périodes de pêche, on sort par vent arrière le tape-cul pour alléger le régime du moteur ;
Les aménagements du port et de la plage
Yport ferme vers l’ouest la rade de Fécamp ; protégé des vents et des courants de la Manche par la pointe du Chicard, il l’est également des attaques ennemies par un corps de garde situé à la naissance de la jetée et fermant l’issue du village, avec une pièce au dessus pour l’officier, complété en 1758 par un magasin à poudre ; la batterie est faite de deux pièces de 24 ; les canons sont supprimés en 1854 ; la jetée est prolongée en 1858 par un épi de 23 mètres de long ; le chenal, dû à Mrs Hélie et Loisel, réclamé par les marins depuis longtemps, est creusé en 1873 ; le coût en était de 18 000 francs en partie réglé par une souscription de 6 000 francs ; élargi en 1878, approfondi en 1881 puis à nouveau élargi en 1898 ; long de 215 mètres large de 25 mètres, éclairé de deux feux fixes en 1884, il fait ainsi gagner 1 h 30 de flot et autant de jusant, soit 3 h par marée, il évite les attentes à l’ancre au large (voir J. Boulard)
Yport est en tout premier lieu un port comme son nom l’indique, le mot plage n’apparaissant que depuis l’époque balnéaire ; un port d’échouage bien sûr comme cela était la règle dans les temps anciens, les ports à flot n’apparaissant que tardivement – Le Havre, Fécamp, Saint-Valéry Dieppe – Partout ailleurs les grèves servaient à l’échouage des canots et des barques de pêche
Les manœuvres de départ et de retour de pêche - Le halage sur la grève
Les navires sont donc bien adaptés pour un échouage sur une plage de galets.
Pour le halage, on plaçait sous la quille des planches ou palettes suiffées appelées « pans »
Au départ, les marins poussent du dos la caïque – à Etretat, on les nomment « les dos plats » - Pour éviter le reflux des vagues, ils poussaient sur un espar qui était en appui sur l’étrave du bateau.
A l’arrivée, le navire est tiré par un câble appelé « échoueux » fixé sur « l’ansée », une boucle prise dans la quille sous l’étrave ; lors de la remontée à l’aide du cabestan, souvent manié par les femmes des marins, le patron maintient le navire en équilibre sur la quille.
Les cabestans et les caloges
En 1748 un plan dressé ne faisait figurer aucun cabestan ; et pourtant un contrat de bail de cabestan a été retrouvé daté du 25 avril 1634 ; en 1753 il en était mentionné deux, au début du 20ème siècle il y en avait 25 (voir Boulard) ; les yportais en posent un aux Grandes Dalles afin de pouvoir s’y réfugier en cas de tempête.
Une décision ministérielle du 16 novembre 1876 détermine les conditions d’établissement des caloges et des cabestans sur la plage d’Yport ; un arrêté préfectoral est pris à sa suite le 4 janvier 1878.
A chaque cabestan une caloge pour y entreposer le matériel de pêche ; il y eut en tout au moins treize caloges et cabestans, peut-être dix sept ; la longueur de la caloge ne pouvait dépasser 7 mètres et sa capacité était au plus égale au tonnage du bateau de pêche correspondant ; le « peinturage » devait être renouvelé au moins tous les trois ans.
En 1912, la caïque Persévérant construite à Etretat en 1892 appartenant à Pierre Jouet est réduite à l’état de caloge ; l’inscription est radiée et la francisation annulée ; en 1929, c’est le Saint Pierre Saint Paul de Marie Joseph Villard ; en 1933, le Sainte Aline de Eugène Ebran ; en 1934, le Edouard Angèle de Eugène Lemaître reçoivent le même sort ; à défaut les navires sont dépecés
En 1931, un cabestan électrique est posé à la demande et aux frais de Jean Eugène Ebran – constructeur : établissements Hillairet à Persan – en remplacement de celui à barre qu’il avait acquis en 1914 de M. P. Malandain lequel l’avait lui même acquis le 4 novembre 1898 ;
Les sauvetages
La station de sauvetage a été créée à Yport en 1883,
inaugurée le 7 octobre, suite à un rapport de l'inspecteur Ragiot et sur
proposition du général Robert sénateur ; une souscription pour l'installation
d'un canot a été ouverte, avec 2 000 Frs par la
Chambre de Commerce du Havre; le premier canot s'appelait "Chateauvillard"
du nom de son donateur.
Les sauvetages de caïques ont été nombreux:
- le 9 août 1881, sauvetage par le canot de Saint-Valéry du Dieu protège l'orphelin, le patron étant Maillard d'Yport
- en 1891, sauvetage de 13 hommes des équipages des bateaux de pêche l'Adèle et le Notre Dame des Flots le 21 août et le Trois Amis le 11 novembre,
- Dans la nuit du 21 au 22 décembre 1894, un canot d'Yport monté par 4 hommes s'est perdu corps et biens; deux des sinistrés étaient mariés: l'un laisse 5 et l'autre 2 orphelins [8] .
- le 12 janvier 1911, le Notre Dame de Lourdes est jeté à la côte près de Trouville; les sept hommes d'équipage seront sauvés.
- Le 19 novembre 1913, le caïque Frère et Sœur monté par 4 hommes s'est perdu entre Senneville et Eletot; l'équipage s'est noyé [9] .
- en 1923, sauvetage de 7 marins d'Yport de l'équipage du caïque à moteur Dieu le Protège, jeté à la côte à Yport; reçoit le prix Devillier de 500 frs,
- en 1924, par coup de vent, le caïque à moteur Tout à Jésus à Marie avec huit hommes à bord chassait sur ses deux ancres et se serait fatalement perdu sans l'intervention des deux frères Ebran qui dans un simple doris se portèrent à son secours, admirés par tous les marins d'Yport qui s'y connaissent en mauvais temps; le prix du vice amiral Lalande de 600 frs est décerné aux deux sauveteurs.
Les accidents de mer
Ils sont malheureusement nombreux, surtout à l’entrée du port de Fécamp [10] et puis dans l’estuaire de la Seine au large du Havre.
Le 11 juillet 1884, l’Etoile du Matin propriétaire François Maillard d’Yport – fait naufrage contre la jetée nord de Fécamp,
Le 19 novembre 1894, le caïque Frères et Soeurs monté par 4 hommes s’est perdu entre Senneville et Eletot ; l’équipage s’est noyé,
La caïque Alexandrine de Prosper Malandain avec Lethuillier pour patron destinée à la petite pêche au large est perdue corps et biens le 24 juin 1907 – date des dernières nouvelles - à 20 milles environ de la Hève
La caïque Saint-Joseph de Albert Tougard, vendue le 10 décembre 1909 à Jules Clément de Fécamp, armée le 12 pour la petite pêche au large, et perdue corps et biens le 20 à l’entrée du port de Fécamp
Le Notre Dame des Flots de Pierre Loisel avec Maillard pour patron coule en rade du Havre le 26 décembre 1910
Le canot Souvenir de Prosper Malandain vendu à Louis Rogue de Fécamp est perdu corps et biens le 12 janvier 1911, date de dernières nouvelles, en rade du Havre
Le Joseph Edouard, une petite caïque dite aussi canot de 2 tonneaux appartenant à Edouard Laperdrix est perdue corps et biens le 3 juin 1912 dans les jetées du port de Fécamp à la suite d’un abordage avec le vapeur Aurore ; ses débris ont été recueillis le 6 au NNO d’Ailly.
Pendant la guerre 1914-1918, les sous-marins allemands coulent les caïques en pêche ; le Petit Georges n°101 le Souvenir n°123, le Joseph Simone n°218 – le 27 mai 1918 à 10 milles dans le nord de Fécamp - , le Souvenir de Sainte Marie n°188 – le 28 mai même endroit par le même sous marin -
Le Dieu le Protège de Jean Eugène Ebran est naufragé dans le chenal d’Yport le 22 octobre 1923, le Notre Dame de Lourdes de Eugène Ebran est coulé en mer le 8 décembre 1926, le Saint-Elme de Pierre Maillard est coulé en mer le 31 mai 1930 …
Nombreuses destructions en 1944.
Un exemple : Jean Eugène Ebran (1885 – 19xx) dit « Gros Péqueux »
Fils de Eugène Bénoni Ebran et de Pauline Jeanne Dalibert
Né à Yport le 17 novembre 1885
Il commence à naviguer comme matelot de 3ème classe avec une inscription provisoire du 20 mai 1897 puis définitive le 18 novembre 1903
Le 8 avril 1914, il rachète de M. P. Malandain un cabestan et une caloge numéros 12
Pendant la guerre 1914-1918 il sera affecté à l’artillerie du front de mer de Cherbourg
Embarquements :
- La Pérouse sloop du port de Fécamp – matelot – le 9 juin 1902 –
- Notre Dame de Lourdes caïque – du port de Fécamp – patron - le 27 avril 1908
- André le 17 septembre 1917
- Sainte Monique – patron – 1er mars 1946
- Notre Dame de Lourdes – 16 avril 1952
Il épouse Françoise Decamp et auront huit enfants, cinq garçons Eugène, Jean Jacques, François, Marcel et Joseph et trois filles Martine ép Villard, Marie Feuilloley et Monique Guérard.
A Yport, le mareyeur était Alfred Lecanu ; J.E. Ebran touchait du mareyeur comme prime personnelle un sous le franc.
Les cinq frères Ebran
A leur mariage ils recevront chacun une caïque : à Eugène la « Vierge de Lourdes » n°1089, à Jean Jacques la « Jean Eugène » du prénom de son père n°1138, à François la « Vive Jésus » n°1051, surnommée par les yportais « la ponne », car large de l’avant, elle portait lourd, à Marcel la « Notre Dame Bonsecours » n°1079 et à Joseph la « Dieu le protège » n°1065.
Tout Yport a en mémoire les cinq caïques noires et blanches des cinq frères Ebran …
III - Les dénominations des caïques
Les noms donnés aux caïques sont forcément révélateurs d’une affection ou d’une intention…
- les noms à caractère religieux
Ils sont nombreux, car tous ont la foi et comptent bien sur elle pour vivre et survivre de la mer : Dieu, Jésus, Notre Dame ou les Saints …
Les fêtes religieuses se célébraient tout le long de l’année : en janvier la Saint-Pierre des Marins, en juillet il y avait l’assemblée de la Saint-Martin, le 15 août la fête de Marie et la bénédiction de la mer et puis la fête de Sainte-Thérèse de Lisieux ; le jour des rameaux, les marins jetaient du buis bénit dans les flots pour les pêcheurs noyés.
Les caïques sont baptisées pour s’assurer de la protection divine ; tous les habitants assistent à la cérémonie ; les enfants en attendent une distribution des dragées ;
Guy de Maupassant, sur l’ensemble de son œuvre, n’emploiera jamais le mot caïque ; par contre il en fera dans le roman « Une Vie » la description détaillée d’un baptême : « les barques du pays, halées sur la pente de cailloux ronds, reposaient sur le flanc, tendant au soleil leurs joues rondes vernies de goudron…la coque jouflue des barques… »
- les noms féminins et familiaux : beaucoup de Marie, de nom de Saintes, de frères ou de sœurs, d’amis, etc …
- les noms de circonstances : il y eut l'Oiseau Blanc en mémoire de l'avion de Nungesser et Coli qui aurait traversé l'Atlantique en 1927 mais aurait malheureusement disparu aux abords de Terre-Neuve, le Pourquoi-Pas lui aussi disparu à Islande en septembre 1936, le Sainte Victoire 2 en 1940
IV - Les lieux de constructions:
La construction des caïques avait lieu essentiellement sur place : sur les 191 unités de navigation utilisés à Yport pendant la première moitié du 20ème siècle, que ce soit des caïques, des canots ou des doris, 20 sont construites à Yport, 33 à Etretat et 135 à Fécamp donc seulement 3 à l’extérieur ; sur les 20 d’Yport, essentiellement des canots, seulement quatre caïques Père Tranquille, Ave Maria, Saint-Joseph et Saint-Pierre, et deux doris en 1940-41
- Fécamp : ateliers Jouan-Fiquet, Belfort-Fiquet, Argentin, Auzou
- Etretat : le père Léon Duclos, Auvray, Pomelle, Chambrellan
- A Yport : Feraud en 1962, constructeur d’un doris
V - Au début des années 1970, pour certainement plusieurs raisons conjuguées, les caïques disparurent une à une, la dernière étant, tout le monde s’en souvient, celle de Jean Jacques Ebran ; les jeunes marins d’Yport iront désormais s’enrôler dans les sociétés d’armement de Fécamp ou du Havre ; une page ainsi se tournait .
"Yport sans les caïques, ce n'est plus Yport ! " combien de fois n'avons-nous pas entendu cette formule à vrai dire un peu réductrice; grâce à une association faite de bénévoles et de subventions et puis aux musées de Fécamp, il existe encore deux caïques l’une - F 1089 Vierge de Lourdes à Eugène Ebran - qui navigue encore dans le port de Fécamp et puis une autre – F 1079 Notre Dame de Bonsecours à Marcel Ebran - au musée des Terre-Neuvas; et puis grâce à tous les yportais, Yport continue bien heureusement à vivre; gardons en mémoire ce temps des caïques, conservons-en scrupuleusement les traces, les écrits, les photos, les témoignages; peut-être un jour y aura-t-il à nouveau sur la plage d'Yport : un cabestan rénové, une caloge reconstituée et même pourquoi pas une caïque reconstruite, pour rappeler à tous, le temps passé où la pêche en mer faisait vivre l'ensemble du village.
Yves Duboys Fresney
« Yport, le plus joli de tous les villages » …Georges Sand
Références :
- Joseph Boulard étude historique sur Yport 1919 imprimerie H. Micaux
- M. Renaud Notice sur les ports de Fécamp, d’Yport et d’Etretat Imprimerie Nationale 1874,
- Les annales du sauvetage maritime par Gallica
- Auteur anonyme ? Les caïques d’Yport et d’Etretat revue le Chasse-Marée numéro 4 année 1982 page 14 à 33 plus le numéro 163.
- Navires, mémoire de la mer par Louis Le Roc'h Morgère, édition Rempart 1997
- Jean Pierre Thomas « Les caïques d’Yport et d’Etretat » dans Bateaux Pécheurs édition des Falaises 2000.
- Cortès José-Luis « Une embarcation de pêche normande : la caïque d'Yport et d'Etretat » dans Chronique d'Histoire Maritime (Revue) N° 65 de décembre 2008
- Entretien avec Mme Martine Villard née Ebran
Une liste des caïques d’Yport, pour l’essentiel du 20ème siècle (une cinquantaine en un demi-siècle) :
Nom |
Matricule |
Construction |
Propriétaire (P) Ou patron (p) |
divers |
Adèle |
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Sauvetage en 1891 |
Agréable |
F1226 |
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Alexandrine |
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P :ProsperMalandain p : Lethuillier |
Perdu en 1907 |
Ave Maria |
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A Yport |
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Deux Frères |
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Dieu le Protège |
I - F 171 II - F 1051 III – F 1065 |
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? – Jean Eugène Ebran II -François Ebran III – Joseph Ebran |
I - Vers 1871 ? – jeté à la côte en 1923 II - 1948 |
Dieu protège l’orphelin |
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|
p : Maillard |
Sauvetage en 1881 |
Dieu Protégez Nous |
I – F 1065 II - F1945 |
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Edouard Angèle |
|
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|
Espérance |
|
|
|
|
Etoile du Matin |
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P:FrançoisMaillard |
Naufrage le 11 juillet 1884 |
Fleur de Marie |
|
|
|
|
France et Russie |
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|
|
|
Frères et Soeurs |
|
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|
Perdu en 1894 Perdu en 1913 |
Grace de Dieu |
F 1817 |
|
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Voir CPA n° x |
Indépendant |
|
|
|
|
Jean Eugène |
I - F 1138 II - F 1755 |
|
P:JeanJacquesEbran |
Du nom de son père – voir CPA |
Jeanne d’Arc |
|
|
|
|
Jeanne Elise |
|
|
|
|
Jeune Hélène |
F 1267 |
|
|
|
Joconde |
|
|
|
|
Joseph Edouard |
|
|
P:EdouardLaperdrix |
Perdu en 1912 |
Joseph Simone |
F 218 |
|
|
Coulé par sous-marin en 14-18 |
La Plage |
F 1261 |
|
|
|
Les Deux Amis |
F 1332 |
|
|
|
Marie et Joseph |
|
|
|
|
Marie Jeanne |
|
|
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Notre Dame de Bonsecours |
F 1079 |
1949 |
Marcel Ebran |
Au musée des Terre-Neuvas |
Notre Dame des Flots |
I - F xx II - F xx |
|
P:PierreLoisel P:Maillard |
Sauvetage en 1891 Coulé en 1910 |
Notre Dame de Lourdes |
I - F 814 II - F 1650 III-F x |
III- 1952 |
P : Eugène Ebran III-P : Jean Eugène Ebran |
I - Ex-voto dans l’église d’Yport Jeté à la côte en 1911 Coulé en 1926 |
Notre Dame du Perpétuel Secours |
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Oiseau Blanc |
|
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Pascaline |
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Voir CPA |
Petit Georges |
F 101 |
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Coulé par sous marin en 14-18 |
Père Tranquille |
F 1757 |
A Yport |
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Persévérant |
F 1429 |
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Pourquoi Pas |
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Prospérité Yportaise |
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Quatre Frères |
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Rose Mary Elisabeth |
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Rouget de L’Isle |
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Saint-Elme |
F 1260 |
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P :PierreMaillard |
Coule en 1930 |
Saint-Jean-Baptiste |
F 1433 |
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Saint-Joseph |
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A Yport |
P :AlbertTougard puis JulesClément |
Perdu en 1909 |
Saint-Martin |
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Saint-Pascal |
F 1823 |
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Saint-Pierre |
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A Yport |
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Saint-Pierre et Saint-Paul |
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Saint-Sauveur |
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Sainte-Aline |
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Sainte-Bernadette |
F 1077 |
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Sainte-Denise |
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Sainte-Marie |
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Sainte-Marie-Marthe |
F 1534 |
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Voir CPA |
Sainte-Monique |
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P:JeanEugèneEbran |
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Sainte-Victoire 2 |
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1940 |
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Souvenir |
F 123 |
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Coulé par sous-marin en 14-18 |
Souvenir de Marie |
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Souvenir de Sainte-Marie |
F 188 |
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Coulé par sous-marin en 14-18 |
Tout à Jésus à Marie |
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Sauvetage en 1924 |
Tout secours vient du ciel |
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Trois Amis |
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P et p : Pascal Briant |
Sauvetage en 1891 |
Vierge de Lourdes |
F 1089 |
1949 |
Eugène Ebran |
Association Luc Prouveur voir CPA |
Vive Jésus |
I – F 108 II – F 777 III – F 1051 |
III - 1947 |
III – François Ebran |
I-voir CPA III – voir CPA |
Total 70 environ
L’auteur est à la manœuvre …
PS : cherchons la caïque F 1067 transformée en caloge à Vaucottes par Maurice Leblanc
[1] Le gréement latin en Méditerranée avec les tartanes, les balancelles, les bateaux-boeufs, les moures de porc, les barques catalanes.
[2] Nous opterons dans le texte pour le féminin, car c’est dans ce genre que nous l’avons toujours entendu .
[3] Il y a en Turquie des îles Caïques.
[4] Ici deux sources : le site internet des Petites Dalles et Guillaume Lemaître, les « grecs » d’Yport Annales du Patrimoine de Fécamp numéro 13 année 2006 in fine note 6.
[5] Revue maritime et coloniale du 1er trimestre 1890.
[6] Jacob Venedey « Yport et Etretat en 1837 ».
[7] Cette même année 1912, Fécamp a envoyé outre ses harenguiers, 10 caïques. Etretat a de même envoyé ses 14 bateaux pratiquant la pêche aux harengs. Enfin Le Havre lui-même a participé a cette pêche avec 60 petits bateaux non pontés de 2 à 3 tonneaux avec quelques caïques – Revue Maritime – janvier mars 1912 page 260.
[8] Revue Maritime et Coloniale année 1895.
[9] Revue Maritime et Coloniale tome 120 année 1894.
[10] Voir sur les naufrages à l’entrée du port de Fécamp un article paru dans le bulletin 2018 des Amis du Vieux Fécamp.