La fixation en 1790 des limites départementales
entre l’Ille et Vilaine et les Côtes du Nord
Le 15 janvier 1790, sur les conclusions de l’abbé Sieyès, l’Assemblée Nationale, désireuse de détruire toutes les circonscriptions territoriales qui pouvaient rappeler l’ancien régime et la féodalité, décrétait que la France serait divisée en 83 départements ; et afin de concilier tous les esprits, il était entendu que les noms de ces départements seraient tirés des circonstances physiques, et non pas historiques.
Ce nombre de 83 était obtenu à partir d’un tracé géométrique idéal, en partageant la France par quatre grandes lignes qui se croisant du haut en bas et de gauche à droite, donnaient neuf cases ; une division semblable dans chacune des cases donna 81 cases plus petites, auxquelles on ajouta Paris et l’île de Corse, soit 83 en tout.
Châssis figuratif du territoire de la France partagé en divisions égales entre elles
Ce morcellement de territoire fractionnait la Bretagne en cinq départements. Rien ainsi ne rappelait les neuf évêchés de l’ancienne province, ni sa multitude de juridictions.
La réforme fut en général bien accueillie, en raison des avantages administratifs et judiciaires qu’elle apportait, « l’essentiel dans la circonstance était de satisfaire tout le monde pour établir la paix et l’harmonie » !
Un projet anonyme aboutissait à diviser la Bretagne en six départements, plus conforme au découpage des évêchés, un formé des évêchés de Saint-Pol de Léon et de Tréguier, un second avec les évêchés de Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol, les trois suivants sur la côte du Midi, avec les évêchés de Quimper, Vannes et Nantes, le dernier à l’intérieur, sans façade sur la mer, avec l’évêché de Rennes. Mais, les initiateurs du projet craignaient l’influence du clergé, et également un certain cloisonnement des habitants de langue bretonne …
Carte géométrique de Bretagne... portant les limites des futurs départements [1790] 1771-1790
Les difficultés survinrent des régions limitrophes, désireuses d’appartenir à tel département plutôt qu’à tel autre.
Une assemblée des députés bretons se réunit le 23 décembre 1789 ; dès le début de la séance, avant même toute discussion, il avait été arrêté que la province de Bretagne serait irrévocablement partagée en cinq départements. Les chefs-lieux de ces départements furent votés à bulletin secret : unanimité pour Rennes, Nantes, Vannes et Saint-Brieuc, majorité pour Quimper qui avait été mise en concurrence avec Brest.
La limite entre le département de Rennes et celui de Saint-Brieuc se situait naturellement au niveau de la Rance, mais des protestations survinrent …
Lors de la séance suivante du 24 décembre, en fin de réunion, les députés de Saint-Malo demandèrent à être distraits du département de Rennes pour être annexés à celui de Saint-Brieuc. Le motif des malouins était de ne pas diviser leur évêché et sans doute de donner à leur ville une plus grande importance.
La séance du 28 décembre n’apporte pas de réponse à cette question ; les pétitionnaires n’avaient plus qu’à recourir à l’Assemblée Nationale ; la pétition y fut classée comme pièce inutile … On s’aperçut par la suite que la pétition de Saint-Malo n’avait pas été soutenue par les députés de Saint-Brieuc .
Quand, nouveau rebondissement à l’assemblée du 15 janvier 1790, les députés de Rennes demandèrent que la ville de Dinan fût réunie à leur territoire. Cette prétention fut mal accueillie par les députés de Saint-Brieuc qui entendaient bien conserver Dinan sur la rive gauche de la Rance, ainsi d’ailleurs que les deux petites paroisses sur la rive droite de Lanvallay et de Tressaint. On apprenait alors que les députés de Saint-Malo désiraient ardemment voir Dinan dans le même département qu’eux. Ainsi, resurgit l’idée d’un sixième département constitué par les évêchés de Saint-Malo et de Dol qui aurait Saint-Malo pour chef-lieu [1] ; cette dernière idée fut aussitôt rejetée par les représentants de Rennes, avec à leur tête Jacques Defermon ; ceux-ci, se retrouvant sans façade maritime, refusent de signer le procès-verbal de cette séance du 15 janvier.
Suite à deux échecs successifs, les députés malouins demandèrent alors les quatre paroisses de Saint-Enogat, Saint-Lunaire, Saint-Briac et Pleurtuit ; en échange, ils offraient, outre Lanvallay et Tressaint, les paroisses de Pleudihen, Saint-Solen, Saint-Hélen, Evran, Saint-Judoce, Le Quiou, Tréfumel, Guitté et Plouasne. L’idée était d’accroitre le développement sur la côte …
Lors de la réunion du 25 janvier, semble-t-il par une machination de Defermon, la présidence jusque-là tournante, fut retirée d’un représentant de Saint-Brieuc pour revenir à l’un de Rennes ; les malouins renouvellent leur proposition en échange de Dinan, avec cette fois, une égalité de territoire et même un tiers en plus …
La séance du 28 janvier aborde le problème des limites des départements : « les départements de Saint-Brieuc et de Rennes seront séparés par une ligne droite allant de Gael à Saint-Méen et jusqu’à la mer, en laissant Saint-Jouan (de l’Isle) dans le département de Saint-Brieuc, par la Rance, sauf les exceptions qui seront particulièrement déterminées ». La question des paroisses contestées entre Saint-Malo et Dinan subsistait toujours. Sans pouvoir trouver d’issue, il fallait porter le différend devant le comité de Constitution, en vue d’un rapport à l’Assemblée Nationale qui aurait à statuer en définitif.
Une séance privée donc informelle, du 29 janvier, fit évoluer la discussion de la façon suivante, telle rapportée au procès-verbal par le secrétaire Defermon : « Le même jour, 29 janvier, les députés de Saint-Brieuc et Rennes réunis, il a été proposé par MM. de Dinan d’échanger les quatre paroisses de Pleurtuit, Saint-Briac, Saint-Lunaire, Saint-Enogat, si on veut leur céder en échange, vis-à-vis Dinan, Lanvallay, Tressaint, Saint-Hélen, Saint-Solen, Pleudihen, Evran, Saint-André des Eaux, Le Quiou et Saint-Suliac.
A quoi MM. de Saint-Malo ont représenté que Saint-Suliac était trop dans le territoire de Saint-Malo pour en être séparé, que, quant aux autres paroisses dénommées, ils étaient consentans de les céder, et même celles de Tréfumel, Guitté et Plouasné, ce que MM. de Dinan ont refusé.
En conséquence, la contestation reste en l’état au jugement de l’Assemblée.
Signé Defermon »
Il s’agissait pour chacun des intervenants de sauvegarder les apparences et remporter ainsi une satisfaction d’amour-propre. La compensation offerte par les députés de Saint-Malo parut suffisante aux membres du Comité. L’Assemblée les suivit et si elle refusa Saint-Suliac au département de Saint-Brieuc, elle lui accorda malgré lui Tréfumel, Guitté et Plouasné.
Il restait alors à trouver un nom pour ces départements …
Y.D.F.
PS : La rive gauche de la Rance, située en Ille et Vilaine, est délimitée par le Frémur et par le ruisseau La Houssaye ; elle comprend donc Saint-Briac, Saint-Lunaire, Pleurtuit et Saint-Énogat qui deviendra Dinard-Saint-Énogat, de 1879 à 1921 puis seulement Dinard après 1921 ; s’y ajouteront au détriment de Pleurtuit, Le Minihic sur Rance érigé en commune en 1849 et La Richardais par une loi du 27 décembre 1880.
Source : La Révolution dans le département des Côtes du Nord par Léon Dubreuil 1909.
Atlas National de France. N° 31. Département de Lille et Vilaine. Décrété le 26 Janvier 1790 par l'Assemblée Nationale, Divisé en 6 arrondissemens et en 44 Cantons. Revu, corrigé et augmenté en 1818. Echelle de 40 Mille mètres [=Om.150 ; 1 : 333 000 env] / Gravé par d'Houdan
Note :
[1] La ville de Guingamp eut un moment donné la prétention de former un département avec d’un côté Morlaix, de l’autre Saint-Brieuc et donc sans Dinan, puisque destinée à être rattachée à Rennes …