L’établissement Lemoine à Saint-Pierre

L’établissement Lemoine à Saint-Pierre

 

           

L’armement Lemoine, vous le savez bien maintenant, pratiquait la pêche à Terre-Neuve ; pour cela, il y avait les établissements précaires attribués par tirage au sort sur la côte ouest de Terre-Neuve, mais les armements métropolitains possédaient aussi habituellement des installations à Saint-Pierre, notamment sur l’île aux Chiens.

            Comment ces installations se présentaient-elles ?

            Les explications sont données ici par étapes telles nous les avons nous-mêmes retrouvées :

a)                 En toute première information, nous savons que François Guillaume Lemoine (….-….)  fait deux demandes de concession de graves, l’une en 1854, l’autre en 1858, toutes les deux pour l’île aux Chiens (île aux Marins depuis 1931). Ces demandes ont-elles vu le jour toutes les deux? Ces concessions ont-elles été exploitées et jusqu’à quand ?

b)                 Une lettre datée de Saint-Malo du 7 mai 1869, signée Lemoine, est adressée à Duchesne, le gérant à Saint-Pierre : il s’agit d’une recommandation pour le retour de la morue et sur l’approvisionnement en pièces de bois [1].

L’habitation se situait effectivement sur l’île aux Chiens et était dénommée Saint-Urbain.

c) Autre source : par internet, nous apprenons que Lemoine figure sur la liste des contribuables des îles Saint-Pierre et Miquelon en 1871 (au nombre de 156) ; Duchesne, gérant de la maison Lemoine, figure sur la liste des notables (de 1871 également) ; Lemoine, négociant à Saint-Malo, figure sur la liste des patentables à Saint-Pierre pour l’année 1878.

            d) L’étape suivante nous donne beaucoup plus de renseignements. Au décès de Madame François Lemoine, née Augustine Marie Moras, survenu à Saint- Servan le 18 avril 1882, un inventaire est dressé par Me Fourmond, notaire à Saint-Malo en date du 27 juin 1882. L’analyse patrimoniale est complète et nous y trouvons notamment: du mobilier, des extraits d’inscription au Grand Livre de la Dette Publique, des inscriptions de Rentes Françaises, des obligations au porteur, des certificats d’actions, des actions au porteur, des créances pour 124 858 F, des dettes pour 49 347 F, des espèces pour 7 183 F, des traites et effets de commerce pour 211 142 F, des marchandises en magasin pour 44 596,90 F, des navires en cours de campagne et leurs armements, pour une évaluation totale de 516 420 F [2] .

            En outre, il était noté l’existence d’une maison de commerce et d’un établissement de pêche à Saint-Pierre et Miquelon avec: des marchandises pour 68 524 F, une maison avec magasins et chantier pour 20 000 F, du matériel d’exploitation pour 4 106 F, un navire attaché à Saint-Pierre, la goélette Francine, pour 10 000 F, en caisse 880 F.

            Les installations sur Terre-Neuve existaient déjà, certainement, mais n’avaient pas été prisée, comme n’ayant pas de valeur en soi. Ne s’agissait-il pas à vrai dire que de quelques cabanes provisoires?

            e) François Lemoine décède à Saint-Malo le 23 janvier 1885 et par acte de Me Fourmond du 5 octobre 1885, un partage des biens est réalisé entre ses trois enfants. Les navires, soit 13 navires de pêche, 5 navires long-courriers, les 2 sloops attachés à Saint-Pierre, sont répartis entre les deux garçons, Auguste et Anatole, déjà armateurs eux-mêmes; seul le long-courrier Kallakahua, pour 70 000 F, est maintenu en indivision; également les armements des navires de pêche pour 297 429 F; aussi le matériel et  l’installation de Saint-Pierre...

            f) Nous apprenons ensuite que Anatole Lemoine, par acte de Me Lemasson, notaire à Saint-Malo en date des 19 et 20 mai 1888 fit l’acquisition auprès des consorts Folquet d’une habitation à Saint-Pierre sur l’île aux Chiens.

            g) Enfin au décès de Anatole Lemoine survenu le 9 novembre 1889, curieusement, on ne parle plus de Saint-Pierre ; et pourtant la « Chronologie des îles Saint-Pierre et Miquelon » [3] nous indique que quelques semaines auparavant, les 6 et 7 mai 1889, un incendie détruisait l’île aux chiens dont deux magasins de la propriété Anatole Lemoine et des marchandises évaluées à 40 000 francs. Peut-être, s’était-on permis de penser que l’incendie survenu dispensait de donner une valeur quelconque aux installations [4]. Et pourtant, deux ventes immobilières consenties par Berthe Lemoine, la veuve, sous condition d’autorisation pour ce qui concerne ses enfants, eurent lieu en 1890 et 1891 :

            - par acte de Me Eugène Salomon notaire à Saint-Pierre, du 11 octobre 1890, Emile Gloanec, gérant et mandataire, autorisé par Joseph Blaize le liquidateur de l’armement, vendait à Jacques Lamusse, négociant et armateur à l’île aux chiens, les biens suivants :

            1°) une grande saline et le terrain situé au nord plus deux tiers indivis de la cale qui touche le terrain vendu du côté du nord-est, ledit terrain borné au nord par la rade, au sud par les nommés Nouvel, Lemoine, Lemaréchal et Auguste Laloi.

            2°) une grève dite Le Grand Galet et un terrain faisant suite au sud, la grève mesurant environ 44,50 mètres à l’est, 35,50 m à l’ouest, 36 m au nord et 36,5 m au sud ; le terrain mesurant environ à l’ouest 48,40 m, à l’est 43,50 m, au nord 37 m et au sud 37 m ; borné dans son ensemble au nord par Lemaréchal, au sud par des terrains vagues, à l’ouest encore par des terrains vagues et à l’est par Alphonse Tillard et Jouvin.

            Le prix était de 3 000 francs payé comptant.

            L’origine de propriété était ainsi expliquée : « Monsieur Anatole Lemoine était propriétaire dudit immeuble pour l’avoir recueilli dans la succession de son père, le tout ainsi déclaré par M. Gloanec qui s’engage envers l’acquéreur à lui fournir tous les titres de propriété relatifs audit immeuble lors de son arrivée en France ; le sieur Lemoine, son père, en était propriétaire pour l’avoir acquis de la Compagnie Générale Transatlantique, suivant acte au rapport de Me Charles Salomon, lors notaire de la colonie, en date du 22 septembre 1873 ; la Compagnie Générale Transatlantique en était propriétaire avec une portion plus considérable pour l’avoir acquis tant des héritiers Barret que de concessions du Gouvernement de la colonie remontant à 1764 ainsi que cela est expliqué dans un cahier des charges au rapport du même notaire en date du 21 juin 1872. »

            - par acte toujours de Me Salomon du 7 octobre 1891, Gloanec es-qualité vendait à l’Administration des Colonies représentée par Théophile Bergès « une propriété sise à l’île aux Chiens consistant en une maison d’habitation, magasin, terrains et dépendances, le tout d’un seul tenant borné au nord par un sentier de trois mètres, les graves et un jardin de madame Anatole Lemoine, au sud par le domaine, à l’est par une prairie à madame Lemoine et à l’ouest par le domaine, ledit terrain mesurant en superficie 3129,60 mètres carrés » ; le prix de la vente était fixé à 7 100 francs.

            Nous n’avons hélas pas de description plus précise de cette « habitation » de Saint-Pierre, contrairement à ce que nous allons avoir pour Terre-Neuve. Nous savons par ailleurs qu’elle se trouvait - donc sur l’île aux chiens – dans l’anse à Couepel à proximité des propriétés Depincé, Couepel et Dodeman [5]; pour accéder à l’île, il y avait deux cales : la cale Huet et, plus ancienne, la cale Lemoine.        

Les gérants en ont été successivement Duchesne puis Gloraec comme cela a été vu plus haut ; Demontreux en a été le gardien. Nous n’avons en fait que peu de renseignements sur les activités économiques réelles de l’établissement à l’égard des navires pêchant tant sur les bancs qu’à la côte de Terre-Neuve.

Voici donc les quelques explications connues à ce jour.

Aujourd’hui, il ne subsiste plus rien de cet établissement, l’île aux chiens dénommée aujourd’hui l’île aux marins n’étant plus habitée et n’étant plus édifiée que d’une chapelle [6] et de quelques maisons.

 



[1]  Communication du docteur Gilles Foucqueron, auteur du dictionnaire « Saint-Malo 2000 ans d’histoire »

[2]  Un franc des années 1880-1890 représentait en 2000 environ vingt fois plus

[3]  de Emile Sasco, édition mise à jour en 2002, page 53

[4]  Dans la succession revenant rappelons-le ici à deux enfants mineurs, nous n’avons pas retrouvé non plus les indemnités d’assurances certainement perçues par la suite pour le risque d’incendie

[5]   voir « images de Saint-Pierre et Miquelon » par Jean Levesque page 107

[6]  la chapelle Notre-Dame édifiée par et aux frais de Paturel d’Aigremont négociant et armateur à l’île aux chiens.