Les vagues scélérates

lors des traversées jusqu’à Terre-Neuve

 

Les vagues scélérates ou « rogue waves » sont des vagues océaniques gigantesques, soudaines et rares ; jusqu'au milieu du XXe siècle, leur existence était mise en doute, faute de mesures objectives, par la grande majorité des scientifiques spécialisés, et ceci malgré les nombreux témoignages rapportés par les marins au cours des siècles ; ces vagues étaient alors rattachées, sans véritable examen, au folklore maritime, à un mythe marin ...

Etant laissées longtemps inexpliquées, il a fallu attendre en 1964 la mesure faite par une frégate météo britannique d'une vague de 20 mètres et l'analyse de cet événement par l'océanographe Laurence Draper pour que les scientifiques révisent leur position et commencent à s'intéresser au phénomène. (wikipédia)

 

Les vagues scélérates, traîtresses des mers

 

Une « seiche » est une vague se formant dans les ports ou les détroits, une oscillation de l'eau dans un bassin hydrique quelconque, provoquée par de petites secousses telluriques, par le vent ou par des variations de la pression atmosphérique.

Un « mascaret » se forme dans les estuaires de certains fleuves ; il correspond à une brusque surélévation de l'eau provoquée par l'onde de la marée montante lors des grandes marées allant à l’encontre du courant.+

 

Les vagues scélérates sont aussi dénommées vagues de Draupner, car le 1er janvier 1995, le forage pétrolier de Draupner en Mer du Nord a été frappé par une vague dont la hauteur a été mesurée à 26 mètres par un dispositif laser embarqué, les vagues voisines le plus haut autour atteignant 12 mètres. Les données radar objectives recueillies sur cette plateforme et sur d’autres – des relevés radar sur les champs pétrolier de Goma en Mer du Nord - ont enregistré 466 vagues scélérates en 12 ans ; ces résultats ont définitivement converti les scientifiques encore sceptiques.

 

Ces vagues ont la particularité d'avoir une hauteur deux fois plus importante que la hauteur moyenne des vagues qui l'entourent et ont une durée de vie très brève (environ 20 secondes). Le phénomène très complexe a pu être reproduit en laboratoire ; il fait appel à la mécanique des fluides. Certaines vagues arrivent à absorber et à restituer l'énergie des autres vagues. Les plaisanciers connaissent bien la notion de mer croisée, celle que l'on qualifie souvent de mer de "casse bateau".

 

Une vague normale de 3 mètres de haut exerce une pression de 6 tonnes par mètre carré ; une vague de tempête de 10 mètres de haut peut exercer une pression de 12 tonnes par mètre carré ; une vague scélérate de 30 mètres de haut peut exercer une pression allant jusqu'à 100 tonnes par mètre carré. Or, aucun navire n'est actuellement conçu pour résister à une telle pression.

 

https://www.histoire-genealogie.com/local/cache-vignettes/L597xH345/clooney-f0175.png?1617690917

 

Les récits les plus connus sont ceux de Christophe Colomb du 4 août 1493, dont le navire fut soulevé à une grande hauteur ; de Manuel de Mesquita en avril 1554 ; de Jules Dumont d’Urville en 1828, « aux Açores, les lames atteignaient jusqu’à 80 à 100 pieds de hauteur. Jamais je ne vis une mer aussi monstrueuse. Ces vagues ne déferlaient sur nous heureusement que de leurs sommités … Affreux chaos qui ne dura pas moins de quatre heures de nuit … un siècle à blanchir les cheveux ! » De Ernest Shackleton en mai 1916 ; « Jamais je n’avais rencontré sur ma route une vague aussi gigantesque ».

 

A propos de ce phénomène, on fit souvent allusion aux énormes rouleaux dus aux puissants courants des Aiguilles, au large du cap de Bonne-Espérance ; également aux disparitions inexpliquées au sein du triangle des Bermudes.

 

Tous les océans du globe sont visés par le phénomène. En juin 1973, au large de l’Afrique du Sud, une vague scélérate arracha soixante mètres de coque du navire « Neptune Sapphire ». En février 1995, le paquebot de croisière Queen Elizabeth II, au cours d’un ouragan dans l’Atlantique Nord, a trouvé sur son chemin une vague scélérate de 29 mètres de haut que le Capitaine Ronald Warwick a décrite comme « un immense mur d’eau … on aurait dit que nous foncions tout droit dans les falaises blanches de Douvres » …

 

Pendant plusieurs siècles, des centaines de pêcheurs européens allèrent à Terre-Neuve pour la pêche aux phoques ou à la baleine puis à la morue et aussi au homard ; les départs des navires à voiles se situaient en mars de chaque année, les retours à l’automne, de septembre à décembre ; certains navires, les « chasseurs », faisaient un retour en juillet, puis parfois un second voyage dans l’année ; les chalutiers avaient quant à eux un voyage par trimestre ; immanquablement, tous ces navires pendant tous ces longs et fréquents déplacements furent confrontés à des vagues scélérates.

 

Pour tous ces navires, les accidents furent nombreux ; 50% des accidents de mer concernent les navires-pêcheurs ;  la plupart du temps, ils étaient surpris par les tempêtes, et étaient jetés à la côte ; mais les pertes de navires en pleine mer existaient aussi ; les pertes étaient alors souvent réalisées corps et biens, sans aucune trace et aucune preuve des circonstances de la perdition ; il est tout à fait possible de penser maintenant qu’ils avaient été confrontés à des vagues gigantesques.  

 

Les raisons de ces accidents en pleine mer sont multiples : d’abord les icebergs surtout à l’occasion de mauvaises visibilités (le brouillard, la nuit …) ; également les navires pris par le travers dans les tempêtes et qui se couchent (lame de travers, pour les voiliers rafale de vent de travers) ; des collisions peuvent aussi survenir, surtout la nuit dans les couloirs de grande circulation maritime (Manche, Mer d’Iroise …) ; et puis il y avait donc ces vagues dites scélérates … on parle aussi parfois des trombes qui soulèvent les navires et puis creusent des gouffres dans la mer (Abbé Grossetête La Grande Pêche édition L’Ancre de Marine page 94)

 

Les raisons des disparitions en pleine mer n’étaient pas toujours élucidées ; les moyens de recherche étaient presque inexistants ; l’on se contentait souvent nde faire des suppositions sur la rencontre d’une forte tempête.

 

La seule prévention possible, à travers l’océan, était de voyager en caravane, de façon, en cas de naufrage, à pouvoir repêcher les survivants … de façon également à mieux lutter contre les pirates …

 

En plein Océan Atlantique, la frégate Fraternité disparait  corps et biens en 1802, avec son capitaine Bernard et son équipage ; puis le brick Le Faber en 1835, capitaine Pardeilhan ; le brick Le Dunois en 1842, capitaine Vrignaud ; au Groenland, La Lilloise disparait en 1833, sous les ordres du Lieutenant de Blosseville.

 

A Fécamp, Léopold Soublin (Cent Ans de pêche à Terre-Neuve) cite les disparitions suivantes :

-        En 1818, Père de Famille, armateur Germer Dechamp,

-        En 1834, Junon, armateur Fréret, capitaine Vasselin, 17 hommes à bord,

-        En 1835, Aline, armateur Fréret,

-        En 1846, Union, armateur Tinel et Legrand, capitaine Bloc,

-        En 1864, Frère et Sœur, armateur Chancerel, capitaine Monnier,

-        En 1891, Nouveau Coriolan, armateur Savalle, capitaine Haumont, avec 28 hommes, tous d’Etretat,

-        En 1896, Trois Frères, armateur Henri Acher, capitaine Canterelle, avec 16 hommes,

-        En 1898, Ville de Fécamp, armateur Pierre Le Borgne, capitaine Roulic, 33 hommes d’équipage, laissant 20 veuves et 50 orphelins,

-        En 1901, Joséphine Anna, armateur Delabrecque, capitaine Cantrelle, 29 hommes,

-        En 1907, Notre Dame de Lourdes, armateur Alexandre Joly, capitaine Duhamel avec 39 hommes,

-        En 1907, Saint-Ideuc, armateur Anquetil.

 

A Saint-Malo, les pertes en pleine mer étaient malheureusement tout aussi fréquentes : à titre d’exemple, l’armement Lemoine eut à déplorer les évènements suivants :

- En 1843, la goélette Postillon est naufragée en mer dans la traversée de l’île de Ré à Terre-Neuve,

- En avril 1854 : la goélette Anatole disparaît en mer en se rendant de Saint Malo à Terre-Neuve,

- En mars 1855, le brig Bonne-Mère est présumé avoir sombré dans la traversée de Saint-Malo à la côte ouest de Terre-Neuve,

- Le 13 juillet 1857, le trois-mâts François Augustine est présumé perdu corps et biens dans la traversée de Saint-Pierre aux Antilles,

- En novembre 1865, le brig Bellone est présumé péri corps et biens dans la traversée de Saint-Malo en Angleterre,

-  En octobre 1886, le brig-goélette Pyralpa est présumé avoir péri corps et biens étant parti de Saint-Malo pour Cadix et n’ayant pas donné de nouvelle depuis,

- Le 10 mai 1917, la goélette Florentine partie de Fowey (G-B) pour Gènes est présumée perdue corps et biens, le fait de guerre n’ayant pas été retenu.

 

Les raisons de toutes ces disparitions n’ont, pour la plupart, jamais été élucidées ; maintenant qu’elles sont mieux connues et reconnues, les vagues scélérates, même sans preuve formelle, doivent être prises en considération dans l’histoire maritime …

 

                                                                                                          Mai 2021 – Y.D.F.

Sources :

Site internet : https://www.histoire-genealogie.com/Nos-ancetres-disparus-en-haute-mer-sans-temoin

« La Mer » par Jules Michelet – Paris Hachette 1861

« Anatomie curieuse des vagues scélérates » par M Olagon et J Kerr – Versailles Quae 2015

« De Charydbe en Scylla » par Alain Cabantous et Gilbert Buti aux éditions Belin 2018