Autrefois, les parcs à bois submersibles de la Marine
- Etude partielle –
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La construction d'un navire en bois de 30 m de long sur 8 m de large nécessitait autrefois environ 1 000 pieds d’arbres, soit approximativement 50 hectares de forêt. Pour alimenter les constructions navales en bois, la Marine possédait sur les forêts françaises un droit prioritaire de martelage, et par la suite un véritable droit de préemption sur les chênes.
Aussitôt l’abatage, la conservation des grumes s’est longtemps avéré une problématique qui fit l’objet de nombreux débats et mémoires, notamment ceux de Duhamel de Montceau. Il fallait, en déterminant des temps de séchage et aussi d’inondation, laisser les bois à maturation, pour conserver leur qualité jusqu’à la découpe.
Les grumes séjournaient en moyenne 2 ans dans un parc à bois inondable ou un bassin d’enclavation ; il fallait s’assurer de l'élimination des tarets, petits mollusques au corps allongé, grands amateurs de bois humides ; l’on devait aussi se préoccuper de l’attaque des insectes, de l’élimination de la sève et également de la dessiccation des résineux …
Les parcs à bois existaient auprès de chacun des arsenaux ou chantiers navals ; il s’agissait donc d’assurer la conservation en bon état de tous les bois, dans l’attente d’être utilisés.
En bord de mer, les parcs inondables utilisaient l’alternance de l'immersion et de l'émersion au gré des marées. Les eaux recherchées étaient l’eau douce mélangée à l’eau de mer (eaux saumâtres ?)
A défaut d’immersion, les bois étaient conservés par aspersion dans les dépôts.
Les bois préemptés par la Marine étaient flottés sur le Seine jusqu’aux ports de Rouen ou du Havre ou bien voiturés sur la Loire dont le débit était plus irrégulier. Les bois étaient soit secs, soit demi-flotté avec une seule journée dans l’eau, soit flotté, soit canard où trop longtemps dans l’eau ils avaient tendance à sombrer …
En Bretagne, la Marine réclamait beaucoup de bois pour tous les ports qui y pratiquaient la construction navale ; l’approvisionnement était plutôt difficile, la région étant plus embocagée que enforestée … Les bois venaient de la Baltique, de Russie ou bien du Rhin mais aussi d’Auvergne ou de Normandie ; les mâts, en sapin, venant du Nord étaient les meilleurs. On cherchait aussi à faire venir des bois des Pyrénées.
A Lorient, autrefois, le parc à bois dépendait de la Compagnie des Indes qui, à l’époque, pour l’approvisionnement des bois, était en concurrence avec la Marine ; à partir de 1820, la construction navale utilisait les terrains de l'anse de Kerhonnou, des abords du Scorff jusqu'à la place Delaune et l'actuel hôtel de ville ; de 1847 à 1852, un parc à bois est installé par la Marine dans une anse du Scorff - l’anse de Kerguillé ? - , au lieu-dit Saint-Isidore, commune de Lanester, permettant ainsi une meilleure gestion des bois nécessaires à la construction des navires. L’endroit doit son nom à la petite chapelle Saint-Isidore ou plutôt l'oratoire qui se trouvait au bout de la rue Kerdavid - détruite vers 1930 -
L'alternance des marées permettait de maintenir immergés puis émergés toutes les grumes parquées. Le parc à bois comptait environ 5 000 pieux, pouvant être enfoui jusqu'à plus de 2 m de profondeur ; les pieux encore visibles étaient destinés à bloquer, à retenir ? – support ? - les planches – grumes ? - prévues pour les constructions maritimes. Ces planches étaient ensuite remorquées par une chaloupe et dirigées vers le chantier de construction.
Voir thèse de doctorat soutenue par Gérard Le Bouëdec en 1994
Le parc à bois de Lorient aujourd’hui à basse mer
A Brest, dans la rivière de Penfeld, au fond de la ria, il y avait autrefois un parc à bois, avec ses pieux qui maintenaient les bois dans l’eau saumâtre, propre à leur conservation.
Par la suite, il y eut un parc à bois de l’anse de Kerhuon : les installations militaires de l'anse de Kerhuon donnant sur l’Elorn furent fermées au XVIIIe par une digue pour en faire le parc à bois de la marine ; une digue située en aval maintenait dans une retenue d’eau le parc et les bois immergés, utilisés pour la construction des vaisseaux
« Outre le parc au bois de la Penfeld, la Marine en possède un autre à 8 kilomètres à l’Est de l'entrée du port, sur la côte septentrionale, un peu en aval de l’embouchure de l’Elorn. C’est le parc de l’anse de Kerhuon qui contient une réserve constante de dix millions environ en bois de charpente et de mâture. Acquis par la marine en 1787, après l’abandon du dépôt de l'anse de l’Auberlac’h, il a été fermé, de 1829 à 1839, par une digue à écluse destinée à y retenir l’eau douce dont le mélange avec l'eau de mer est indispensable pour la destruction des tarets, et en même temps à y maintenir une hauteur d'eau suffisante pour la manœuvre des embarcations. L’anse est aujourd’hui traversée par la voie ferrée de Rennes à Brest. Afin de ne point gêner le service de la marine, le viaduc a été construit de manière à laisser entre lui et la mer un espace suffisant pour maintenir la possibilité d’y créer, au besoin, un vaste bassin à flot. »
Le parc à bois dans l’anse de Kerhuon en 1863 – source Musée National de la Marine à Brest -
A Brest, des poutres de bois étaient immergées pour la même raison dans l'anse aux Baux, dans l'anse de la Villeneuve, dite aussi anse de Langoulouarn, l'anse de Saint-Guénolé, l'anse au Merle, l'anse Goyen, l'anse de la Chapelle-Jésus …
Les gabarres de Rhuis assuraient le transport des bois ligériens vers Brest ; mais il arrivait souvent que Nantes soit bien approvisionné alors que Brest était à court de bois. Pendant les périodes d’hostilité au 18ème siècle, on évitait le transport par mer ; l’approvisionnement en bois devenait alors une vraie difficulté.
Voir « La logistique des port et arsenal de Brest au milieu du 18ème siècle » par Louis Le Roc’h Morgère 1988 – Persée éditeur –
A Rochefort en mer, nous n’avons retrouvé qu’un dépôt de bois à sec – voir illustration –
A Toulon, les bois de construction, surtout les chênes étaient immergées dans les eaux saumâtres de la vieille darse, pendant plusieurs mois et maintenus sous l’eau grâce à des caissons chargés de pierres ; les bois étaient ensuite mis à sécher dans une halle à bois jusqu’à être employés pour la construction navale –
Voir « Des forêts pour un arsenal méditerranéen » Toulon au 18ème siècle par Gilbert Buti dans l’ouvrage « Forêt et Marine »
A Nantes, le dépôt de bois des Services de la Marine était situé en aval du port, sur l’île d’Indret, à son extrémité est ; il recevait tous les bois acheminés par la Loire.
A Saint-Malo, il y avait un parc à boulets, assez compréhensible pour une cité corsaire, mais pas de parc à bois inondable à notre connaissance ; chaque chantier avait son approvisionnement et puis son dépôt.
Dans l’arsenal de Cherbourg, il y avait un parc à bois, près de la corderie et de la caserne de le Marine
A Fécamp, les bois arrivaient au port en provenance des pays nordiques ; ils étaient exposés aux intempéries au fond du quai Bérigny où les scieurs de long travaillaient journellement ; puis les bois étaient acheminés dans les différentes scieries ou magasins.
Aout 2020
Yves Duboys Fresney
Illustration de l’Encyclopédie de Diderot