Un complot littéraire à l’abbaye de Fécamp (1723-1725)

 

En ce début du 18ème siècle, l’ouverture de l’esprit, notamment à des idées nouvelles, passent assez mal dans certains milieux monastiques …

L’abbé Prévost (1697-1763), de passage à l’abbaye de Fécamp, va vouloir aider dom Le Cerf de la Viéville (1697-1763) qui était alors en difficulté avec sa hiérarchie pour faire publier son manuscrit sur la « Bibliothèque historique et critique de la Congrégation de Saint-Maur ».

Les deux conspirateurs vont se tourner vers la Hollande pour contourner l’autorité hiérarchique … Ils vont en quelque sorte comploter pour pouvoir publier l’oeuvre ….

 

Les personnages en présence :

 

Antoine François Prévost d’Exiles (1697-1763)

La vie monastique de l’abbé Prévost dura de 1720 à 1728 ; il parlera par la suite d’un asile qui allait pour lui se révéler un tombeau ; elle commence par deux noviciats chez les jésuites, interrompus par deux engagements militaires et entre, après une affaire malheureuse chez les bénédictins de Jumièges ; ses vœux sont prononcés en 1721 à l’abbaye de Saint-Wandrille ; après un bref séjour à l’abbaye Saint-Ouen de Rouen, Prévost fait son cours de théologie de trois ans à l’abbaye du Bec. Par la suite, il y eut le passage à l’abbaye de Fécamp, il enseigne au collège de Saint-Germer puis séjourne à l’abbaye de Sées ; son ordination a lieu en 1725 ; fin 1727, il est à l’abbaye de Saint Germain des Prés ; … Puis il s’est enfuit a-t-on écrit … il devient un moine fugitif, un moine défroqué ; novembre 1728, il se convertit au protestantisme et s’exile en Angleterre en passant par la Hollande ; « On conviendra que je n’étais nullement propre à l’état monastique, et tous ceux qui ont su le secret de ma vocation n’en ont jamais bien auguré. S’il y a quelque chose à me reprocher, c’est d’avoir rompu mes engagements, mais est-on bien sûr que j’en aie jamais d’indissolubles ? … »

Par la suite, il fera amende honorable, revient en France et obtient sa réintégration chez les bénédictins … en 1732 ?

 

Dès 1723, il est en relation avec les libraires hollandais pour imprimer un petit écrit satirique sur la Régence, Les Aventures de Pomponius (A.A.E., CD., Hollande, ms. 350351)

Il se serait déjà rendu en Hollande dès la fin de 1718 …

Vers 1724, il fait passer un manuscrit de Dom Le Cerf de La Viéville à Gosse et Néaulme (Si, p. 59)

Fichier:Abbé Prévost.jpg — Wikipédia

Jean-Philippe Le Cerf de la Viéville, né en 1677 à Rouen et mort à l’abbaye de Fécamp le 11 mars 1748, fit ses premières humanités au collège de Rouen – aujourd’hui Lycée Corneille - , il n’avait pas fini sa rhétorique lorsqu’il décida d’embrasser l’état religieux.

Il entra dans la congrégation de Saint-Maur où il avait déjà un oncle. Celui-ci envoya son neveu à Marmoutier dont le prieur était dom Claude Marrin, il reçut de ce supérieur l’habit monastique le 18 mars 1696 et fit profession le 20 mars 1697. Comme il aimait la littérature, ses supérieurs l’envoyèrent à Rouen où il se livra avec succès à l’éloquence de la chaire, mais ses forces physiques ne pouvant résister à la fatigue que lui causaient et la composition de ses sermons et la véhémence avec laquelle il les débitait, il vit sa santé s’altérer sensiblement où il tomba malade. Il partit alors pour l’abbaye de Saint-Wandrille. Là il attaqua par ses écrits, le culte que l’on rend à plusieurs saints. Mais il eut pour antagoniste dom François Le Tellier qui remporta la victoire.

Transféré à l’abbaye de Fécamp, il y devint grabataire pendant près de trente ans, malgré son état il est infatigable et étonne par sa mémoire, il entreprend et termine plusieurs ouvrages. Il compose entre autres : la Bibliothèque des écrivains de la Congrégation de Saint-Maur. N’ayant pu obtenir de ses supérieurs, (le père de Sainte-Marthe, général de la congrégation lui retourne son manuscrit) l’autorisation d’imprimer cet ouvrage, à cause de quelques traits satiriques qu’il contenait contre plusieurs de ses confrères, Le Cerf de la Viéville confia son manuscrit au célèbre abbé dom Prévost, qui l’envoya en Hollande, où Jean Le Clerc le publia en 1726 in-12 chez Pierre Gosse à La Haye.

Dans son avertissement l’auteur dit faire preuve d’impartialité, mais on s’aperçoit qu’à l’égard de dom Martianay, de dom Lirn et de quelques autres qu’il est plein de ressentiments. Il a beau prétendre que son ouvrage est une ébauche, il va essuyer une vive critique de Perdoux de La Perrière, citoyen d’Orléans qui se cache sous le nom de dom P. le Richoulx de Norlas dans une lettre de 1727. Dom Le Cerf se défendra dans un ouvrage paru à Paris chez Chaubert la même année. Pensant avoir affaire à un confrère, il le prend de haut et prétend que les erreurs et omissions proviennent de l’éditeur, il y apprend aux lecteurs qu’il avait un privilège du roi, avec approbation de Mr Rigeri, censeur royal et que le Révérend Père de Sainte-Marthe son Général lui avait dit que l’ouvrage était bien écrit. Mais il ne dit pas qu’on lui avait refusé la permission de l’imprimer. Le savant revint à la charge et publia une seconde lettre dénonçant plusieurs erreurs grossières et bévues. Le supplément que dom Le Cerf devait faire n’est jamais paru. Il répond à plusieurs remarques de l’abbé Laurent Josse Le Clerc dans une lettre conservée à la Bibliothèque française de Sauzet t. 16e - 1e partie.

 

Denis de Sainte-Marthe (Paris, le 24 mai 1650 – Paris, le 30 mars ou avril 1725) est un moine bénédictin français, théologien et historien, qui fut supérieur général de la congrégation de Saint-Maur. Il contrôlait les publications des moines …

 

 

Denis de Sainte-Marthe — Wikipédia

 

 

 

 

Le contexte historique :

 

La congrégation de Saint-Maur

 

La Congrégation de Saint-Maur, souvent connue sous le nom de Mauristes, est une congrégation de moines bénédictins français fondée en 1618, connue pour le haut niveau de son érudition. La congrégation et ses membres tirent leur nom de saint Maur (mort en 565), disciple de saint Benoît auquel on attribue l'introduction en Gaule de la règle et de la vie bénédictines.

 

L'école historique et critique des Bénédictins de Saint-Maur, commencée en 1632 par leur supérieur général Dom Tarrisse, a produit un grand nombre d'auteurs et des centaines de collections monumentales comme Gallia Christiana, L'Art de vérifier les dates, l’Histoire littéraire de la France, l’Histoire générale de Languedoc, dont la valeur d'érudition est omniprésente. (Wikipédia)

 

Les abbayes normandes touchées par la Réforme de Saint-Maur sont :

Abbaye du Mont-Saint-Michel en 1622

Abbaye Saint-Martin de Sées en 1636

Abbatiale Sainte-Trinité de Lessay dans la Manche, à partir de 1707

Abbaye aux Hommes à Caen, à partir de 1663

Abbaye de la Sainte-Trinité de Tiron, dans le Comté du Perche, à partir de 1630

Abbaye Saint-Ouen à Rouen

Abbaye Notre-Dame du Bec, diocèse d'Évreux

Abbaye de la Trinité de Fécamp dans le diocèse de Rouen, en 1649, sous l’abbatiat de Henri de Bourbon-Verneuil, fils du roi Henri IV et évêque de Metz

Abbaye de Saint-Wandrille de Fontenelle dans le diocèse de Rouen, à partir de 1636

Abbaye Saint-Taurin, diocèse d'Évreux, à partir de 1642

Abbaye Saint-Georges de Boscherville, à Saint-Martin-de-Boscherville

Abbaye Saint-Michel du Tréport (18 octobre 1659)

 

L’abbaye de Landévénec donc on parlera plus loin, est rattachée à la congrégation de Saint-Maur, dès le 28 septembre 1628.

 

La révocation de l’édit de Nantes de 1685

 

L’édit de Fontainebleau, signé par Louis XIV le 18 octobre 16851, révoque l’édit de Nantes par lequel Henri IV, en 1598, avait octroyé une certaine liberté de culte aux protestants du royaume. L'édit de 1685, qui consiste à interdire le culte protestant en France, est plus connu sous le nom de « révocation de l'édit de Nantes ».

Dès le début de son règne, Louis XIV, veut unifier son royaume sous sa seule autorité (« monarchie absolue » c'est-à-dire parfaite) tant sur les plans politique qu'administratif, ce qui se résume par la formule « une foi, une loi, un roi ». Cela implique une centralisation extrême du pays et l'éradication de tout particularisme, dont le protestantisme est un exemple type. S'appuyant sur une interprétation étroite de l'édit de Nantes, il fait accumuler les enquêtes, les dénonciations, les interdictions, voire les destructions d'écoles et de temples, et même les enlèvements d'enfants pour les plus opiniâtres. Après des années de persécutions et de conversions forcées, sur la foi des rapports des intendants qui s'attribuent le mérite d'avoir extirpé le protestantisme de leur juridiction2, considérant que le protestantisme français a pratiquement disparu, le pouvoir royal décide que l'édit de Nantes est devenu caduc et peut donc être révoqué.

 

L'Église réformée de France (ERF), d'origine zwinglienne et calviniste, principale Église protestante historique en France, est alors régulièrement désignée (et diffamée) par les catholiques comme religion prétendue réformée (R.P.R.), ce qui inclut toutes les Églises réformées.

 

La révocation a pour conséquence une accélération de l'exil de quelque 200 000 protestants, soit environ un pour cent de la population du royaume, appartenant pour beaucoup d'entre eux à l'élite intellectuelle, dont David Ancillon et Denis Papin, au profit des concurrents économiques de la France : l'Angleterre, les Provinces-Unies , la Suisse et la Prusse, et parfois de leurs colonies comme l'Amérique ou la colonie du Cap. (Wikipédia)

 

La querelle des Jansénistes dans les abbayes normandes

 

L’abbaye de Fécamp avait été, parait-il, la plus jansénisante de Normandie, avec celle du Bec ; elle allait en 1720 protester unanimement contre l’acceptation de la bulle papale.

La bulle Unigenitus est la constitution apostolique sous forme de bulle que le pape Clément XI publie en septembre 1713 pour attaquer le jansénisme.

Il s’agissait de condamner l'oratorien Pasquier Quesnel et condamne comme fausses et hérétiques cent une propositions extraites des Réflexions morales, son ouvrage paru en 1692.

le pape publia le 28 août 1718 la Bulle « Pastoralis officii », où il excommuniait tous ceux qui refusaient d'accepter la bulle Unigenitus.

Nous savons que le Séminaire de Valognes, fondé en 1654, avait été fermé vingt ans plus tard, en 1675, pour cause de jansénisme ; le monastère Saints-Pierre-et-Paul-de-Castillon de Conches fit enregistrer aux greffes du notariat apostolique une déclaration de rejet de la bulle.

 

A partir de 1722, le prieuré de Saint Hymer dépendant de l’abbaye du Bec, devient un actif centre janséniste, ce qui le fait appeler le « Port-Royal de Normandie ».

L'abbaye de Saint-Ouen devint l'un des grands foyers du jansénisme sur lequel s’abattirent les rigueurs du pouvoir central. L’intendant de Rouen, Leblanc, très haut « fonctionnaire », fut destitué en raison de ses sympathies envers Port-Royal (voir Gérard Hurpin Le jansénisme à Rouen au 17ème s).

 

Sur ordre du Roi de 1709, Port-Royal est détruit en 1711.

 

A cette époque, les disputes religieuses étaient nombreuses, y compris dans les monastères, entre les ultramontains et les gallicans, entre les parlements, les jésuites et les jansénistes ; ces divisions ridicules laissèrent le champ libre à la secte philosophique qui en profita et ne tarda pas à renverser les faibles digues qui avaient résisté aux querelles envenimées des deux partis.

L’abbé de Fécamp, Claude de Canillac [i] , avait lui-même écrit au pape, pour lui proposer de résoudre certaines difficultés religieuses ; le Saint Père le blâma de sa démarche, en lui faisant la réponse sage que les Français étaient aussi bons catholiques que les Romains, et qu’on devait s’abstenir de questions irritantes qui indisposaient les esprits, au lieu de les ramener à l’union, qui était le vœu le plus cher de son cœur … (Léon Fallue – Histoire de la ville et de l’abbaye de Fécamp – Rouen 1841 - page 434)

 

 

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L'abbaye de Fécamp à l’époque des Mauristes en 1687, vue vers le Nord

Source : Monasticon Gallicanum

 

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Vue vers le Sud

 

La littérature clandestine

 

La littérature philosophique clandestine au XVIIIe siècle : orientations de la recherche.

Par Sylviane Albertan-Coppola

Dans Revue de l'histoire des religions  Année 1999  216-3  pp. 355-366

 

La littérature clandestine et la circulation des idées antireligieuses dans la première moitié du XVIIIe siècle

Par Ann Thomson

Dans L'Encyclopédie Diderot, l'esthétique (1991), pages 297 à 304

 

Quelques réflexions sur les auteurs de littérature philosophique clandestine

Par Maria-Susana Seguin

Dans HAL OPEN SCIENCE Id: hal-01907249

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01907249

Submitted on 28 Oct 2018

 

Le complot par lui-même

 

Le terme de complot a été employé par le biographe Jean Sgard ; il s’agissait effectivement d’un projet concerté secrètement afin de nuire ; nous y ajoutons le terme littéraire car la raison du complot était la publication – ou plutôt le refus de publication – d’un ouvrage ayant trait à la Congrégation de Saint-Maur dont faisait partie l’auteur.

L’abbé Prévost, étant en 1722 à l’abbaye du Bec, se retrouva un an plus tard à l’abbaye de Fécamp. Cette abbaye était alors la plus jansénisante de Normandie, avec celle du Bec ; elle venait en 1720 de protester unanimement contre l’acceptation de la bulle. Prévost dut être mis rapidement au courant de la situation par Jean Philippe Le Cerf de Viéville qui avait été transféré de l’abbaye de Saint-Wandrille à celle de Fécamp suite à une polémique sur l’authenticité des saints de son abbaye ; il y passait son temps, infirme, reclus dans sa chambre, à composer une bibliothèque des écrivains de Saint-Maur.  Le Cerf est réputé pour son esprit critique et sa plume acerbe ; dans son ouvrage, il lance quelques traits satiriques contre quelques-uns des auteurs ses confrères ; de ce fait, ses supérieurs à Paris – Dom Denys de Sainte-Marthe - lui refusent la permission de faire imprimer ; l’abbé Prévost sert alors de médiation, toujours en relation avec les protestants français de Hollande, il envoie le manuscrit de Le Cerf à La Haye où le fameux Jean Le Clerc le fit imprimer en 1726.

 

Book page image

 

La Cour ordonne une expédition militaire pour arrêter Dom Le Cerf (1731)

 

« Il semble que les expéditions militaires s’étaient ralenties à l’égard des Bénédictins, lorsque la Cour qui en a toujours trouvé l’exercice si commode les renouvela en 1731.

L’avocat du Roi au présidial d’Angers arriva le 6 octobre à Landévénec qui est une abbaye située dans la Basse Bretagne, escorté de deux brigades de la Maréchaussée qui investirent le monastère. L’Avocat du Roi fit voir au Prieur son ordre signé de Louis : il n’avait d’autre objet dans ses recherches que de s’assurer de la personne et de se saisir des ouvrages du Père le Cerf. C’est Dom le Cerf de la Vieville, auteur de la Bibliothèque historique et critique des auteurs de la Congrégation de Saint- Maur. On lui dit qu’il n’y avait point de religieux de ce nom dans la Province : l’Avocat du Roi remplit néanmoins sa commission avec autant de politesse que d’exactitude et n’omet rien de ce qui pouvait l’instruire si les religieux ne le trompaient point dans la réponse qu’ils lui avaient faite. Ses recherches ayant été inutiles, il n’eut d’autre parti à prendre que de s’en retourner et d’informer la Cour de ce qui s’était passé.

Cependant le Prieur de Landévénec informa le Général de cette visite. Le Père Alaydon, toujours au service de la Cour, écrivit au Père Thibaut, Prieur de Fécamp où demeurait le Père le Cerf accompagnés de ses suivants et lui demanda s’il ne faisait point imprimer d’ouvrage en Hollande. Le Père le Cerf l’assura qu’on lui en imposait et qu’il n’avait aucune habitude en ce pays-là. Cependant le Père Thibaut revit avec beaucoup d’attention ses écrits et n’y ayant rien remarqué qui put favoriser sa prévention, il le quitta en lui ordonnant de brûler tout, parce que peut-être avant 24 heures, il viendrait quelqu’un pour l’arrêter. Ce religieux infirme n’était pas dans la situation ni peut-être même dans l’intention de se retirer dans les pays étrangers, comme aurait fait tout autre après l’expédition de Landévénec et l’avis que lui avait donné son Prieur ; ainsi il demeura tranquille, d’autant plus qu’il ne se sentait coupable de rien. En effet cette affaire n’eut pas d’autres suites. Elle me donne seulement lieu de remarquer que les ministres devraient être plus réservés à donner leur confiance à ceux qu’ils ont gagés pour examiner la conduite des appelants ou du moins qu’ils ne devraient pas éclairer si facilement des faits qui n’ont de fondement que dans un cerveau blessé. Car, il faut être visionnaire pour leur avoir indiqué le Monastère de Landévénec, où le Père le Cerf n’a peut-être jamais été … »

 

Cette anecdote est racontée par Le Cerf de la Viéville lui-même dans « Histoire de la Constitution Unigenitus en ce qui regarde la Congrégation de Saint-Maur » par de Chaveau de Natoy et Philippe Le Cerf de La Viéville.– publié à Utrecht en 1736.

 

Que faut-il en penser aujourd’hui ?

L’auteur affirme qu’il n’avait aucune habitude en Hollande alors même que son ouvrage était publié à Utrecht !!

Autrement, pourquoi cette intervention à l’abbaye de Landévénec … à la suite d’une erreur administrative, ou bien d’une dénonciation … Pourquoi plus de cinq ans après les faits, vouloir arrêter l’auteur de l’ouvrage incriminé : et si par hasard les recherches ne visaient pas plutôt l’abbé Prévost, alors exilé en Angleterre en tant que moine défroqué et écrivain irrévérencieux, peut-être soupçonné d’en être l’auteur ou le co-auteur .

 

Précisions sur les dates :

Dom Tassin situe l’épisode de Fécamp non pas en 1723 mais en 1725-1726 …

En 1725, lors de son ordination, l’abbé Prévost est installé à l’abbaye de Saint Germer

Une date est sûre : la publication à La Haye en 1726

 

Les quelques commentaires :

 

Il a été dit que l’abbé Prévost résida à plusieurs reprises à l’abbaye de Fécamp.

Source : Léon Fallue – Histoire de la ville et de l’abbaye de Fécamp – Rouen 1841 - page 430

 

Guy de Maupassant publia 1889 une préface pour Manon Lescaut de l’abbé Prévost ; certains verront une analogie dans le caractère tumultueux de ces deux auteurs.

 

Auguste Dorchain dans l’introduction de son « Histoire de Manon Lescaut » - Petite édition Perche 1912 – écrit : «  En 1725, Prévost est dirigé sur l’abbaye de Fécamp, autre foyer (il venait de Notre Dame du Bec) d’études théologiques où il se lia d’amitié avec le savant Dom Le Cerf de la Viéville qui vient d’achever sa « Bibliothèque historique et critique des auteurs de la Congrégation de Saint-Maur ». Les supérieurs ayant refusé l’imprimatur à cet ouvrage à cause de certains jugements assez sévères portés sur quelques écrivains de l’Ordre, l’excellent Prévost, par affection et commisération pour son confère, que la maladie retient depuis dix ans dans son lit, fait parvenir le manuscrit à un éditeur de La Haye et en obtient la publication ? Voilà bien un trait de bonté imprudente – et ce ne sera pas le dernier ».

 

Conclusion :

Passé ce complot à l’abbaye de Fécamp, chacun des protagonistes poursuivra son chemin littéraire : dom Le Cerf de la Viéville malheureusement retombera dans la maladie et dans l’oubli ; l’abbé Prévost passera en Angleterre en 1728, il s’achemine vers ses « Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde » en (7 volumes, rédigés de 1728 à 1731) comprenant sa fameuse « Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut » , plus communément appelé « Manon Lescaut » . Prévost deviendra une figure importante de la vie intellectuelle des Lumières en France et l’un de ses plus grands romanciers (Nouveau Dictionnaire des Auteurs chez Robert Laffont)

La crise du Jansénisme, quant à elle, disparaitra petit à petit.

 

                                                                                                          Yves Duboys Fresney

 

Sources :

Dom René Prosper Tassin (1697-1777) : « Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur » Paris 1770 page 646

Henry Harrisse : « La vie monastique de l’abbé Prévost » dans le bulletin du bibliophile et du bibliothécaire  de l’association des amis de la BNF janvier 1903

Auguste Dorchain : « Histoire de Manon Lescaut » - Petite édition Perche 1912

Jean Sgard, « Vie de Prévost  (1697-1763) », Presses de l'Université Laval, 2006, 296 p., ISBN: 2763783376.

 

Notes :



[i]  Claude-François de Montboissier de Canillac de Beaufort (1693 (ou 1699) - Paris, 27 janvier 1761) fut chargé d'affaires de la France à Rome en 1742 et 1748 ; et abbé de Fécamp de 1745 à sa mort.