Quand la forêt transpire …
Comme nous les hommes, la forêt transpire, elle projette de l’humidité dans l’atmosphère, créant au-dessus d’elle une brume légère, parfois de vrais nuages.
Au moment des pluies, la forêt par ses feuilles, ses racines, ses herbes et ses mousses, retient l’eau et retarde son infiltration dans le sol tout en diminuant le ruissellement de surface.
Par tous les temps, les arbres puisent l’eau du sol au point d’assécher les lieux où ils se trouvent, et, cas extrême, au point de se dessécher eux-mêmes.
Ces trois constats, concernant la relation entre l’arbre et l’eau, agissent en interaction au point de créer un mini-cycle hydrologique ; voyons cela un peu plus dans le détail :
La forêt en transpiration
La forêt transpire par l’intermédiaire de ses feuilles, percées de petits trous, les stomates ; la transpiration est émise dans l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau. Elle assure une fonction de refroidissement des feuilles et permet de les maintenir à une température inférieure à celle de l’air.
On parle aujourd’hui d’évapo-transpiration que l’on essaie de quantifier au moyen d’un coefficient ; on constate aussi que ce phénomène participe à la fabrication de la matière ligneuse ; 200 à 300 litres d’eau évaporés représentent et même participent à la fabrication de 1 kg de matière. Ce coefficient et cette fabrication seraient d’ailleurs plus efficaces en forêt que sur les terrains de culture qui nécessitent des apports ou intrants.
Les conséquences aériennes
La forêt est un refroidisseur d'air de la planète ; elle maintient et garde un environnement frais et humide. Plus il y a de chaleur absorbée par la végétation, et plus l'eau s'évapore et regagne vite l'atmosphère. Un véritable cycle fonctionne, à la fois hydrique et climatique.
La puissance de transpiration est encore prouvée par les modifications qu'éprouvent, jusqu'à 1 5oo mètres de hauteur, les masses d'air qui se trouvent au-dessus des grands massifs forestiers.
Les aéronautes savent bien que le passage au-dessus de massifs boisés d'une certaine étendue, se traduit par une descente bien marquée du ballon. Cette descente ne s'arrête jamais d'elle-même comme il arrive souvent quand une cause passagère la produit. Elle ne s'enraie qu'après la projection d'une quantité souvent notable de lest. Le phénomène se ressent jusqu’à 1000 m et même 1500 m d’altitude, selon l'étendue du massif forestier et peut-être aussi selon la configuration des terrains environnants ...
La volatilité des oiseaux au-dessus des forêts doit également s’en ressentir … Il serait intéressant d’étudier le comportement des cigognes ou des grues au-dessus d’un massif. Le trajet de migration de la cigogne blanche dépend dit-on principalement de la topographie. Durant son voyage, la cigogne n'utilise presque que les courants thermiques ascendants qui ne se produisent que lorsque la terre est chauffée par le soleil. Les grands plans d'eau, peut-être aussi les forêts, sont donc un obstacle presque insurmontable pour ces volatiles. La Méditerranée est alors franchie par l'ouest (Espagne) ou par l'est (Turquie). Qu’en est-il vraiment concernant la traversée des forêts ??
Une autre conséquence nécessaire du refroidissement de l’air forestier est qu'il doit pleuvoir plus au-dessus des grands massifs que sur le même emplacement supposé non boisé.
La forêt en guise de filtre
Certains prétendent que ces deux phénomènes d’évapo-transpiration puis de refroidissement représentent 45% des précipitations dans les forêts allemandes (Ernst Zürcher)
Quand il pleut, le sol stocke et absorbe comme une éponge les précipitations qui tombent des arbres, freinées par les feuilles qui permettent un écoulement lent. S'il n'y a plus d'arbres, l'eau arrive directement sur le sol, et précipite l'érosion. Libre, elle coule plus rapidement. Et si elle arrive à la mer plus vite, elle s'évapore moins, d'autant plus que le sol nu réfléchit davantage l'énergie solaire. L'atmosphère en devient plus sèche. La forêt filtre la pluie, mais également les rayons solaires.
Les conséquences en interne à l’arbre
L’arbre a une grande capacité de stockage de l’eau qui circule de la racine à la feuille, étant absorbée dans le sol par les racines fines aidées par leurs mycorhizes, puis transportée sous forme de sève brute dans le système conducteur jusqu’aux feuilles. Pour que le système fonctionne bien, il faut que « l’offre », c'est-à-dire la quantité d’eau dans le sol soit au moins égale à la « demande », correspondant à l’évapotranspiration potentielle. C’est lorsque l’offre n’est plus capable de répondre à la demande que les problèmes commencent…
Cette situation de manque d’eau est fréquente, et les arbres possèdent de fortes capacités d’ajustement de leur consommation en eau lorsque la disponibilité dans le sol diminue. Ainsi, l’ouverture des stomates est réduite, ce qui permet de limiter la transpiration. Cette capacité de régulation est tout à fait réversible : dès le retour de la pluie, les stomates s’ouvrent à nouveau et la transpiration reprend… jusqu’au prochain retour à un niveau d’eau limitant dans le réservoir sol. Plusieurs cycles de ce type peuvent se succéder au cours d’une saison, et très souvent, la période estivale correspond à une période prolongée de contrôle de la consommation en eau par les arbres.
Cette limitation de la transpiration permet aussi à l’arbre de contrôler son état hydrique interne, et de limiter le dessèchement de ses tissus. En particulier, la régulation stomatique permet de protéger le système conducteur de dysfonctionnements irréversibles : lorsque les tensions dans le xylème deviennent trop fortes, et que le sol ne puisse plus fournir l’eau nécessaire, il arrive que la colonne de sève soit rompue et que des bulles d’air se forment dans les vaisseaux : c’est l’embolie. Elle intervient en premier lieu dans les parties terminales de l’arbre, au niveau des pétioles des feuilles, puis des jeunes rameaux. Toutes les espèces ne présentent pas la même vulnérabilité à ce type de dysfonctionnement : le système conducteur de la sève chez les résineux, formé de trachéides, est en général plus résistant à ce phénomène que le système conducteur des essences feuillues, constitué de vaisseaux.
(source : Nathalie Bréda, INRA Champenoux, UM 1137 Ecologie et Ecophysiologie Forestières, nov. 2006)
Les conséquences souterraines
Edmond Henry (1850-1932) dans ses études faites vers 1895 sur les forêts de plaine, notamment en Russie, constate :
- Jamais le niveau de l’eau n'est plus élevé en sous-bois qu'en terrain nu ;
- Toujours la nappe phréatique a été trouvée plus éloignée de la surface en sous-bois que hors-bois, en tenant compte du relief ;
- La dépression du niveau est plus accusée sous les vieux massifs que sous les jeunes peuplements ;
- Elle est plus accusée aussi dans les climats secs que sur les points où il pleut beaucoup.
Ces conclusions ne font que corroborer une opinion depuis longtemps accréditée, à savoir la faculté remarquable que possède la végétation forestière d'assécher et d'assainir les plaines marécageuses, les régions où l'eau stagne une partie de l'année. Ce pouvoir asséchant de la forêt est démontré par les exemples devenus classiques des Landes de Gascogne, de la Sologne, des marais Pontins, etc .
Chaque fois que l'on a besoin d'enlever un excès d'eau stagnante, on s'adresse, et jamais en vain, à la végétation forestière.
(source : Edmond Henry dans « Les Forêts et les eaux souterraines dans les régions de plaines », 1898, Nancy, Berger-Levrault et bulletin de la société des sciences de Nancy de 1903)
Ces niveaux particuliers de l’eau souterraine se retrouvent également mais en une moindre mesure dans les terrains de culture ; par contre, les jachères ne sont pas soumis à cet effet, leurs sous-sols ne subissent aucun assèchement, ils sont globalement plus humides avec une nappe phréatique plus proche de la surface.
Ernst Zürcher, lui aussi, étudie les flux hydriques avec l’importance de l’évapo-transpiration dans les échanges entre l’arbre et l’eau, le rôle de l’eau dans la fabrication de matières sèches, et aussi l’ « ascenseur hydraulique souterrain » entre les racines pivotantes et celles traçantes, entre les racines d’arbres en arbres … pour tenter de mieux comprendre le fonctionnement du système conducteur xylémien.
(source : Ernst Zürcher dans « Les arbres, entre visible et invisible » 2021, essai Babel, acte Sud, page 223)
Au final, ces deux faits concernant les forêts, assèchement du sol et humidification avec refroidissement de l'air, sont intimement liés. L'un est le corollaire de l'autre. Ils démontrent que la forêt peut être considérée comme une véritable pompe aspirante et refoulante provoquant un véritable cycle hydrologique, localisé à l’échelle tantôt d’un arbre, d’un bouquet d’arbres ou d’un massif forestier.
Y.D.F.