Malaise dans les secteurs protégés du patrimoine
dû à l’insertion de l’architecture contemporaine
Nous aurions toujours pensé que l’architecture contemporaine chercherait à évoluer dans des villes nouvelles, des quartiers nouveaux, dans des endroits appropriés où les contrastes avec les abords immédiats n’auraient été choquants pour personne. Et bien non ! Il n’en va pas ainsi ! Les constructions au style souvent résolument moderne, parfois osé pour attirer l’œil, vont chercher à s’établir dans les endroits stratégiques, les points centraux, pour des raisons essentiellement économiques et aussi d’amour propre.
Les « cœurs de ville » sont souvent anciens et donc protégés par un zonage et une superposition de règles d’urbanisme parfois assez dense ; le principe en est la préservation tant de l’intégrité des immeubles concernés que de l’unité et l’harmonie d’un ensemble.
Alors, les auteurs et réalisateurs, maître d’œuvre et maitre des ouvrages tous réunis, vont agir pour s’introduire dans ce « complexe » relativement fermé, et puis surtout ils vont devoir parlementer ; il faut bien reconnaître qu’aux affaires culturelles, on est aujourd’hui un peu plus à l’écoute de la mode – mobilier urbain noir – et de la modernité : on accepterait plus volontiers un contraste dans les différentes périodes de construction qu’une similitude que l’on qualifie volontiers de pastiche, ce dont semble-t-il certains professionnels ont horreur !
Autour de nos monuments majeurs, souvent témoins de l’histoire de notre pays, les nouveautés qu’il serait a priori nécessaire d’installer devraient faire preuve d’une certaine discrétion, ou modestie ; eh bien non ! Tout en respectant une certaine distance, en évitant un champ de vision trop prononcé ; et bien non ! Ce sera le plus près possible, par commodité diront les uns, pour faire parler de soi selon d’autres.
La protection du patrimoine porte sur les monuments historiques et sur leurs abords, en principe de 500 mètres ; pourquoi donc ne pas positionner les constructions nouvelles au-delà de cette distance ? Cette question a été souvent comprise et acceptée chez les constructeurs ; mais ici, il y a une volonté manifeste de vouloir s’installer au plus près ; à croire que les enjeux sont de taille, toujours la finance et il faut bien avouer le prestige …
Les réalisations se multiplient – au gré de la réaction des services chargés de la Culture – nous pouvons citer :
- A coeur de Paris, il y eut en son temps le centre Beaubourg, les colonnes de Daniel Buren et la pyramide du Louvre,
- A Rouen, le palais des Congrès tout près de la cathédrale Notre Dame,
- A Marseille, le Mucem au cœur du fort Saint-Jean,
- A Nimes, le nouveau musée de la Romanité tout près des arènes,
- de nombreux autres exemples pourraient être cités …
- Dernièrement à Chambord, un hôtel haut de gamme est créé à 150 m du château de François 1er.
L’art contemporain n’est absolument pas remis en cause ; nous examinons avec attention par exemple le projet Luma à Arles ; le choc vient seulement de la proximité et la juxtaposition avec l’ancien.
En vérité, c’est un article sur le cas de Chambord, paru dans le journal Le Figaro des 24 et 25 février 2018, qui nous incite à développer le sujet.
Pour de tels dossiers, les difficultés administratives rencontrées sont nombreuses mais le résultat escompté n’en vaudrait-il pas la peine ! Les recoupements, parfois les contradictions, des multiples textes législatifs et réglementaires ne sont pas négligeables de sorte que chacun peut y trouver des arguments, de la matière ; tout cela pourrait se réaliser dans un débat serein et démocratique ; eh bien non ! Le pire de tout aujourd’hui, c’est l’acharnement que l’on y met, dans le langage employé, dans la critique de « l’adversaire », et puis dans les contentieux engagés :
- Le langage employé aujourd’hui est significatif d’une volonté de persister, pas forcément de persuader, encore moins de comprendre les autres ; « le patrimoine doit rester dans la vie » ; « les clins d’œil au monument » « la respiration de la construction» « le dialogue entre les deux » « l’esprit des lieux » sont les termes employés qui veulent tout dire, comme ne rien dire… L’on s’accapare la vie elle-même et puis le monument, on fait croire à une continuité avec les nouveautés proposées, pour sembler être les véritables successeurs …
- La critique opérée a évolué : elle porte non plus sur les idées, tant l’argumentaire que les conclusions des autres mais désormais uniquement sur les personnes elles-mêmes, ceux qui ne pensent pas pareil et finalement ne savent rien ou si peu, sur une supposée catégorie représentative … des gricheux … à la vision « ayatolesque » ; on enferme « l’adversaire » dans un profil réactionnaire et passéiste …
- Les contentieux prennent désormais des proportions importantes au point que le projet de loi Elan, en cours d’étude au Sénat, veut assainir et clarifier la situation ; il y a bien sûr les contentieux demandés par les opposants aux projets, mais il y a aussi les contentieux émanant des demandeurs de projets ; il y aurait actuellement 33 000 recours abusifs, mais l’ensemble des demandes judiciaires en urbanisme et construction est croissante au point d’encombrer et presque paralyser les juridictions … Alors, dans quel camp est-il, ce « sport national » de provoquer tout le temps des oppositions !
L’on voit bien au travers de cet exemple de Chambord qu’au-delà d’une légalité finalement assez difficile à cerner – comment donc sur le plan juridique traiter l’esthétique ! – le dossier aboutissant à ce que les uns appelleraient un « arbitrage » - et les autres aussi bien un « pas-droit » - il y a une nécessaire légitimité à faire valoir aux yeux de tous pour convaincre la société dans son ensemble à de telles réalisations.
En vérité, le sujet que nous évoquons ici n’est qu’une version de plus de la récurrente opposition entre les Anciens et les Modernes, de l’ambivalence continuelle entre la tradition et la modernité, un dilemme que nous n’arriverons jamais à régler, oui uniquement en donnant raison aux uns et aux autres, une fois sur deux !
Yves Duboys Fresney
PS : le final de l’article de journal est tout aussi ubuesque : « Il faudrait pouvoir donner les châteaux à l’abandon pour un euro symbolique à des gens qui les exploitent et relancent l’ensemble de l’activité du territoire » . Mais alors, on parle de patrimoine ou on parle vénal …