Voyage à Terre-Neuve
sur les traces de l’armement Lemoine
(30 août – 16 septembre 2008)
«Le voyageur est une source continuelle de perplexités. Sa place est partout et nulle part. Il vit d’instants volés, de reflets, de menus présents, d’aubaines et de miettes. Voici ces miettes…» - Nicolas Bouvier -
Ça y est, nous partons; 8 h 55 du matin le samedi 30 août 2008 à l’aéroport Charles de Gaulle; l’avion décolle, avec la compagnie Continental Air Line sur un Boeing B 777-200 direction New-York aéroport de Newark.
A côté de moi René; nous partons ensemble, tous les deux père et fils, vers Terre-Neuve pour un voyage d’étude et touristique; la durée de vol est de presque 8 heures; la distance est de l’ordre de 6000 km; nous passons au dessus de l’Angleterre, de l’Irlande, pour faire ensuite un grand saut au dessus de l’Océan; en réalité nous passons au dessus de Terre Neuve mais sans pouvoir y atterrir directement car il n’existe de France aucun vol direct pour cette destination.
L’altitude de l’avion est de 36000 pieds, la température extérieure moins 47° fahrenheit; la vitesse de l’avion est de 735 km/h.
Le décalage horaire se présente ainsi: si 12 h à Saint-John Terre-Neuve, alors 10 h 30 à Montréal, à Toronto ou à New-York, 11 h 30 à Halifax ou à Labrador City, 12 h 30 à Saint Pierre et 16 h 30 à Paris.
La destination de Terre-Neuve est pour de nombreuses personnes surprenante: que faire donc en voyage à Terre-Neuve où il y a le froid d’hiver et les moustiques d’été; et d’abord où est Terre Neuve? Les a priori ne nous font pas peur car nous savons que nous aurons là-bas beaucoup de choses à faire et de personnes à voir.
En fait, nous attendons cet instant de décollage depuis au moins trois mois, date à laquelle nous avions décidé de partir ensemble; René a réussi à me persuader de réaliser ce voyage, il sait que depuis plus de 10 ans, je fais des recherches sur la pêche française à Terre-Neuve et tout spécialement celle pratiquée par l’armement Lemoine de Saint-Malo; faire ainsi un passage sur place et peut-être retrouver les traces de l’armement ou des témoignages de spécialistes ou d’historiens nous a paru intéressant à tous les deux; quant à lui, René, tout idée de voyage l’intéresse a priori; Danielle était bien sûr une invitée mais voilà, cela n’a pas pu se faire avec elle, à notre grand regret.
Pendant ce temps de préparation, je lisais passionnément le livre de Nicolas Bouvier «L’usage du monde» trouvé aux Etonnants Voyageurs à Saint-Malo:
“Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.»
«Le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs; puis se retire et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi …»
Pour l’organisation du départ, nous avons pris un premier contact avec Ronald Rompkey professeur de lettres à l’université du Mémorial que nous connaissons depuis plusieurs années maintenant; par son intermédiaire, nous avons pu contacter d’autres personnes que nous verrons pour la plupart lors du séjour; l’itinéraire a été prévu à l’avance avec réservation des gites, donc pas de modification de dernière minute mais pas de surprise non plus, pas de détour prolongé en fonction des découvertes ou des circonstances.
Une petite découverte juste avant le départ: nous prenons connaissance de l’existence en France d’une fondation à tendance progressiste dénommée «Terra Nova» (à voir sur internet si cela vous intéresse).
Dans l’avion, nous n’avons a priori pas rencontré de joueurs de tennis malgré l’open de tennis de New York à Flushing Meadows en cours à ce moment-là avec encore des français en lisse.
Compte-tenu du décalage horaire, nous arrivons à New-York à une heure de l’après-midi, 19 heures - heure française; nous n’allons aux Etats-Unis que pour un transit; nous avons le sentiment que d’entrer sur le solaméricain fait l’objet de petites complications administratives; pour l’instant tout va bien; une seule remarque de leur part: je n’avais pas signé mon passeport; nous avons du mal à comprendre le système de transit et surtout le sort des bagages; l’aéroport de Newark est à une demie heure du centre de New-York; hélas, nous n’avons pas le temps de «faire un petit tour en ville»; nous n’avons que cinq heures devant nous et ici il faut être présent trois heures avant l’envol; le décalage horaire a fait en sorte que nous nous sommes levés à Paris à 5 heures du matin et nous nous sommes couchés à l’hôtel Confort Inn de Saint-John le lendemain à 5 heures du matin - heure française ou minuit et demi - heure locale; dans le hall de l’hôtel, un mariage se fêtait à la bière; à l’arrivée à l’aéroport, Ronald nous attendait avec Jane Leibel; il nous donne rendez-vous le lendemain midi à l’hôtel pour aller à Saint-John, déjeuner ensemble et passer l’après-midi dans la ville.
Voici quelques caractéristiques de l’île de Terre-Neuve: 17542 km de côte littorale, 405220 km2 de superficie soit environ les trois-quarts de la France, 512930 habitants en population, dont 0,5% de francophones (15% à certains endroits, par exemple dans la péninsule de Port à Port); 100000 habitants dans la capitale Saint-John, plus 100000 aux alentours, soit la moitié de la population de l’île seulement dans la péninsule d’Avallon; la péninsule de Port à Port a 8 à 10000 habitants, celle du nord de l’île a 20 – 25000 habitants; l’occupation de l’île est essentiellement côtière avec très peu de monde dans les parties centrales occupées par la forêt .
Le sommet de l’île est à 814 mètres aux collines Lewis.
Petite particularité constatée sur le parking de l’hôtel: les véhicules ont une plaque d’immatriculation sur l’arrière mais jamais sur l’avant.
Concernant le cours des monnaies: un euro = 1,47 dollar américain; et le dollar canadien est très proche du dollar américain.
Terre-Neuve est utilisé sans article, et donc on dit «à Terre-Neuve» et non pas «en» comme préposition, contrairement à «la Guadeloupe» où l’on dit «en Guadeloupe»
Dimanche 31 août: le matin nous louons une voiture Toyota chez Hertz réservée longtemps à l’avance puis visite du petit port de «Quidi Vidi» avec la batterie de canons qui des hauteurs protégeait l’endroit; à midi, Ronald nous emmène déjeuner au dernier étage de «The Rooms», un beau et grand musée de la ville, avec une vue magnifique sur le port et la passe (the narrow) puis visite du site de «Signal Hill», le musée et la tour Cabot avec un beau panorama sur la ville et sur le port. Nous observons et apprenons que toutes les nouvelles actions culturelles ou touristiques sont réalisées dans les deux langues anglaises et française; Ronald aime beaucoup la France; notre venue est l’occasion pour lui de poser beaucoup de questions sur notre pays, sur les plus récents évènements culturels ou politiques et puis de connaître notre point de vue personnel sur chaque chose.
Lundi 1er septembre, nous prenons tôt le matin la TCH «Trans Canadian Highway» sortie numéro 49, nous sommes presque au point de départ de l’autoroute qui va de Saint-John – sortie 50 – à Port aux Basques – sortie 1 -; le temps est brumeux contrairement à la journée d’hier; nous allons à Norris Arm où nous avons prévu un hébergement pour ce soir, avons environ 400 km à faire soit quatre heures de route, prévoyons de faire une incursion vers «Harbour Grace» et ensuite dans la péninsule de Bonavista; l’environnement est boisé de conifères, je pense que nous aurons ce genre de paysage pour une bonne partie du trajet; aujourd’hui c’est la fête du travail au Canada, tout est fermé comme pour le 1er mai en France mais sans les défilés - précision de René - il existe aussi une fête du travail aux Etats-Unis «The Labour Day» le même jour qu’au Canada; sortie 31 de la TCH, nous allons jusqu’à Carbonear, prenons la «Baccalieu Trail», atteignons la baie de la Conception avec South River puis North River et ensuite Bay Robert’s; nous retrouvons des noms français «Port de Grave» «French Cove»; la présence française remonte ici à avant le traité d’Utrecht de 1713; nous approchons véritablement la nature avec en fond de baie quelques vols de canards; tout au bout de la péninsule de Port de Grave, à Hibb’s cove nous nous arrêtons devant un musée hélas fermé composé d’une école comme autrefois, d’un bâtiment de pêche et d’une «porter’s house»; nous passons à Harbour Grace, autrefois «le Havre de Grace», où nous voyons le monument dédié à Amelia Earhardt-Putman (1897-1937), la 1ère femme à avoir traversé l’Atlantique en 1932 sur le «Spirit of Harbour Grace»; nous apprendrons plus tard toujours à propos d’aviation que Nungesser et Coli, morts lors de la traversée de l’Atlantique sur l’Oiseau Blanc, avant d’arriver à New-York auraient sombré autour de Terre-Neuve; des recherches ont été faites pour eux mais en vain en 1927 par le major Sidney Cotton. La Marine Nationale est prête à réaliser de nouvelles recherches autour de Saint-Pierre; une rumeur laisserait entendre que l’avion aurait été abattu par les contrebandiers de la prohibition…
Maison de Peter Easton? Dans la baie de la Conception
A un endroit nous voyons un «French Lane»,un peu partout une toponymie très francophone; ici a vécu Peter Easton, l’amiral pirate qui a fortifié ce site en 1610 et a fait de Terre Neuve sa base jusqu’en 1614; il a vaincu un escadron français à Harbour Grace en 1611, a recruté 5000 pêcheurs de cette colonie parmi ses équipages, a formé des transports maritimes vers l’étranger aussi loin que les Caraïbes; en 1614, il a intercepté une flotte plate espagnole aux Açores, a capturé trois bateaux chargés d’or, a divisé une immense fortune avec ses équipages; il a été pardonné deux fois et a été invité à rentrer chez lui en Angleterre par James le 1er mais a plutôt choisi de passer sa retraite au sud de la France où il est devenu le marquis de Savoie et a vécu dans une grande splendeur (ce passage a été traduit de l’anglais, merci René).
Dans la baie, nous avons sous les yeux la carcasse d’un navire de transport dénommé «SS Kyle», construit en 1913, échoué là en 1967 ; à Carbonear, jetons un coup d’œil sur l’ancienne gare transformée en petit musée local, hélas fermé le jour de notre passage; le train traversait l’ensemble de l’île et s’est arrêté de circuler en 1984; on peut encore noter la faible largeur de la voie; il a été remplacé par la route T.C.H.; le «Rorke Stores Muséum» est fermé aussi avec en face une belle maison en pierre en cours de restauration; René me fait observer que les constructions en pierre étaient plus fréquentes autrefois qu’aujourd’hui où tout est en bois, voire en plastique.
A travers bois, nous allons de la baie de la Conception à la baie de la Trinité, passons tout près de l’anse aux normands et puis sortons enfin de la presqu’île d’Avallon; passage au village de Trinity, cette fois-ci le petit musée local est ouvert ainsi que l’église; nous filons vers Bonavista; nous avons déjà fait peut-être 400 ou 500 km depuis ce matin; là, nous pouvons voir la statue de Jean Cabot 1497, le phare et le navire de Cabot reconstitué dénommé «Matthew»; par la suite, nous traversons le parc national de Terra Nova avec des sapins, encore des sapins, toujours des sapins; nous avons hâte d’arriver à notre gite car la journée a été longue … et René a faim.
A Bonavista, nous avons aussi la mémoire de Jacques Cartier qui, parti de Saint-Malo le 20 avril 1534, arrive à cet endroit après 20 jours de mer, passe le détroit de Belle-Isle le 27 mai, longe le Labrador puis la côte ouest de Terre-Neuve pour ensuite retourner sur le continent américain par le golfe du Saint-Laurent; au fur et à mesure de sa découverte, il donne des noms français: havre Sainte-Catherine, le prénom de son épouse, île des Oiseaux, cap Dégrat, baie des Châteaux, Blanc Sablon, Brest, Saint Servan, Havre Jacques Cartier, cap Royal, Cap Saint Jean.
Trinity Statue de John Cabot au Cap Bonavista
Le mardi 2 septembre, nous reprenons la route TCH pour aller jusqu’au cap Saint-Georges, avec environ 6 heures de route; notre gite, un peu humide mais très sympathique, était situé sur le bord de la baie des Exploits à Norris Arm North; nous interrogeons notre hôte sur un certain nombre de questions qui se posent à nous au premier abord: sur les origines des anglophones, quelques anglais mais surtout des irlandais et des écossais, sur les oiseaux migrateurs, les marées, 3 à 4 pieds seulement, la présence des indiens et inévitablement sur la présence française; il nous a été indiqué que compte-tenu de la pluviométrie et de la profondeur des baies, l’eau de mer était peu salée à Terre-Neuve; apparemment cela était le cas au fond de la baie des exploits.
Nous voyons en passant la direction de la «baie d’espoir» que les anglais tel qu’ils prononcent «despoir» indiquerait pour eux «désespoir»; en fait à lire la carte, la baie d’espoir se situe sur la côte sud sur la route de Harbour Breton dans la baie de Fortune; dans ce secteur, il subsiste une communauté d’indiens à Conne River qui est la seule a ne pas s’être confondue avec les autres populations; hélas nous ne pourrons pas y aller; au niveau de South Brook, la forêt change, nous n’avions que des conifères depuis le début et ici nous voyons des rangées de bouleaux; en fin de matinée, nous bifurquons vers la péninsule de la baie verte avec Baie Verte, Fleur de Lys et La Scie; c’est le début du «French Shore»; c’est aussi une partie du «Petit Nord» fréquenté autrefois par les pêcheurs malouins.
Le French Shore
Le «French Shore» a été établi par le traité d’Utrecht en 1713 puis modifié par le traité de Versailles en 1783 pour être abandonné par les français en 1904 lors d’une «entente cordiale» avec les anglais; il allait au début du cap Bonavista à la pointe Riche (Port au Choix) puis en 1783 du cap Saint Jean (entre la baie de Notre Dame et la baie Blanche) au Cap Raye (Port aux Basques); la côte sud la plus proche du Grand Banc, avec Plaisance, qui avait été occupée comme colonie de 1612 à 1713, a donc dû être abandonnée.
Et pourquoi donc le «French Shore» a-t-il été modifié lors du traité de Versailles de 1783 qui réglait la fin de la guerre de l’indépendance américaine après la victoire de Chesapeake; les français étant du côté des vainqueurs ont dû semble-t-il demander eux-mêmes la modification pour les raisons suivantes:
- augmentation sensible de la population anglaise dans le secteur de Bonavista à Cap Saint-Jean
- le secteur allant de Port au Choix à Port aux Basques était moins peuplé, plus calme et donc plus propice à la pêche
- ce secteur incorporait dans la zone de pêche un certain nombre de français, ceux de la péninsule de Port à Port, des acadiens…
Fleur de Lys
La Scie
Au 18ème et début 19ème siècle, le règlement du «Petit Nord» prévoyait un mousse pour 9 hommes, de façon à assurer le séchage des graves mais aussi la relève; on était mousse à partir de 12 ans.
Une particularité dans ce secteur: il y a d’une part «La Baie Verte» et d’autre part la «Green Bay» à ne pas confondre; au-delà de la ville de Baie Verte, nous trouvons des zones d’exploitation de l’amiante (à vérifier); avant d’arriver à Fleur de Lys, le paysage est presque alpin; Fleur de Lys est vraiment pittoresque; on se croit vraiment au bout du monde à l’extrémité d’une longue forêt de plusieurs dizaine de kilomètres; pour l’instant, nous voyons assez peu d’animaux, seulement un écureuil, un petit lièvre, une belette à fourrure noire; nous devrions voir des élans mais plutôt nous a-t-on dit dans le parc national de Gros Morne; La Scie a été pour nous une étape très intéressante; l’arrivée par la route est superbe avec une vue dominante sur le port; le petit cimetière du «Petit Nord», et de l’autre côté, en direction du cap Saint-Jean une autre vue sur la côte, sur l’entrée du port et puis une étape très accueillante au musée et au tea-room de Valérie et Larry Whalen; le musée est tout à fait pittoresque avec une partie – une pièce - sur la pêche française; saturés de hot-dog depuis quelques repas, nous avons apprécié un gratin de crabe et pour René en plus une part de tarte aux bleuets – blueberry – avec une boule de glace vanille; nous avons un échange fourni et amical avec Valérie puis avec son mari qui revenait de son travail dans la pêcherie locale, sur les personnes – des historiens, auteurs de livres ou d’articles - que nous pouvions connaître les uns ou les autres; à La Scie, une seule industrie, celle de la pêche aux crabes, toute exportée en Chine et au Japon; il n’y a en fait aucune consommation locale, ou presque; la route d’accès à La Scie n’a été créée qu’en 1962-63 avec l’amené de l’électricité; auparavant, l’endroit était un «outport» accessible seulement par le mer; l’hiver quand le port était gelé, il y avait seulement les traineaux et par la suite l’avion; reprise tardive de la route avec toujours les grands espaces boisés; une séquence comme dans le Grand Ouest; une autre autour des lacs et enfin les pistes de ski de Corner Brook avec une vallée encaissée comme dans les Alpes; la limitation de vitesse de 100 km/h est difficile à tenir; la température est excellente presque 25° à 19 h le soir; nous avons eu du soleil toute la journée; en traversant l’ensemble de l’île, en dehors de la forêt, nous n’avons rencontré que quelques champs cultivés, mais très peu.
Port à Port
Nous arrivons dans la péninsule de Port à Port, tout au bout de celle-ci à Cap Saint Georges, tard le soir du 2 septembre à 21 h; le coucher de soleil sur la baie est superbe; nous sommes accueillis dans notre gîte par un couple franco-anglophone; ici, nous sommes à l’extrémité ouest de l’île alors qu’à Saint-John, nous étions à l’autre extrémité avec entre les deux presque 1000 km de route, sur la TCH; en fait, nous avons beaucoup roulé depuis le début du voyage; désormais avec trois nuits à Cap Saint Georges, nous devrions pouvoir nous promener autrement qu’en voiture; devant notre gite, une route, au delà une rangée de maisons et puis la grande baie de Saint-Georges; nous sommes surpris dès notre arrivée par l’importance de cette baie qui nous parait immense; les cartes de l’île ne nous permettent pas d’en saisir la dimension réelle; c’est ici que les navires français commençaient la pêche après avoir fait un premier passage à Saint-Pierre; la baie de Saint-Georges était réservée à la pêche aux appâts – ou bait -, essentiellement le capelan et le hareng; nos hôtes s’appellent Félix, un patronyme bien connus parmi les francophones de la localité.
Nous découvrons dans ce gîte la confiture «Bake apple» (baie qu’appelle) aussi dénommée «plaque bière».
Mercredi 3 septembre: une promenade à pied, enfin, sur le Cap Saint Georges, une vue exceptionnelle sur la mer, sur le golfe, avec un aperçu sur l’île Rouge dans la direction du nord; à Grande Terre, nous sommes accueillis par Catherine Fenwick qui nous a fait visiter son école, Sainte-Anne, surtout la maternelle; elle organise pour demain une petite réunion pour visionner un diaporama préparé sur l’armement Lemoine; elle doit aussi nous organiser une entrevue avec le député Corneck; La Grande Terre, nom donné à l’île de Terre Neuve par les pêcheurs français qui s’étaient réfugiés sur l’île Rouge; la communauté ici était à l’origine acadienne; le parler français est un peu différent de celui de l’Anse aux Canards qui est plus proche de notre français de la métropole (René me dit français de France); la création de l’école ici a été la source d’un renouveau de notre langue; à vrai dire le français était en voie de disparition dans les années 1940-1960 à l’époque de l’installation des américains à Stephenville; ceux-ci n’acceptaient l’embauche de la population locale qu’à la condition de parler anglais; la prise de conscience n’est apparue que dans les années 1970; la base américaine de Stephenville a cessé en 1966; depuis lors, un certain nombre de personnes se dévouent énormément pour cette cause; les français de France sont hélas indifférents à cela, sauf à venir sur place comme nous le faisons avec René pour avoir conscience du problème.
Baie
de Saint-Georges
Cap Saint-Georges – au fond l’île Rouge Pierres de mouillage
Nous passons à Lourdes, le nom de ce lieu et de cette paroisse plutôt catholique a été donné par un français, le père Pineau, pour un endroit qui s’appelait autrefois l’anse aux palourdes– passer ici de Palourdes à Lourdes ne pose aucun problème – la phonétique joue un rôle important à Terre Neuve, entre deux mots français comme ici mais surtout entre les mots français et anglais - ; sur la route, venant de la mer, nous rencontrons des courlis; en voiture, nous prenons la barre au nord de l’anse aux canards, une piste d’une demie heure de route faisant 10 km allant jusqu’à Long Point un petit port à la fois désertique et énigmatique; cette barre ferme la baie de Port au Port, au nord de la péninsule du même nom.
Aujourd’hui, jeudi 4 septembre, il pleut à verse; c’est la première fois depuis le début du séjour; sur la péninsule, il n’y a pratiquement aucun emploi; nous n’avons rencontré que deux entreprises, un derrick de pétrole sur la route entre cap Saint Georges et Grande Terre, et d’autre part une carrière d’extraction de minerai sur la côte sud; une ancienne carrière existait également à Aguathuna donnant sur la East Bay de Port au Port.
Après la pluie de la matinée, le soleil réapparaît, nous subissons le contre coup des nombreux kilomètres réalisés en voiture; le tour de la péninsule a déjà été fait hier; ce matin nous avons pris des photos à la Grande Terre, les grèves, le ruisseau, le cimetière et toujours l’île Rouge en face de nous, très silencieuse presque mystérieuse aujourd’hui vide alors qu’elle était autrefois le refuge de nombreux pêcheurs français, dont les Hovius de Saint-Malo; sur la péninsule, nous avons du mal à nous nourrir, les points de chute sont peu nombreux et très américanisés, c'est-à-dire le hot-dog, encore le hot-dog, toujours le hot-dog; derrière le gite Félix un ruisseau court à travers les épicéas, il a l’air de se précipiter vers la mer; un peu plus loin vers le cap Saint Georges, un ruisseau identique termine sur la plage par une chute d’eau; René a le souhait de se baigner; cette activité est peu répandue sur la péninsule, il faut rechercher à l’avance l’endroit adéquat, la température de l’eau paraît tout à fait raisonnable, environ 18° Celsius; depuis hier soir nous attendons le message de Catherine Fenwick en vue de faire peut-être cet après midi ou ce soir un exposé en français avec diaporama; René s’endort, il est fatigué par la route; moi-même ait mal à la gorge à cause de la climatisation de la voiture.
Ile Rouge Ecole
Sainte-Anne
Cet après-midi, à l’école Sainte-Anne de Grande Terre, nous faisons pendant trois quarts d’heure notre communication avec diapositivessur la pêche française à Terre-Neuve et sur l’armement Lemoine; nous parlons de Saint-Malo mais également de Fécamp; l’enregistrement servira aux élèves comme thème d’étude et sans doute aussi à la compréhension du français; nous repartons avec plusieurs livres sous le bras et un CD d’enregistrement de chansons terre-neuviennes provenant sans doute du même studio d’enregistrement que celui ou nous étions; un grand merci à Catherine Fenwick pour son travail et pour son accueil.
Le soir du jeudi 4 septembre, nous regardons avec Mme Félix une cassette vidéo intitulée «Les oubliés de Terre Neuve» (Aligal Production – 21 rue Moreau de Jonnes à Rennes) avec des interviews de différents francophones de la région de cap Saint Georges et de Grande Terre: quelques ouvriers ruraux, quelques pêcheurs et surtout les familles Félix et Simon qui ont largement participé à ce documentaire; la perception du français est analysée autant parmi les générations les plus anciennes que chez les plus jeunes; nous apprenons que les marins français ne voulaient jamais dire de quelle région de France ils venaient, pas même à leurs enfants ou petits-enfants de peur qu’on vienne un jour les rechercher; avec René, nous nous interrogeons sur le titre de la cassette «Les Oubliés de Terre-Neuve»; s’agit-il d’un titre médiatique, un peu intellectualisé, ou bien s’agit-il d’une réalité c'est-à-dire d’un vécu des francophones qui curieusement s’appellent eux-mêmes «français» ou également les «franco-terre-neuviens».
Grand’ Terre
Aujourd’hui Vendredi 5 septembre, nous partons pour Corner Brook où se trouve une importante industrie papetière qui donne du travail à toute la région; nous faisons la Main Street en voiture puis le West Street à pied avec quelques magasins pour quelques cadeaux ou cartes postales, les banques pour les espèces, le musée est fermé pour maintenance.
Passé Deer Lake, nous nous dirigeons vers Trout River sur la route 431, en fait toutes les routes à Terre Neuve sont numérotées. Trout River est encore un «bout du monde», le point final d’une roue désertique dans le parc naturel du Gros Morne, un village de pêcheurs aujourd’hui désœuvré; le centre d’interprétation est fermé; ici, on ressent la pauvreté plus encore que dans les autres secteurs de l’île; le contrôle sévère de la pêche doit être préjudiciable à la population; une curiosité tout de même le sanctuaire des homards; nous revenons sur nos pas pour contourner la Bonne Baie et rejoindre notre gîte à Norris Point.
Nous retraversons le parc national de Gros Morne; celui-ci est inscrit depuis 1987 au patrimoine mondial de l’Unesco, tout comme l’anse aux Meadows depuis 1978.
Comment sont faites les maisons à Terre-Neuve: elles sont souvent de plein pied, légèrement surélevées; un étage supplémentaire est rare; le toit est assez plat couvert par du shingle appelé feutre, le bardage extérieur est souvent blanc; pour éviter la peinture, il est fait désormais très généralement en plastique; les volets sont verts, les fenêtres sont ouvrantes vers l’extérieur avec un battant protégé par un grillage fin anti-moustique; un loquet et une petite manivelle intérieure permettent d’ouvrir ce seul battant vers l’extérieur, le reste étant fixe; l’habitat est plutôt dispersé le long des routes et à proximité de la mer; quelques barrières ou clôtures blanches délimitent les terrains qui sont tantôt des herbes hautes et tantôt un gazon parfaitement entretenu, disons à l’anglaise; les bâtiments annexes sont souvent de couleur marron; le bardage des maisons est parfois de couleur variée, grise ou même jaune.
Visite à Blumpoint d’une pêcherie rénovée et qui serait encore en activité; nous apercevons un phoque dans la baie; arrivons à Saint-Paul’s.
Samedi 6 septembre, premier jour complet de pluie; pour demain, on annonce la tempête; nous sommes sur la route de Port au Choix et allons sur les traces de l’armement Lemoine; ce moment a été imaginé depuis plusieurs années, peut-être allons-nous être déçus du résultat; nous nous arrêtons sur le site des Arches, roulons au milieu de la route pour éviter les «nids de poules» et l’aquaplaning; pour prendre une photo également le milieu de la route car cela ne gêne personne…
Port au Choix
Nous sommes désormais à Port au Choix après être passé rapidement à Port Saunders; tout de suite, nous nous dirigeons vers la pointe Riche avec la visite du Centre d’Information sur les indiens Dorset et Béotuk; M. Pierre Mochon, un des seuls francophones de la région, nous dirige tout de suite par téléphone vers deux personnes intéressées par l’installation des français à Port au Choix; tout près de notre gite «Jenny’s Sunrise Bed and Breakfast», nous nous précipitons vers le «Heritage HouseCentre» juste à côté pour rencontrer Stella Mailman; une conversation très intéressante nous donne un certain nombre d’informations; elle nous montre les différents objets ayant appartenu à des marins français: des pipes en terre, un poids de plusieurs kg, des petites boules ovoïdes en verre soufflé du 18ème siècle ayant servi de flotteurs de filets, un jouet d’enfant consistant en un âne à roulette; elle nous montre la photo d’une pêcherie ayant existé à l’île Saint-Jean ainsi que des photos récentes sur la tombe d’une capitaine de pêche français enterré sur l’île; il s’agissait de V. Dameron né à Saint Cast en 1841 et décédé à Terre Neuve en 1892; nous apprendrons également par la suite que Célestin Guennec , originaire de Saint-Malo, le gardien pour l’hiver de l’armement Lemoine avait été également inhumé sur l’île; il se trouve que Mme Mailman possède une habitation sur l’île Saint-Jean; nous lui demandons si un pêcheur pouvait nous y emmener; celle-ci se propose de faire la démarche mais également de nous accompagner; cela est prévu pour demain à la condition que le temps le permette.
Heritage Centre Port
au Choix
Four à pain français Baleinière basque
Madame Mailman nous raconte aussi l’histoire du jeune français Hilaire, 15 ans, par la suite dénommé Hilary, maltraité par son capitaine; chargé par lui d’aller bourrer sa pipe de tabac, le jeune mousse tombe malencontreusement sur le pont au retour et casse la pipe; le capitaine furieux lui jette son rhum à la figure et l’aveugle pendant trois jours; Hilaire a peur de ne pas supporter la situation jusqu’au retour en France, il a peur de mourir… il saute par-dessus bord et nage jusqu’au rivage, se cache la nuit; le lendemain, il est recherché; il s’enfonce dans la forêt jusqu’au départ du navire; il a peur qu’on vienne le reprendre; il demandera un peu plus tard de rentrer en France sur un autre navire que celui de son méchant capitaine; il est recueilli par un anglais Rumbolt; il restera là plusieurs mois et même plusieurs années à la suite car au foyer de ses hôtes, il y avait une jeune fille à laquelle il s’attacha…
Il y eut aussi l’histoire du grand-père de Jennie de notre B and B, un capitaine français Gueunneux dont le navire s’est échoué dans la baie de Bill Burn, au sud de Port au Choix, qui y pris femme et y resta, lui aussi déserteur, peut-être par crainte dans la responsabilité d’avoir perdu le navire…
De l’anse de Barbacé, vue sur l’ile St-Jean
Le phare de la Pointe Riche
La pointe Riche avait été appelée cap Double par Jacques Cartier; nous ne savons pas pourquoi.
Le soir, un vrai plat de poissons et fruits de mer à l’«Anchor Café».
A Terre Neuve, la communication est assez difficile, le portable de René ne passe pas, seulement à Saint John et nous l’apprendrons plus tard à Saint Pierre également, nous n’avons pas trouvé de carte téléphone qui marche avec l’étranger et d’autre part Jenny actuellement ne reçoit pas internet; avec René nous attendons dans un espace fast-food: pour lui un hamburger et pour moi un sandwich au «halibut» (de l’élan?); nous allons voir ce que cela donne; non erreur d’interprétation, il s’agirait d’un sandwich au flétan!! aussitôt après, nous partons pour Plumpoint voir Miss Backham, qui doit nous donner des informations sur la pêche française dans le secteur de Port au Choix; la visite de l’île Saint Jean a été reportée à demain matin car il y a aujourd’hui beaucoup de vent et la mer doit être un peu forte; nous apprenons ce matin et pensons que «l’anse barrée» - un des éléments de nos recherches - devrait se trouver également sur l’île Saint-Jean; au niveau kilométrage nous en sommes à 37360 km – 34804 au départ -; à Bird Cove, nous commençons à voir les côtes du Labrador; nous apprenons que le village de Vieux Férolle a changé de nom dans les années 1960 pour devenir Plumpoint à la demande d’une entreprise forestière et de pulpe de papier du même nom, installée dans la région; l’entreprise aujourd’hui s’est recentrée sur Corner Brook.
Stella Mailman nous apprend que les français à leur départ en 1904 ont tout emmener avec eux et que le matériel et les pièces de bois restantes ont été utilisés par les insulaires en récupération; les français ont même réembarqué les briques ayant servi à la constructions des fours des homarderies, sauf justement sur l’île Saint Jean où il reste quelques tas de briques envahis par la végétation; sur l’île, tout est resté en l’état; Mme Mailman a seulement prélevé une brique pour la déposer à l’Héritage Centre.
Une nouvelle possibilité est émise par René: «l’anse barrée» de l’armement Lemoine situéau Golfe serait toujours dans la baie de Saint-Jean mais à «Barred-Harbour»; l’anse à John Mark qui est indiqué comme étant l’annexe de L’Anse Barrée se situerait juste avant la «Castor River»; le port ou harbour a peut-être été créé au cours du 20ème siècle et l’endroit s’appelait peut-être autrefois «Barred-Bay»; nous apprenons aussi que les résidences d’été des pêcheurs et celles d’hiver pouvaient avoir le même nom; le «Barred Bay» découvert sur la carte de l’île Saint-Jean pourrait bien être le lieu d’été de cet endroit-là.
Sur tous les points de pêche, nous voyons des piles de casiers à homards; nous pensons que cette pêche n’est pas de saison, apprenons que ce crustacé se pêche et se consomme plutôt en mars avril mai juinà notre grand regret ; nous étudions les différentes sortes de casiers qui sont différents ici et à Port à Port; j’essaye de me documenter sur les techniques de pêche à la morue à la côte, soit à la ligne, soit à la senne, les deux me répond-on, mais je n’obtiens pas de grandes précisions; je cherche les spécialistes mais sans succès; ce matin, lundi de la seconde semaine, 8 septembre, nous quittons Port au Choix avec tout de même un problème à régler; le temps était trop mauvais pour aller sur l’île Saint Jean; il nous a été proposé de repousser la visite de l’île au lendemain …; nous roulons donc à nouveau vers Plumpoint pour essayer à nouveau de rencontrer Selma Backham que nous n’avons pas pu voir hier après midi; si l’information est bonne pour l’île Saint-Jean, nous reviendrons à Port au Choix, sinon nous filerons vers l’anse aux Meadows; il faut bien avouer que la visite de l’île Saint-Jean, l’un des «clous» de notre voyage, est pour l’instant contrariée par le temps; dans ce secteur de Terre Neuve, les routes n’existent que depuis 1960 environ; antérieurement, les communications ne se faisaient que par bateauxnotamment pour aller à Corner Brook qui est la grande ville de l’ouest du pays; il s’agit toujours de cette notion de «outport» .
La baie de Saint-Jean Port
au Choix
Ce lundi 8 septembre, le temps est exécrable pour la journée entière; nous roulons vers l’anse aux Meadows qui est le point le plus septentrional de notre voyage; nous avons finalement pu avoir un entretien intéressant avec Miss Backham née Huxley – de Laubinière, une anglaise de Chichester dans le Sussex qui passe deux à trois mois de l’année à Plumpoint; elle est une habituée du motel où nous nous sommes retrouvés; elle nous parle de ses fouilles, de ses recherches sur les basques ou sur le voyage de James Cook, le corsaire anglais; nous étions également avec Joan Simmonds qui est directrice à Conche du French Shore Héritage Centre, ainsi que sa collaboratrice; nous apprenons que la pêche aux homards s’exerçait surtout dans le secteur entre Port au Choix et Sainte Barbe car les fonds y sont plutôt sablonneux; il existe un «Lobster Cove» juste au nord de Rocky Harbour dans le Gros Morne, et puis nous l’avons vu, à Trout River, un peu plus au sud, au dessous de la Bonne Baie, on parle du sanctuaire des homards; que ce qu’on appelle «Le Petit Nord» correspondait à la côte est de la péninsule nord de l’île, nous n’avions pas de définition précise jusqu’alors; ce matin nous avons visité le centre d’interprétation de Bird Cove; nous longeons la côte qui fait face au Labrador; la distance est d’à peine 30 km; autrefois la banquise fermait le détroit de Belle Isle pendant l’hiver; aujourd’hui la glace n’existe que sur les deux rives sur à peu près 100 pieds de chaque côté; au milieu les plaques de glaces sont flottantes et très dangereuses, prêtes à se retourner facilement; au dessus de nous, un vol de cigognes; en fait nous rencontrons assez peu d’oiseaux migrateurs, peut-être ne sommes nous pas à la bonne saison pour cela; nous longeons la très grande Shallow Bay pour aller jusqu’à Cook’s Harbour et le Cap Norman; ici René ne parle plus de se baigner; depuis un certain temps le long des routes nous voyons des petits jardins potagers entourés d’une clôture à clairevoie en bois, à des endroits parfois très isolés.
L’élan ou «orignal» a été introduit à Terre-Neuve en 1904; il vient du Nouveau Brunswick; le renne de Finlande a été également introduit au début du 20ème siècle, mais le croisement avec le renne local ou «caribou» a provoqué des signes de dégénérescence; nous voyons une épave à Kirpon dénommée «Nadine Florence»- précision de René: il s’agit d’un navire -; le «Marylin’s B and B» où nous devons aller est très exactement à Hey Cove juste avant l’anse aux Meadows (en français l’anse aux méduses); en face de nous, il y a une «Belle-Ile» en français; en fait, sur la côte est de la péninsule nord, il y a deux «Belle Isle», l’une dans la baie Blanche et l’autre en face de nous, au large de l’anse aux Meadows; Marylin nous indique qu’il existe une fleur unique au monde à Cape Burnt; les phares sont tous blancs et rouges certainement pour être mieux visibles à partir de la mer; sur la route nous voyons un coyote ( nous pensions un moment à un loup); René a pu prendre deux photos de lui; il aimerait aussi avoir des élans «dans» son appareil et non pas «sur» l’appareil; nous sommes prévenus tout le long de la route que des accidents peuvent survenir et que, à rouler trop vite, l’animal peut terminer sur le capot de la voiture; nous apprenons hier soir, au B and B que l’ensemble du territoire du Canada est quadrillé par des lettres «Y» en plastique blanc simplement posé au sol et retenu par des pierres; ce sont parait-il des points de repère pour la cartographie soit aérienne soit par satellite; le système a été mis en place dans tout le Canada.
Pour aller à Conche, une piste caillouteuse sur 24 km; là, nous obtenons de nombreuses explications émanant de Joan Simmonds qui nous a consacré beaucoup de temps et beaucoup de photocopies; Collin, la collaboratrice de Joan, nous offre un bocal de viande d’élan; à Croque, nous voyons le cimetière des marins français, notamment la tombe de Villaret de Joyeuse; René a signé le livre d’or de notre accompagnateur occasionnel et local qui voulait nous montrer chez lui des documents et des souvenirs français, une gravure encadrée de Notre Dame de la Garde de Marseille et une petite statuette en porcelaine de Notre Dame de Bonsecours qui aurait été donnée à l’oncle de sa grand-mère par des français en remerciements des services d’hivernage et de gardiennage; René devrait en principe recevoir une carte postale à Noel prochain; sur les documents examinés avec Joan Simmons je m’aperçois que l’armement Guibert de Saint-Servan pêchait plutôt sur la côte est de la péninsule; peut-être une anomalie ici concernant la reproduction du tableau situé au musée des Terre-neuvas à Fécamp «La mauvaise nouvelle»: la mort du marin à notre avis ne pouvait pas être à Terre Neuve car de là-bas les corps ne pouvaient pas être ramenés aux familles, ils étaient inhumés ou immergés sur place.
A Conche avec Joan Simmonds Elans ou orignaux
Conche
A Croque, nous n’avons pas eu le temps d’aller voir les inscriptions des marins français sur les rochers ni d’aller jusqu’à Saint Julian’s; le soir enfin nous avons la chance de photographier et filmer plusieurs élans.
Nous quittons avec regret le «Marylin hospitality room B and B», surtout René qui était appelé «My Love», d’une façon plutôt maternelle je vous rassure; le repas d’hier soir était excellent, pour 25 dollars canadiens par personne et malgré les appréhensions de René pour le «Moose» c'est-à-dire l’élan; nous expliquons à Marylin qu’elle est une des 99 meilleures tables du Canada; pourquoi 99, parce que le restaurant local se dit être l’une des 100 meilleures tables; ici, nous avons rencontré un couple de québécois avec qui nous parlons presqu’une heure sur la situation politique et linguistique de la province de Québec; le Canada est actuellement en campagne électorale pour des élections anticipées en vue de constituer un nouveau gouvernement, celui actuel de Steven Harpeur étant jusqu’alors minoritaire; il y a en fait deux grands partis politiques au Canada: celui de M. Harpeur «conservative-progressive» et de l’autre côté les «libéraux» avec à Québec une particularité pour le «bloc québécois» qui est soutenu par 80% de la population de l’Etat local; le «bloc québécois» préconise l’indépendance mais les québécois ne sont pas tous pour cela indépendantistes; ils votent en faveur du bloc pour des raisons identitaires mais ne sont pas forcément prêt à franchir le pas de l’indépendance; d’autre part, les francophones des autres provinces sont contre l’indépendance du Québec pour ne pas se retrouver eux-mêmes ultra minoritaires.
Sur les plaques d’immatriculation des véhicules provenant de la province de Québec, il est marqué en français «je me souviens». A Saint-John, un navire de la Marine Canadienne portaitl’inscription:«Fais bien ce que tu fais».
Nous redescendons vers Norris Point, notre destination de ce soir en passant à nouveau par Port au Choix; dans les stations d’essence, il y a le côté «full-service» et le côté «self-service» où l’essence est moins chère: 1,41 dollars le litre contre 1,44; à plusieurs endroits dont à Saint-Anthony, nous avons remarqué un local de l’armée du Salut; ici, un motel s’appelle «VinlandHôtel»; peut-être, étions nous il y a quelques mille ans dans une région où poussait la vigne; à vrai dire les spécialistes cherchent toujours à localiser la région dénommée «Vinland» soit dans le nord de Terre Neuve soit éventuellement sur les côtes américaines; ici vécut le docteur Wilfred T. Grenfell, bienfaiteur de Saint-Anthony et du Labrador, qui a été anobli par la reine d’Angleterre; nous y voyons un musée installé dans sa maison ainsi que le musée de sa fondation sur la grand place, avons des explications sur le navire-hôpital «Strathcona»..
Selon Grenfell, «quand deux voies vous sont ouvertes, prenez la plus aventureuse.»; je relève aussi un dicton typique de l’époque des grandes découvertes: «quand le vente souffle sur les voiles il ne faut pas rester à quai» et aussi cette phrase de Shakespeare: «I shall be gone and live, or stay and died».
De retour donc de l’anse aux Meadows, nous repassons dans la baie de Saint-Jean avec 38500 km au compteur; aucune trace de brique à Barred-Harbour que je suppose toujours être autrefois «l’Anse Barrée»; l’endroit paraît malgré tout approprié par rapport à l’île Saint- Jean qui se situe en face; nous nous arrêtons à nouveau à Port au Choix pour saluer Pierre Monchot: il n’était pas là, nous lui avons donc seulement laisser des documents puis sommes repasser à «l’Héritage Centre» pour saluer Miss Mailman; celle-ci d’une façon très chaleureuse nous a donner, sur, il faut bien l’avouer, une petite sollicitation de notre part, une brique provenant de l’île Saint Jean, très certainement de la homarderie Lemoine.
La brique de l’île Saint-Jean
La brique de l’île Saint-Jean provient d’une petite île de ce même nom située dans la baie de Saint-Jean au nord de Port au Choix à Terre Neuve; elle dépendait d’une construction en dur édifiée par les européens, certainement les français au cours du 19ème siècle, les constructions en dur étant à cette époque extrêmement rares; il devait s’agir très certainement d’une homarderie avec un four et une cheminée pour l’ébullition et la mise en conserve des homards; ces constructions ont d’ailleurs fait l’objet de difficultés avec les anglais car les français depuis le traité d’Utrecht de 1713 n’avaient le droit qu’à des installations précaires, c’est à dire saisonnières et en bois; l’armement Lemoine a d’ailleurs été à l’origine d’un litige franco-anglais à ce sujet et l’une des deux homarderies qu’il avait fait construire, soit celle de l’île Saint-Jean soit celle de l’Anse Barée sur la côte avait dû être arasée et modifiée, les briques de la cheminée ayant été remplacées par des tôles; de ce fait, il était fréquent que les installations françaises soient placées soit en retrait dans des endroits invisibles de la côte soit cachées par des branchages de façon à ne pas attirer l’attention des jumelles des navires de la station navale anglaise qui surveillaient.
Cette brique qui a donc été prélevée sur l’île Saint-Jean provient certainement de la homarderie de Anatole Lemoine de Saint-Malo, laquelle avait été vendue à la suite de son décès en 1889 à l’armement Saint-Mleux, également de Saint-Malo; par la suite, nous savons qu’un anglais dénommé Sugram Taylor brûla volontairement les installations de l’armement Saint-Mleux et pour cela il fût condamné en 1890 par la justice de Saint-John à un an de travaux forcés et à la relégation, mais sans indemnité pour les propriétaires.
A Terre Neuve, il n’y avait semble-t-il aucune briqueterie; les briques étaient amenées de France; la provenance de celle qui nous concerne étant donc certainement une briqueterie de la région de Saint-Malo, celle de la rue de L’Enfer au Four à Chaux à Saint-Servan ou celle de La Landelle à Saint-Jouan des Guérets (ou bien Blanche Roche à proximité dirigée par M. Goldy un franco-britannique); ces briques lors du trajet de l’aller pouvaient naturellement servir de lest dans les cales des navires; en 1904, au départ des français, des inventaires précis des installations ont été réalisés de façon à pouvoir servir d’arguments à l’Entente Cordiale et à une certaine indemnisation; il nous a été indiqué que la plupart du temps les navires français avaient récupéré la majeure partie des installations et matériaux dont ceux en bois ou en brique: sauf apparemment ici à l’île Saint-Jean où il y avait eu peut-être abandon des lieux à la suite de l’incendie.
Précision: au Centre d’Interprétation de Bird-Cove près de Férolle, un peu plus au nord de Port au Choix, est exposée une brique de homarderie anglaise, peut-être celle de Brig-Bay, avec une marque de fabrication Cumbernauld qui était, d’après Salma Huxley-Barkham, l’historienne anglaise rencontrée à Plumpoint, le nom d’une briqueterie située en Ecosse entre Edimbourg et Glasgow; la situation des anglais était donc la même que celle des français: ils importaient aussi leurs briques pour leurs propres homarderies qui hélas venaient s’installer même sur la côte dite française de Terre Neuve.
Autre précision: la brique de l’île Saint-Jean dont nous parlons provient des collections de l’Héritage Centre de Port au Choix dont la fondatrice et l’organisatrice est Miss Stella Mailman; c’est cette personne elle-même qui au moment de la visite du Centre nous indique que la brique provient d’une homarderie certainement française située sur l’île Saint-Jean; avec elle et plusieurs fois, nous avons essayé d’organiser un voyage sur cette petite île de façon à approfondir la question mais à chaque fois le mauvais temps nous empêchait de le faire; ainsi à notre retour de l’Anse aux Meadows, nous avons sollicité une faveur de sa part: le prélèvement sur l’île Saint-Jean d’une autre brique parmi toutes celles restantes en place et enfouies dans la végétation, laquelle aurait pu nous être adressée en France lors d’un voyage par exemple de notre ami Ronald Rompkey; ayant bien compris notre souhait, elle alla au delà de notre demande et elle nous confia, donna ou redonna, je ne sais exactement quel terme employer, la brique qu’elle avait elle-même déposée dans l’Heritage Centre; cette remise fût pleine d’émotions et a fait l’objet d’une photo (ci-jointe); c’est, croyez bien, la première fois que nous assistons et bénéficions ainsi d’un prélèvement dans un musée, mais Miss Mailman nous rassure et nous indique que 92% des collections de ce Centre lui appartiennent personnellement.
Avec Stella Mailman à l’Heritage Centre de Port au Choix Dans la baie de Saint-Jean
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Avec René, nous avons quasiment adopté l’habitude de prendre le volant un jour sur deuxchacun à tour de rôle.
Quant on étudie l’histoire de Terre Neuve, on s’aperçoit qu’il y a eu dans le passé un certain nombre de tensions ou d’oppositions d’intérêts entre les différentes communautés et qu’il subsiste encore dans la discussion des réflexions un peu ironiques ou piquantes sur les uns ou les autres; et aussi, une idée très discrète se développe aujourd’hui, que les insulaires n’ont jamais réellement profité des ressources naturelles de l’île, sauf peut-être désormais et pour l’avenir avec le pétrole...
A Terre Neuve, il y a des sapins partout, il s’agit d’épicéas mais ici on parle plus volontiers d’épinettes; nous avons appris hier à notre gite que la population de Terre Neuve était actuellement en baisse, surtout depuis le moratoire de la pêche qui a provoqué beaucoup de chômage; la partie est de l’île a tendance à se regrouper pour le travail sur la capitale Saint-John, la partie ouest de l’île essaye plutôt de trouver du travail sur le continent canadien; beaucoup de jeunes ne restent pas sur Terre Neuve; dans les B and B que nous avons fréquenté jusqu’alors, nous avons rencontré deux couples belges, un couple hollandais et tous les autres étaient des canadiens du continent, de Toronto, de Ottawa et puis un couple québécois; donc pour l’instant aucun français dans nos rencontres.
Le long des routes, on voit souvent des voitures arrêtées: ce sont soit des pêcheurs dans tous les lacs et étangs qui jalonnent les routes, soit des promeneurs en quad à travers les forêts; dans un tout petit village trois églises, les pentecôtistes, les unitaires et les épiscopaux; les confessions religieuses sont très présentes et ne se mélangent pas; le site de Twillingate plaît beaucoup à René; en Français Toulinquet; nous ne voyons rien de la «Iceberg Alley» car ce n’est pas la saison de ces «invités venus du Nord»; les différents musées sont fermés sauf celui de la pêche, le seul que l’on ait pu ici visiter; désormais nous allons diner, avons repéré un restaurant le long de la côte avec une belle vue, endroit tout à fait correct mais nous apprendrons plus tard que l’autre restaurant situé à l’autre bout de la baie était beaucoup plus réputé; il cuisine la morue dans un bouillon de bière…
Avec René, nous pensons qu’avec la nourriture fastfood, il y a une suppression des petits élevages et des petites cultures locales; d’une façon générale, je trouve que René a beaucoup de mal ici avec la nourriture.
Twillingate ou Toulinquet
Vendredi 12 septembre: depuis le gite de Norris Arm North, nous partons très tôt le matin pour Saint-Pierre; dans la péninsule de Burin, nous découvrons une nouvelle nature: ce sont des landes parsemées de quelques arbres, des sapins, et également de gros rochers éparpillés; c’est peut-être dans ce secteur que vivent les rennes mais nous n’en voyons pas; peut-être sont-ils plus furtifs que les élans qui se laissent par contre assez facilement approcher.
Les rivières existent partout, superbes; les eaux sont souvent d’aspect rouge, tantôt elles sont terreuses après les averses, tantôt les rochers des lits sont également rouges; pendant de nombreux kilomètres, la présence humaine n’est marquée que par le ruban de la route et une ligne électrique qui la longe.
Nous arrivons à Fortune; nous apprenons que le musée de Grand Banc a été fermé à la suite d’un incendie, prenons le ferry sans la voiture pour la destination de Saint-Pierre; René est ravi de retourner sur le territoire français et de laisser la voiture; nous prenons un hydroglisseur dans lequel nous sommes enfermés pour des questions de sécurité et donc, nous avons de mauvaises conditions pour les caméras et les photos; René a honte de la série télé qui a été programmée au cours du trajet par les français sur les petits écrans.
Saint Pierre
Vendredi après-midi, promenade dans Saint-Pierre avec ses maisons typiqueset ses voitures ici de marques françaises, surtout Renault-Clio, une boulangerie-pâtisserie dénommée Paris-Brest; l’étape de Saint-Pierre est strictement nécessaire au niveau culinaire; sur le mur de la mairie une plaque en marbre nous intrigue: «Pour la première fois depuis le retour à la France des îles – depuis donc 1816 – le ministre des colonies M. Albert Sarraut a le 18 janvier 1923 visité notre maison commune»; et donc plus de cent années se sont écoulées sans qu’un ministre vienne sur l’île, qui plus est un ministre des colonies; il faut, nous semble t-il, vraiment lire cette plaque entre les lignes… En soirée, nous faisons le tour de l’île en voiture avec Jean-Claude; Samedi matin, nous avons vu le musée de l’Arche; les personnes que je dois voir à Saint-Pierre sont toutes absentes: Georges Poulet, l’ancien gouverneur a été hospitalisé, de même que Mme Lahiton-Poirier; Rosiane de Lizarraga est en congé et Rodrigue Girardin est en week-end à Miquelon; avec une assistante, Lauriane Detcheverry, je retrouve quelques éléments sur la maison Lemoine de l’île aux marins; nous apprenons que Mme Le Du avec qui nous étions en contact autrefois était à la retraite et qu’il n’y a pas de correspondant ici comme un peu partout dans les ports français pour les recherches à l’inscription maritime; l’Arche est un beau musée ainsi qu’un centre d’archives (voir l’incendie des archives en 1996); de nombreux objets de l’ancien musée n’ont pas été repris et exposés par exemple sur le faune; certains l’appelle «l’Arche de Noé».
Saint-Pierre avec au fond l’île aux marins
Chez
Augusta Lehuenen
Il y a beaucoup de voitures à Saint-Pierre, compte tenu de la surface de l’île: 5200 voitures pour 6316 habitants; c’est énorme et un peu inutile; dans une famille tout le monde a sa voiture; pour certains, la raison en est qu’il n’y a pas de transport en commun sur l’île; on s’aperçoit que ici, l’identité normande n’est pas mise en valeur et a tendance à disparaître; les bretons et les basques sont eux beaucoup plus présents et représentés.
Saint Pierre a changé de multiples fois de mains entre les français et les anglais; voici les étapes:
- 1604: 1er établissement français jusqu’au traité d’Utrecht de 1713
- De 1713 au traité de Paris en 1763: occupation anglaise
- De 1763 à 1778: occupation française
- De 1778 au traité de Versailles en 1783: occupation anglaise
- De 1783 à 1793: occupation française
- De 1793 au traité d’Amiens en 1802: occupation anglaise
- De 1802 à 1803: occupation française
- De 1803 au traité de Paris en 1814: occupation anglaise
- Depuis 1814: occupation française
Ile aux Marins Phare de la pointe Leconte
Maison Jézequel
A la recherche de la maison Lemoine
Samedi 13 septembre; l’après-midi, nous sommes sur l’île aux marins pour une visite avec un groupe de la maison Jezéquel, de l’ancienne école (dernier cours en 1963) avec le musée archipélitude, l’ancienne mairie (l’île avait été érigée en commune) et l’église Notre Dame des Marins construite en 1874; avant cette église, il existait une chapelle faite par Paturel d’Aigremont près du phare Leconte; une précision ici: ce phare de la pointe Leconte a été édifié et entra en service le 1er août 1874 à la suite de nombreux naufrages dans ce secteur et en mai 1874, le «Bacaïère» de l’armement Lemoine embarquait à Saint-Malo le matériel nécessaire à sa construction; sur l’île, nous avons pu rencontrer l’un des derniers Chatel dont le grand père Hippolyte y avait déjà fait construire une maison; menuisier de profession, il a du consolider les fondations de la maison familiale et en fit construire une autre pour lui-même, il répara la maison Jezequel ainsi qu’une autre maison de couleur bleue; il nous indique qu’il existait vers la rade face à Saint Pierre un certain nombre de pontons dont celui de la Morue Française qui était installée un peu partout sur l’île; mais il ne se souvient pas du nom de la maison Lemoine qui était pourtant très proche de l’endroit où nous étions à parler ensemble; il a fait beaucoup de choses sur l’île et comme il dit lui-même: «heureusement que Saint Pierre me donne également du travail»; et il nous quitte pour y aller par ses propres moyens avec un zodiac retourné sur la grève.
Dimanche matin 14 septembre, avant le départ, visite à Mme Lehuenen que tout le monde ici appelle Augusta; nous parlons ensemble longuement de l’île aux marins dont elle s’est beaucoup occupée avec son frère et de la localisation possible de la maison Lemoine; en fait peu de trace; par contre nous apprenons que la Morue Française a eu une place importante sur l’île au début du 20ème siècle; il y a beaucoup de souvenirs dans la maison d’Augusta située 56 rue Boursaint; nous la quittons avec regret pour aller sur le port attendre le ferry mais là Augusta revient nous voir pour nous reparler en plein soleil de la situation générale de Saint Pierre; son frère a été maire de la ville pendant de nombreuses années et également conservateur du musée; par la suite à la mairie, il y eut M. Penne; autre figure de l’île, l’évêque Monseigneur François Maurer (1922-2000) alsacien d’origine; aujourd’hui, les saint-pierrais ont l’impression que les oppositions politiques des différents représentants de l’archipel priment la défense de l’intérêt général des insulaires; nous parlons de la famille Legasse, une vrai saga, et aussi de la situation de Saint Pierre pendant la dernière guerre avec la malheureuse affaire du «Surcouf»; nous reparlons aussi de l’intervention de Dominique Perben, ministre des DOM-TOM qui le 8 septembre 1993 lance au Saint-Pierrais et aux Miquelonnais: «il faut oublier la morue».
Nous apprenons au passage de tous les propos d’Augusta que les «pieds rouges» étaient des marins venant de la baie du Mont Saint Michel et qu’ils marchaient toujours pieds nus.
A Saint-Pierre, samedi soir, nous nous sommes offerts en dégustation un homard, accompagné d’un Saumur; la veille nous avions «regoutté» au Sancerre; le chef de cuisine est venu très aimablement et honnêtement nous dire, mais nous le savions, que ce n’était pas la saison des homards, sous entendu que celui qui nous était servi sortait du congélateur. Qu’à cela ne tienne, il était délicieux, l’accompagnement et la sauce n’avait rien à voir avec la cuisine de nos amis canadiens, donc un grand plaisir de retrouver une petite partie de notre terroir.
L’impression de Saint-Pierre est que les personnes aujourd’hui s’y ennuient un peu; les jeunes après le BAC essaient de faire des études supérieures en métropole et s’ils y trouvent un travail dans ce cas ne reviennent plus à Saint Pierre seulement pour les vacances; la fin de la pêche a rendu la ville relativement inactive; le port est très calme, les salines ne servent plus; la pêche et le commerce du snow-crabe, le crabe des neiges ou araignée de mer n’a pas compensé la fin de la pêche à la morue; heureusement il y a les administrations ainsi que les aides en tout genre de la métropole; certains nous disent que l’on commence seulement en métropole à connaître Saint Pierre depuis l’existence des moratoires et la fin de la pêche; cela peut paraître assez navrant; nous apprenons qu’il y eut deux moratoires, l’un dans les années 1980 et un autre dans les années 1990; désormais, le tourisme se développe un peu notamment avec les canadiens, qu’ils soient terre-neuviens ou continentaux ainsi que les américains.
A Saint-Pierre, les variations des marées font deux mètres de hauteur environ; sur les graves, il fallait tout le temps retirer les herbes pour qu’elles restent propres, et cela sans produit tue-herbes bien évidemment pour le respect tant de la morue que de la nappe phréatique; l’hiver 1923, les glaces avaient bloqué le barachois, l’île aux marins était alors rattaché à la terre saint-pierraise.
J’essaye de me documenter sur les techniques de pêche à la morue pratiquées sur l’île, les mouvements des navires, les nombres de pêches, les appâts pour chacune mais sans trop de succès; j’apprends tout de même que la 1ère pêche était plutôt constituée de morues vertes, vendues sur place à Saint Pierre, les pêches suivantes plutôt de morues salées-séchées mises en tonneaux pour être ramenées en métropole.
Ici comme partout en France, une particularité: tout est fermé entre midi et deux heures AM, les commerces et les administrations, presque tout; Chapelle est le nom du propriétaire du musée de l’héritage ainsi que de la boutique de souvenir-parfumerie qui donne sous le musée sur la place du général de Gaulle.
A Saint-Pierre, les «gros du quai» sont les personnes bien en place qui possèdent les immeubles donnant sur le port; nous passons plusieurs fois devant l’hôtel Robert, très connu pour les scènes du film «Le Crabe Tambour»; nous sommes allés aussi voir un soir la rue de la Fauvette, du nom d’une des goélettes de la station navale, construite en 1864 et acquise en décembre 1866 par l’armement Lemoine; les marins de ce navire auraient servis à la création de la voirie.
Une grande question soulevée par René concernant Saint-Pierre: les habitants ici se sentent-ils proches plutôt des français métropolitains ou plutôt des nord-américains? la réponse donnée a été assez variable, les spécialistes penchent pour la tendance nord-américaine; je crois qu’il faut détailler entre les origines et les racines d’une part, la culture d’autre part et enfin le mode de vie, celle de tous les jours; et pourtant, nous avons rencontré des Daniel ou Jean-Claude qui sont très franco-français notamment dans leur physionomie, dans leur intonation et leur langage.
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Retour sur Terre-Neuve par le ferry; la douane canadienne n’accepte le passage ni de plantes, ni d’animaux, ni même de nourriture.
René écoute encore un peu nostalgique «Radio Atlantique» émise depuis Saint Pierre qui disparaît ou réapparait à chaque descente dans les «cove» de la côte ouest de Burin.
Nous sortons de cette péninsule de Burin pour redescendre par la TCH dans celle d’Avallon; le compteur fait 40000 km;
Plaisance
Lundi matin 15 septembre, nous sommes bloqués à notre gite de Placentia – en français Plaisance - par une course automobile qui nous empêche de sortir toute la matinée; ici le gite est un peu différent des autres...
Voici un peu d’histoire: les français ont quitté Plaisance en 1713; ils y étaient depuis 1662; mais ils y seraient revenus au cours de l’été 1762; en 1763, il y eut la guerre de la conquête; à la fin de la guerre de 7 ans; la place n’est en fait jamais tombée aux mains des anglais; elle a été abandonnée au traité d’Utrecht de 1713; les français refusent de prêter le serment d’allégeance au roi d’Angleterre; ils quittent Terre Neuve et Plaisance en faveur de Louisbourg sur l’île Royale (île du Cap Breton).
Les périodes d’occupation française dans tout le secteur nord-américain sont:
- La Nouvelle France de 1655 à 1763
- L’Acadie de 1604 à 1713
- Le Canada de 1608 à 1763
- La Louisiane de 1699 à 1763 puis de 1800 à 1803
- Terre Neuve de 1662 à 1713; Louis XIV en 1696 proclame à son tour Terre Neuve colonie française
- L’Ile Royale ou île du Cap Breton de 1713 à 1763
- La Baie d’Hudson de 1668 à 1713
La déportation des acadiens eut lieu en 1755; en cette même année, en pleine paix, l’Angleterre capture à hauteur de Terre Neuve 300 vaisseaux marchands et 2 vaisseaux de ligne; la réaction française passe de la modération à la lâcheté; Dupleix est renvoyé; interdiction est faite aux marins de se défendreet renvoi d’une frégate anglaise prise par un vaisseau français qu’elle avait pourtant attaqué.
Les années charnières seront 1758-1759; en 1759, Québec tombe aux mains des anglais; Montréal la deuxième ville française au monde capitule en septembre 1760; Montcalm veut revenir en France; Bougainville y retourne pour exposer à Louis XV la détresse de la colonie; Berryer lui lance: «Monsieur, quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas des écuries!»; il y eut aussi la boutade de Voltaire: «Quand donc les français cesseront-ils de se battre pour quelques arpents de neige!»; certains disaient que la colonie était à charge et qu’elle ne se soutenait que par l’argent du royaume; «Après nous le déluge!» avait aussi dit Madame de Pompadour; en signant le traité de Paris de 1763, Louis XV livrait un vaste et fécond territoire dépassant les trois quarts de l’Europe; on a parlé de l’incurie de Louis XV…
Le traité de Paris ne profitera qu’un siècle aux anglais: en 1855, Terre Neuve est un territoire autonome; en 1867, l’acte de l’Amérique du Nord britannique institue un état fédéral avec pour capitale Ottawa, un état pour le Québec, Terre Neuve est rattaché au Labrador; c’était donc la création de la Confédération; Terre Neuve n’est vraiment rattaché au Canada que depuis 1949.
Pendant un siècle, il y eut une coupure totale avec la France, créant un sentiment de tristesse et de mélancolie, d’avoir été abandonnés; puis à nouveau un siècle plus tard, c’est en 1967, la surprenante déclaration du général de Gaulle sur le «Québec libre».
Le fort de Plaisance était situé à 100 mètres au dessus du niveau de la mer; il était hors d’atteinte du tir des canons des navires; par contre les navires qui s’approchaient risquaient une véritable pluie de feu; les panneaux explicatifs du fort nous indiquent la différence entre un bastion et un demi-bastion dotés chacun de un ou deux flancs et une ou deux faces; un soldat placé sur le flanc pouvait tirer le long de la courtine adjacente.
Placentia a aussi le souvenir du prince William Henry, troisième fils du roi Georges III, né en 1765, il visite Placentia en 1790 alors qu’il est capitaine du «Pégasus»; il accède au trône d’Angleterre en 1830, meurt 7 ans plus tard et laisse sa nièce lui succéder, la reine Victoria.
Le fort royal ou Castell Hill est construit par les français en pierre alors que les anglais se servaient plutôt du bois ou de la brique pour construire; le fort Frédérik est de 1721; on parle aussi ici du fort Louis édifié par les français et du fort Royal réparé par les anglais en 1756; vu au centre d’explication du fort: un boyard qui servait au transport du poisson séché.
Plaisance Le fort français
Certaines personnes expliquent encore aujourd’hui que le jeûne édicté par l’Eglise pendant de nombreuses années a représenté une activité importante qui aurait «profité» à certaines personnes; on dit même que l’Eglise catholique dominait sur les activités du sel alors que l’Eglise protestante dominait celles du sucre.
Plaisance s’écrivait à l’origine avec un Z et Placentia a encore aujourd’hui un jumelage avec une petite ville en France, Plaizance dans le Gers; on ressent chez de nombreux canadiens francophones avec qui nous avons le contact qu’ils désireraient nouer ou renouer les liens plus étroits avec la France; il y a véritablement une demande; «envoyez-nous des visiteursde France! »; par contre, nous remarquons que les rayons livres des musées et des centres sont assez peu fournis en livres écrits en français.
La côte sud de Terre Neuve nous parait moins habitée que la côte Nord: pour quelle raison? Nous y voyons pour la première fois des rennes appelés ici «caribous». Dans le sud de la presqu’île d’Avallon, vers Trépassé, nous prenons nos premiers brouillards; ici, il y a pratiquement un centre d’interprétation dans chaque cove; tout le long des routes, nous avons un affichage sur les différents candidats aux élections en cours; certains propriétaires vont jusqu’à apposer une affichette de leur candidat à l’entrée de leur maison.
De retour à Saint-John après être passé au cap Spear, le point le plus à l’est de l’Amérique du Nord, nous retrouvons Ronald Rompkey qui est impatient de savoir comment s’est passé notre voyage; nous avons une très bonne soirée avec lui chez Jane, en présence de Françoise Enguehard.
Le séjour touche à sa fin; nous n’avons pas pu voir de baleine à Cap Saint Georges, ni d’iceberg à La Scie ou à Twillingate, ni de macareux à Cape Race, mais cela n’est pas très grave, nous n’étions pas à la bonne saison; nous n’avons pu rencontrer ni Tony Corneck le seul député francophone installé à Stephenville ni Georges Poulet, l’ancien gouverneur de Saint Pierre; les deux messages adressés avant notre départ au «Gaboteur», le seul journal francophone de l’île, ont été sans effet; par contre les contacts que nous avons eu ont toujours été très bons (Ronald Rompkey à Saint-John, un ami toujours précieux pour nos recherches, Catherine Fenwick à Grande Terre, Stella Mailman à Port au Choix, Selma Backham à Plumpoint et Joan Simmonds à Conche).
Mardi 16 septembre, tôt le matin, nous sommes à l’aéroport de Saint-John, c’est le retour, l’avion a du retard; j’avais mis malencontreusement un tube de shampoing dans mon sac de voyage et cela a posé quelques problèmes à la douane…
Tous les aéroports sont identifiés par trois lettres:
- Charles de Gaulle: C-D-G
- Newark: E-W-R
- Saint-John: Y-Y-T
- Et Deer Lake: c’est Y-D-F: étonnant n’est ce pas?
Il est temps désormais de faire les conclusions générales de notre voyage:
- Tout d’abord notre kilométrage final est de 40449 km à comparer au kilométrage initial de 34804 km: la différence fait donc 5 645 km, ce qui est énorme.
- Ensuite, René, comment s’est passé ton voyage?
- On a passé de bonnes vacances!
- Que dire de l’île de Terre Neuve?
- Fascinante!
- Les canadiens?
- On ne peut plus accueillants!
- Nos hôtes dans les différents gîtes?
- The best is Maryline!
- et ton collègue de voyage?
- Heu!! sympa!
A vrai dire, René répond dans un style très concis parce qu’il n’a jamais bien aimé que je lui mette le dictaphone sous le nez…
La première semaine a été assez fascinante avec la découverte de la route, du pays et des différents points d’accueil; depuis le retour de l’anse aux Meadows, les choses sont vues un peu différemment avec plus de réflexions et plus d’analyses; un peu de nostalgie également car nous sentions le retour.
A noter, plusieurs fois au cours du voyage, René aurait aimé se trouver du boulot sur place, en plaisantant bien sûr mais aussi par rejet de la banlieue et des transports parisiens; ici l’air est pur, ainsi que la relation humaine…
Chez les différents habitants rencontrés, nous n’avons ressenti à aucun moment de l’indifférence; tout le monde est prêt à nous parler surtout à René bien sûr, qui, lui, sait formuler une réponse, à reparler le cas échéant de leur propre voyage en France et à poser des questions sur le déroulement de notre propre séjour; les contacts sont toujours très faciles à la condition bien sûr de savoir parler anglais; également, ceux qui connaissent le français ont un grand plaisir à le parler, à s’exprimer devant nous dans notre langue.
René a 536 photos, moi un bloc-notes bien rempli, trois cassettes de caméra et trois autres de dictaphone prises pendant les heures de voiture ou d’aéroport, celles qui m’auront permis d’écrire le présent texte.
Si vous vouliez m’interroger à mon tour sur mon collègue de voyage, je dirais que nous nous sommes très bien complétés et entendus, lui avec sa parfaite connaissance de la langue anglaise m’a impressionné et beaucoup aidé dans les différents échanges pour aller beaucoup plus loin que je n’aurais pu le faire seul, et de mon côté je lui amenais les contacts et les thèmes de discussion pour au-delà du simple tourisme réaliser un véritable voyage d’étude.
Septembre 2008
Yves et René sur les hauteurs de Norris Point face à Bonne Baie
P.S.: Concernant les recherches sur l’armement Lemoine, le voyage à Terre-Neuve nous apporta-t-il des éléments concrets? Tout d’abord une meilleure compréhension des lieux ce qui est très important pour mieux appréhender les archives et mieux orienter les recherches; ensuite le fait d’avoir pu ramener en France une brique de l’île Saint-Jean, la seule preuve tangible des activités lointaines de l’armement; en réalité, les découvertes furent documentaires et eurent lieu à notre retour avec: 1) une photo de la pêcherie Lemoine sur l’île aux marins à Saint-Pierre – source: le service des archives de l’Arche à Saint-Pierre – 2) une photo de l’habitation Lemoine à Port au Choix – source le bulletin 1899 de la Société des Œuvres de Mer – et 3) un album de 19 photos de la pêche française à Port au Choix – don de M. Le Moal de Saint-Malo – Compte tenu de ces éléments et du voyage lui-même, nous avons entrepris la rédaction d’une notice sur «La pêche française à Port au Choix, sur la côte ouest de Terre-Neuve»; d’autre part nous avons émis le souhait d’en rédiger une autre sur l’«Histoire de la petite île Saint-Jean sur la côte ouest de Terre-Neuve» en collaboration avec Stella Mailman et dans les deux langues française et anglaise.