Les ex-voto marins

 

 

« Tableau ou objet offert à une chapelle ou à une église, en conséquence d’un vœu par lequel on s’est engagé ». Du latin « ex voto suscepto » d’où l’abréviation EVS.

Les marins sont depuis toujours très exposés au danger de mort. La mort ici est incertaine ; alors on prie, surtout la Vierge ou parfois les saints protecteurs, en leur demandant un salut dans l’au-delà, mais surtout la survie dans l’immédiat ; on promet quelque chose à l’église de son baptême, à la cathédrale du port où on a appareillé ; cela peut être un tableau représentant le risque du naufrage, une nef d’argent, un pèlerinage, des jours de prières dans telle ou telle chapelle ; on s’impose de remplir une obligation, on fait un vœu en cas de survie ; le marin alors attend une grâce ; l’essor du culte marial multiplia les ex-voto avec des portraits du donateur agenouillé, des vierges figurant avec une ancre, des maquettes de navires, des plaques de marbre blanc gravées de lettres dorées ou noires ; la remise de l’ex-voto s’accompagne souvent de cérémonies ; l’ex-voto est l’expression d’un péril conjuré.

 

La localisation des ex-voto n’est pas évidente : port d’origine, port d’appareillage, port le plus proche, lieu de pèlerinage… Il est arrivé que des marins offrent deux ex-voto : l’un a leur église locale et l’autre à une église de pèlerinage ; parfois l’armateur en faisait faire un exemplaire pour lui ;  

 

Voir les nombreux exemples à Sainte-Anne d’Auray, Notre-Dame de Bon-Secours à Rouen, Saint-Agnel à Rogliano-Corse, Notre-Dame de la Garde à Marseille, Notre-Dame de Délivrance, Notre-Dame-de-Grâce à Honfleur, La Vasina au Cap Corse, Notre-Dame des Flots au Havre de Grâce, etc …

 

Les chapelles dénommées Notre-Dame de Bonne Nouvelle, Notre-Dame du Bon Voyage, Notre-Dame de la Mer, Notre-Dame de Bon Secours, Notre-Dame des Flots sont nombreuses. Certaines ont été totalement construites à la suite d’un vœu prononcé en mer : ainsi la chapelle Notre Dame de Faste à Tuchan – Aude – et l’église Notre-Dame de la Clarté –Côte d’Armor -

 

Les ex-voto à Saint-Malo et dans la région

Les ex-voto sont nombreux dans la région, dans les paroisses où la plupart des jeunes s’enrôlaient régulièrement dans la Marine ; en leur absence, pendant les périodes de mer, les familles priaient dans les églises et chapelles, avec des ex-voto en représentation :

Dans la cathédrale Saint-Vincent, la goélette Stella Maris

Dans l’église Sainte-Croix de Saint Servan, chapelle Saint-Clément et Sainte-Philomène, tableau la Vierge aux naufragés

Dans l’église Saint-Michel de Rothéneuf, maquette du trois mâts Saint-Michel

Dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jouan des Guérets, trois maquettes, l’Ave Maria, le Pilgrim, le Charles Edmond ; le 19 novembre 1893, les marins de l’Alice-Louise de Saint-Servan se rendent pieds nus à la chapelle de Saint-Jouan en exécution d’un vœu fait pendant la tourmente.

Dans l’église Saint-Suliac, maquettes Rosalie et Henry, le vitrail La procession des marins, une sculpture en bois de la vierge des naufragés, le pèlerinage de Notre-Dame de Grain-Follet au mont Garrot,

Dans l’église Saint-Coulomb, une maquette de voilier de course,

Dans l’église Saint-Méloir, maquette du trois-mâts barque carré « Sainte-Marie », tronc orné d’un tableau « Le Vœu »

Dans la chapelle Notre-Dame du Verger à Cancale – chapelle de pèlerinage - plusieurs dioramas, des bateaux en bouteille, des sculptures et maquettes, des vitraux, des plaques votives ; de nombreux objets ont malheureusement disparu par suite de vol … Désormais, les ex-voto sont déposés en mairie de Cancale, avec une copie dans la chapelle.

Dans l’église Saint-Méen à Cancale, la chapelle des péris en mer, plusieurs maquettes et de nombreuses plaques gravées, deux tableaux, les vitraux, la stèle des marins péris en mer – 517 noms depuis 1847 -

Dans l’église Saint-Clément à la Richardais, maquette d’un côtre,

Dans l’église Saint-Malo du Minihic, maquette de goélette, statue votive Notre Dame de Bon Secours ; en juillet, un pardon de la mer,

Dans l’église Notre-Dame de Sainte-Anne à la Ville-es-Nonais, trois maquettes, le Saint-Anne, le Saint-Yves et un chalutier,

Dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul à Plouer, en Côte d’Armor, une maquette du Gabriel et un vitrail.

 

Les ex-voto et l’armement Lemoine

La chapelle de l’Artimon, dite chapelle Notre-Dame de la Merci, bâtie par M. Gouyon de Beaufort dans sa propriété des Corbières, fut bénite le 26 mars 1849 par M. Delacoudre, curé de Saint-Servan-sur-Mer ; à la fin du XIXème siècle, cette chapelle fait partie de la propriété de l'Artimon.

Aux Corbières, Gouyon de Beaufort (1784-1861) était armateur, à l’Artimon, Anatole Lemoine (1843-1889) également ; dans cette chapelle, les ancêtres Gouyon y étaient inhumés de sorte que lors de la vente de la propriété en 1878, il fallut procéder à des exhumations ; la chapelle comprenait très certainement aussi des ex-voto ; nous n’en avons pas la preuve car servant de dépôt d’essence pendant la guerre 1939-1945, elle fut incendiée en 44 au départ de l’occupant-allemand ;

Parmi les navires de l’armement Lemoine, citons l’ « Amélie » naufragé le 11 avril 1889, mais sauvé par un navire belge l’ « Etoile de la Mer » ; en remerciement d’avoir survécu, un pèlerinage des marins eut lieu le 24 avril, pieds et têtes nus, sous la pluie, depuis Saint-Servan jusqu’à l’église Notre-Dame de Saint-Jouan, en passant par la chapelle de Lorette sous la conduite de leur capitaine, M. Simon de Cancale ; voir l’article de presse du Le Salut de Saint-Malo repris au 9ème bulletin page 70.

Un autre navire attire spécialement notre attention : le Notre Dame de la Garde, une goélette construite à Saint-Malo du port de 145 tonneaux bruts, francisé à Paimpol puis à Saint-Servan en 1903, appartenant à Veuve A. Lechartier puis à Ludovic Lemoine de 1903 à 1918 quand il fut coulé par un sous-marin allemand ; de nombreux navires avaient pris ce nom dans les différents ports bretons ; les navires étaient ainsi sous la protection de Notre-Dame, en relation évidente avec la basilique Notre-Dame de la Garde de Marseille, Marseille qui depuis fort longtemps, était avec Bordeaux l’un des ports principaux de livraison de la morue de Terre-Neuve ; les marins à leur arrivée laissaient le navire à la décharge et à la pesée ; ils s’attardaient sur la Cannebière mais devait aussi monter brûler un cierge à la Basilique …

Et à ce sujet, voici le rappel d’une anecdote personnelle : en septembre 2008, Yves et René Duboys Fresney partent en voyage à Terre-Neuve et s’arrêtent au nord de l’île dans une localité dénommée Croque. Là, se situait autrefois la base de la station navale française de Terre-Neuve ; il y subsiste le cimetière des marins français, avec notamment la tombe de l’aspirant Edouard Villaret de Joyeuse dcd en 1854 ; un jeune homme de la localité nous interpelle et nous sert d’accompagnateur occasionnel puis nous attire chez lui pour nous montrer des documents et des souvenirs français, une gravure encadrée de Notre-Dame de la Garde de Marseille et une petite statuette en porcelaine de Notre-Dame de Bonsecours qui auraient été données à l’oncle de sa grand-mère par des français en remerciements des services d’hivernage et de gardiennage ; René D.F. signe le livre d’or de notre accompagnateur ; nous en avions alors logiquement conclu que le gardiennage correspondait aux installations du navire le Notre-Dame de la Garde de l’armement Lemoine qui pêchait régulièrement au début du 20ème siècle dans ce secteur de la côte nord-est de Terre-Neuve.

 

DEP 13 MARSEILLE GRAVURE DE NOTRE DAME DE LA GARDE - Notre-Dame De La Garde, Ascenseur

 

L’ex-voto du Mazagran à Antibes

Le Mazagran est un trois-mâts construit sur les bords de la Rance, grève du Vaugarni à Saint Servan, au port de 329 tonneaux et 28/100, pour le compte de l’armement Lemoine de Saint-Malo, francisé à Paris le 25 août 1840 n°644, enregistré le 18 septembre 1840 ; il est régulièrement armé au long cours depuis 1840 jusqu’en 1856, avec pour destinations les Antilles, la Guyane, l’Océan Indien et sans doute le Cap Horn ; par la suite inscrit à Marseille le 30 septembre 1859.

En novembre 1849, le Mazagran est au milieu de l’océan indien – la mer de l’Inde – et très exactement le 17 novembre à 10 heures du soir, sur un fort coup de vent et une grosse houle, à 150 miles de l’île Rodrigue, le navire se couche ; l’équipage ne maitrise plus rien, ni la voilure, ni la direction du navire, des éléments de la mature se cassent, des paquets de mer rentrent à bord, c’est la fin … on dira bientôt « le Mazagran a été perdu corps et biens ». Dans ces moments ultimes, à qui pense-t-on ? à sa famille et puis à Notre-Dame ! Si l’on survie, on se promet une grande dévotion à la Vierge salvatrice.

Quelques heures plus tard, le navire flotte toujours, le vent s’apaise, le mauvais moment est donc passé ; il faut vite colmater, écoper et puis regagner la côte la plus proche pour réparer … Nos vœux pour la Vierge ont été exhaussés ; nous devons pour toujours lui en rendre grâce et hommage. C’est très certainement ainsi qu’a été confectionné l’ex-voto du Mazagran à Antibes.

Notre Dame de Bon Port à Antibes est une église de pèlerinage : tous les ans, le premier dimanche de juillet, la statue en bois doré de Notre Dame de Bon Port est ramenée en procession à la Garoupe.

Le sanctuaire de La Garoupe comporte deux chapelles contigües : la nef de Notre Dame de la Garde et la nef de Notre Dame de Bon Port.

 

 

 

Sources :

-   dictionnaire d’histoire maritime Vergé-Fransceschi Laffont 2002

-   site internet sur les ex-voto

-   archives de l’armement Lemoine