Le Nain Rouge du Pays de Caux
Le Nain Rouge est une créature légendaire, fantastique, de tradition orale remontant à la nuit des temps, du type lutin, nain, elfe, gobelin ou gnome, tous plus communément nommés le petit peuple, émanant du folklore populaire français mais aussi américain …
Dessin de Godo
Sur la côte du Pays de Caux, on l’appelait aussi « le petit homme rouge » ou bien « le nain rouge des falaises » ; tout le littoral était hanté par ce gobelin vindicatif et farouche; il passait pour être méchant : il avait, disait-on vers 1840, une physionomie sévère en rapport avec la contrée où il se montre ; habitant des falaises, il n’était pas difficile d’entrer en communication avec lui, mais il punissait cruellement ceux qui le dérangeaient pour un simple motif de curiosité. Froid et susceptible, il répondait à l’appel des mots cabalistiques et protégeait contre les accidents ceux qui le respectaient, tandis que ses ennemis devenaient souvent borgnes et boiteux.
Les habitants de la vallée de Veulettes disaient que plusieurs de leurs compatriotes étaient borgnes, boiteux et contrefaits, et qu’ils devaient ces infirmités aux mauvais traitements du Nain Rouge.
D’autres plus heureux ont su l’apprivoiser, et n’ont eu qu’à se louer de ses bons procédés. Les pêcheurs parfois s’adressaient à lui pour garder leurs filets ; les pêcheurs de la vallée de Paluel passaient la nuit à la garde des filets qu’ils avaient tendus ; cependant, cette précaution ne serait pas suffisante peut-être pour les mettre à l’abri d’une attaque, si l’on ne savait que la plupart d’entre eux étaient en communication avec le Nain Rouge.
Les habitants étaient glacés d’effroi quand la mer battait avec des bruits sinistres et qu’ils croyaient reconnaitre dans les mugissements de la tempête les plaintes du Nain Rouge. Ce sévère lutin, préposé à la garde des filets, et du concours duquel les pêcheurs ne savaient se passer pour prendre les truites savoureuses de la rivière Durdent.
A Dieppe et dans les environs, le Nain Rouge était aussi parfaitement connu ; on y parlait plus de l’Homme Rouge ; un jour, deux pêcheurs qui allaient au fond du quartier du Pollet, aperçurent, en approchant du sommet de la côte, un petit garçon assis sur le bord de la route, et lui demandèrent ce qu’il faisait là : « Je me repose, dit-il, car je voudrais reprendre ma course vers Berneville. Bien ! répliqua l’un des pêcheurs, vous pouvez venir avec nous, c’est le chemin que nous suivons aussi ! » Là-dessus, ils se mirent tous trois en marche. Chemin faisant, le petit garçon inventait mille espiègleries pour amuser les pêcheurs. Cependant, ils étaient arrivés à un étang proche de Berneville. Là, le malicieux garçon se saisit de l’un des pêcheurs et le lança en l’air comme il aurait pu faire d’un volant, de manière à ce qu’il dût retomber dans l’eau [1] . Mais ce fut une grande surprise pour le méchant lutin de voir que le pêcheur était arrivé sain et sauf de l’autre côté de l’étang. « Remerciez votre patron, s’écria-t-il de sa petite voix cassée, qui vous a inspiré ce matin de prendre de l’eau bénite à votre lever ; sans quoi, il vous fallait essayer d’un bain de surprise ? »
Toujours sur les falaises de Dieppe, le Nain Rouge était d’un esprit malfaisant ; il se plaisait à jouer toute sorte de tours aux pêcheurs ; quelquefois, il les lançait d’un bord du vallon à l’autre où ils retombaient estropiés, s’ils n’avaient pas eu la précaution de prendre de l’eau bénite avant de partir pour la pêche.
Vers 1830, les vieilles femmes du Pollet racontaient à leurs petits-enfants l’une de ses apparitions : « Comme il passait un jour sur le rivage, alors que beaucoup d’enfants y jouaient, ils se moquèrent de lui ; mais le petit homme se fâcha, ramassa des pierres [2] et se mit à les leur jeter. Il était tout seul et cependant elles pleuvaient comme si cent bras les eussent lancées. Les enfants effrayés allèrent se réfugier dans le bateau d’un pêcheur, mais le nain les suivit et continua de les bombarder, si bien que, pour se mettre à l’abri, ils descendirent à fond de cale et y demeurèrent cachés. Alors ils entendirent les pierres résonner sur le pont pendant plus d’une heure. A la fin, tout paraissant tranquille, ils virent que le petit homme avait disparu ; quant aux pierres, il n’en restait pas une seule sur le pont … »
Les Nains Rouges des falaises se retrouvent aussi en Bretagne ; ils étaient presque toujours d’une humeur sombre. Le Korandon que l’on voyait se promener même en plein jour, sur les falaises de Bilfot près de Paimpol, ne parlait à personne et ne répondait pas à ceux qui le hélaient ; cependant, on ne l’accusait pas de méchanceté comme le nain du Pays de Caux …
Dans la forêt d’Ardennes, il y eut jadis un ogre appelé l’homme rouge ; il était anthropophage. Une jeune fille qui allait en pèlerinage à Attigny avec une de ses compagnes, se perdit en traversant la forêt. Comme elles cherchaient à retrouver leur chemin, elles virent venir un homme tout de rouge habillé, et lisant dans un livre sans lettre, qui leur dit « Vous êtes égarées mes belles filles, suivez-moi ! » Après avoir marché pendant deux heures, elles arrivèrent à une maison que cachaient de grands rochers et des arbres épais. Elles y entrent et vient un homme rouge faisant cuire des membres humains dans un immense chaudron. Elles veulent fuir, mais la porte était déjà fermée. « Où iriez-vous ? leur dit l’homme rouge, il fait noir, vous vous perdriez encore dans les bois, montez vous coucher ! » C’est ce qu’elles firent, mais elles ne s’endormirent pas, elles avaient peur et les ogres mangeaient d’une façon bruyante. Puis, le repas terminé, ce fut un bruit de couteaux qu'on aiguisait ; heureusement les jeunes filles purent s’échapper par la lucarne, au moment où l’homme rouge entrait dans la chambre pour les égorger…
D’autres régions, d’autres pays racontaient encore des histoires de petits hommes rouges dans leurs récits légendaires …
Le Nain Rouge est également connu dans le folklore des États-Unis ; il hanterait la ville de Detroit dans le Michigan, où il est craint par les habitants comme le signe avant-coureur d'une catastrophe[] ; il apparaît comme un petit enfant avec des bottes de fourrure rouge ou noire, aurait « des yeux rouges flamboyant et des dents pourries ». Son apparence est le présage d'événements terribles pour la ville ; sans doute pour conjurer le sort, il fait l’objet d’une fête annuelle, avec déguisements et carnaval.
YDF, juillet 2018
Sources :
- Paul Sébillot, Le Folklore de France 1905-1906 repris dans Croyances, mythes et légendes des pays de France
- Amélie Bosquet, la Normandie Romanesque et Merveilleuse, année 1845, 135, 137
- Revue des Traditions Populaires, mai 1901
- La Jeune Picarde, revue littéraire et historique, 1900-1901
- L’Archéologie en 1897, tome 1er
- Shoberl, excursion in Normandy, 1er, 259
- Gallica, Wikipédia