La briqueterie de Senneville-sur-Mer
Une briqueterie a existé à Senneville pendant une cinquantaine d'années de la fin du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle; elle a constitué une activité non négligeable du village pendant cette époque; les étapes successives dans la possession de cette briqueterie ont été les suivantes:
La briqueterie de Senneville
- Par acte de Me Ancel, notaire à Fécamp du 12 avril 1884, M Théodore Eugène Ebran négociant à Fécamp au 139 rue Queue de Renard achète de Mme Ernestine Ballandonne, épouse de François Revet cultivateur une ferme à Senneville; apparemment pas encore de trace de l’activité; nous savons seulement que la composition du bien sera modifiée après cette acquisition; nous situons donc la création de la briqueterie dans les années 1885-1890
- Par acte de Me Ronceray notaire à Fécamp du 19 janvier 1893, Eugène Ebran créée avec son fils Achille, une société en nom collectif pour la fabrication et le commerce de briques et de chaux; la société est dissoute par acte de Me Ronceray du 11 janvier 1896; donc seulement trois ans d’exploitation sous forme de société familiale; nous ignorons les raisons précises de la dissolution.
- Mme Théodore Ebran née Marie Huleau était décédée à Fécamp le 31 août 1886; c’est seulement par acte de Me Ronceray du 26 janvier 1901, qu’un partage familial eut lieu: M. Ebran père se voit attribuer - des marchandises dépendant de la briqueterie pour une valeur à l’époque du décès de son épouse de 2600 francs – également une ferme à Senneville comprenant une cour masure avec bâtiments d’habitation et d’exploitation et terres de labour d’une surface totale de 6 ha 30 a évaluée pour 41000 francs; une partie de la ferme était à usage de briqueterie occupée par lui-même, une partie de cour bâtiments et terres étaient louées à M. Varnière et une autre partie des terres à M. Séraphin Lecoutre.
- Décès de Théodore Ebran à Fécamp le 23 mai 1901; la succession est réglée par Me Ronceray notaire à Fécamp; un inventaire général de la succession est dressé par lui à partir du 12 juin 1901; Me Selle, notaire à Valmont, sans doute pour une question de compétence territoriale, réalise à Senneville le 27 juin 1901 un inventaire de la briqueterie; la prisée totale est de 10260 f 50; par adjudication de Me Ronceray du 18 juillet 1901, M. Ebran fils rachète à titre de licitation pour 16100 francs la ferme, la briqueterie et les terres de Senneville; il agrandit la surface de la ferme par un nouvel achat du 1er février 1902
- Par acte de Me Ronceray du 11 août 1905 M. Achille Emile Ebran briquetier et propriétaire et Madame Maria Anna Morel son épouse demeurant ensemble à Senneville loue la briqueterie à Mrs Jules Georges Aumont négociant et Emile André Dufour limonadier, tous deux originaires de Bolbec.
- Par acte de Me Ronceray notaire à Fécamp du 23 octobre 1908, M. et Mme Achille Emile Ebran vendent les biens de Senneville à M. Emile André Dufour dénommé alors briquetier; la description de l’immeuble ici est la même que dans la location de 1905.
- Par acte de Me Hummer notaire à Fécamp du 14 mai 1932, M et Mme Dufour-Huet procèdent à la vente au profit de M Gréaume, un voisin à Senneville de deux parcelles de 7780 m2 au prix de 5200 francs converti en un droit de concession pour les besoins de leur commerce de briqueterie sur une autre parcelle contigüe de 3544 m2
- Décès de Emile Dufour le 16 février 1935 laissant son épouse et deux fils Jean et René; il était né à Valmont le 17 janvier 1864 et avait donc 71 ans; par adjudication de Me Hummer notaire à Fécamp du 4 février 1936, suite à un cahier des charges du 12 décembre 1935, l’immeuble est attribué à la veuve née Huet pour 55300 francs
- Décès de Mme veuve Dufour à Senneville le 1er janvier 1938; par adjudication de Me Retout notaire à Valmont du 16 mars 1938 suite à un cahier des charges du 12 février 1938, l’immeuble est attribué à René Dufour pour 42000 francs, en fait 73000 francs pour les deux lots un et trois situés à Senneville.
- Par acte de Me Raoul Auvray notaire à Valmont des 2 et 3 mai 1938, M René Eugène Emile Dufour, représentant de commerce vend la maison principale pour 43000 francs à M et Mme Georges Gobbé-Lefebvre
- Par acte de Me Raoul Auvray notaire à Valmont du 8 mars 1942, M et Mme Gobbé vendent à M Eugène Le Meteil la propriété dite la Briqueterie consistant en maison, jardin dans lequel citerne et pompe, communs
- Par acte de Me Michel Auvray notaire à Valmont des 10 et 19 août 1963, Mme Le Meteil revend à M. et Mme Gilbert Brault ce même immeuble comprenant désormais en plus une construction réalisée par l’occupant pendant la guerre, en briques couverte d’une terrasse en ciment divisée en compartiments sans porte.
- Aujourd’hui la maison principale de la briqueterie appartient à M et Mme Pierre Herman au 320 de la rue de la Briqueterie.
En fait, de ce rappel de mutations foncières, il faut retenir principalement deux noms : Ebran et Dufour, ce dernier nom étant prédestiné, avec à chaque fois deux générations d’exploitants; les Ebran travailleront jusqu’en 1905 au moyen de quatre puis trois fours traditionnels d’une capacité de 100, 140 et 200000 briques et production de moins de un million de briques par an; les Dufour travailleront à partir de 1912 avec un seul four continu composé de 16 compartiments d’une production de l’ordre de un million et demi de briques par an; l’alimentation des fours se faisait au charbon.
La société d’exploitation Ebran père et fils (1893-1895)
Par acte de Me Ronceray, notaire à Fécamp du 19 janvier 1893, Théodore Ebran, briquetier demeurant à Fécamp 139 rue Queue de Renard, et son fils Achille, aussi briquetier, forment entre eux une société en nom collectif qui aura pour objet la fabrication et le commerce de briques et de chaux; la durée prévue était de dix années à compter du 1er janvier 1893; la raison sociale était «société Eugène Ebran et fils»; le siège à Fécamp 139 rue Queue de Renard; le capital de 40000 francs composé de 25000 francs d’apport par M Ebran père de matériels et marchandises dont le détail suit, existant sur une pièce de terre située à Senneville sur mer dont il va faire bail ci-après à la société:
- quatre fours à cuire la brique
- huit loges à sécher d’une longueur totale de 400 mètres
- deux loges à mouler
- une machine à vapeur et le bâtiment la renfermant
- un broyeur malaxeur
- deux machines à mouler
- deux machines à calibrer
- quinze brouettes, sept tombereaux, une charrette, une charrue, deux herses, un lot de madriers et de tréteaux,
- un cheval et ses harnais,
- 620000 briques cuites
- Sept cents mètres cubes de terre forte,
- 500 bottes de pailles,
- 400 bottes de foin,
- 10 mètres cubes de chaux,
- Et 200 sacs pour la chaux
Et de 15000 francs en espèces par M Ebran fils – apport à effectuer au fur et à mesure des besoins de la société et au plus tard le 1er janvier 1895.
Les bénéfices se partageront par moitié
Chaque associé s’engage à consacrer tout son temps aux affaires de la société.
Dès la société constituée, M Ebran père lui donnait à bail pour la durée de la société soit 10 ans, les biens suivants:
- une pièce de terre partie en labour et partie en briqueterie d’une contenance de 3 ha et 2 ares, située à Senneville,
- une grange, deux remises et une écurie avec grenier au dessus, se trouvant dans la cour d’une ferme attenant à la pièce de terre,
- une côte en joncs marins située à Fécamp sur laquelle existent deux fours à chaux
- et une pièce au rez de chaussée à usage de bureau de la propriété de M Ebran située à Fécamp 139 rue Queue de Renard.
Le loyer annuel était de 1200 francs applicable pour 100 francs au droit d’extraire la marne et la terre à brique.
La société loue et exploite ainsi pendant trois années.
Par acte de Me Ronceray du 11 janvier 1896, elle est dissoute à compter rétroactivement du 1er janvier 1896; nous n’avons aucune explication pour cette dissolution anticipée.
L’inventaire du 27 juin 1901
Sur le chantier de la briqueterie
1°) Dix grandes logettes en bois prisées 400 frs
Sous ces logettes
2°) 198 200 briques à la main cuites prisées 3 964 frs (valeur unitaire 2 cts)
3°) 237 900 briques mécaniques cuites prisées 3 568,50 frs (valeur unitaire 1,5 ct)
4°) 230 000 briques non cuites prisées 1 495 frs (valeur unitaire 0,65 ct)
5°) Une loge en bois sous laquelle une machine vapeur verticale (de bateau) système Gaillard frères prisée avec les accessoires de la machine à 125 frs
6°) Une turbine brisée prisée 6 frs
7°) Douze brouettes en bois prisées 36 frs
8°) Vingt tonnes de charbon prisées 420 frs
9°) Deux petites logettes à mouler sous lesquelles deux machines à mouler et deux calibreuses en fer le tout prisé 120 frs
10°) Douze tréteaux de différentes grandeurs et deux tréteaux mobiles prisés 42 frs
11°) Un tombereau à deux roues avec moyeux en fonte prisé 60 frs
12°) Une vieille meule prisée 2 frs
13°) Vingt madriers de roulage, un lot de paillassons en paille et en branche de colza et deux pelles en fer le tout 22 frs
Total de la prisée 10 260,50 frs
La location du 11 août 1905
Cette location porte sur une propriété à usage de briqueterie située à Senneville comprenant un terrain d’une superficie totale de 22300 M2 environ, borné à l’est par M Gobbé et par la Fabrique de l’Eglise de Senneville, au sud par le chemin allant de la route de Dieppe à Eletot et le chemin vert dénommé ancienne route de Dieppe, à l’ouest par les terres de M Ebran occupées par M Souard – petite ferme – et au nord par une ligne droite; 11800 M2 sont en herbages et cultures, sur les 10500 M2 de surplus sont édifiés:
- trois fours à briques d’une capacité l’un de 100000 briques, le second de 140000 briques et le troisième de 200000 briques
- un bâtiment à usage d’habitation autrefois occupé par le contre maître
- un bâtiment servant accidentellement d’écurie
- un autre bâtiment servant d’abri aux ouvriers
- un bâtiment en maçonnerie de forme chalet qui servait autrefois de bureau au bailleur
- l’emplacement des hallettes
- et un four en démolition
- sauf les modifications qui pourront être apportées … par les travaux projetés pour les fours
Les conditions d’exploitation imposées au locataire étaient les suivantes:
Outre les conditions habituelles d’entretien, les preneurs auront la faculté d’extraire dans les terrains loués la terre à brique nécessaire à leur industrie jusqu’à épuisement de cette terre; toutefois en ce qui concerne l’extraction du côté ouest, les preneurs devront prendre une hauteur de coupe de 4 mètres; au cas où les preneurs remontreraient au cours de leur extraction des épis de cailloux ou de mauvaises terres, ils pourront laisser la partie impropre à leur industrie, à charge de reprendre ensuite la hauteur de 4 mètres ci-dessus prévue et d’étendre la partie non utilisée pour opérer le nivellement prescrit plus loin.
Les preneurs auront la faculté de prendre une hauteur de coupe supérieure à 4 mètres pour l’extraction de la terre devant servir à la fabrication de la brique dite mécanique mais dans ce cas l’extraction devra être continuée sur une hauteur uniforme.
Etant fait observer que la terre propice à la fabrication de la brique à la main devra être prise dans la partie des biens loués désignée …
Les preneurs ne devront apporter aucun déchet dans la partie exploitée, la terre végétale devra seule être mise à la surface pour l’extraction de la terre dite terre-forte servant à faire la brique à la main. Ils devront faire cette exploitation en allant de l’ouest vers l’est pour atteindre les trous précédemment creusés par le bailleur et continuer ensuite cette extraction là où le bailleur l’avait abandonnée…
Au fur et à mesure de leur exploitation, les preneurs devront mettre de côté la terre végétale qui recouvre la terre à brique; ils devront remettre tous les ans en état de culture les parties exploitées d’une façon convenable et les recouvrir d’une épaisseur de terre assez épaisse pour que le socle de la charrue ne puisse atteindre les déchets de briques lors des labours…
La durée du bail était de neuf années renouvelables par périodes de 9 ans.
Le loyer annuel était de 1200 francs payable par trimestre; en cas de production de plus d’un million de briques par an, un loyer complémentaire serait dû de un franc par mille briques fabriquées en plus.
L’expertise du 10 mai 1935 – succession Emile Dufour
A la suite du décès de Emile Dufour survenu le 16 février 1935, une expertise est diligentée par les héritiers et par Me Hummer le notaire en charge de la succession.
Celle-ci est réalisée le 10 mai 1935 par Jacques Mauge, architecte A.P. demeurant à Fécamp 29 rue Maurice Renault et par Louis Leforestier, un briquetier de Gainneville.
Le descriptif est résumé ainsi:
I - Installation et fonds de commerce:
Valeur, compte tenu de l’obligation de reprendre le matériel, production moyenne un million et demi de briques, ci……………………………………………………….1 000 f
Four continu, vingt trois ans d’existence (1912), four cheminée, bâtiment le recouvrant compris, charpente couverture et essentage, seize chambres, ci………………….50 000 f
Four à l’étouffée, ci…………………………………………………………1000 f
Halettes, deux mille sept cent mètres carrés à trois francs le mètre carré couvert, ci…………………………………………………………………………………….8 100 f
Total………………………………………………………………………..60100 f
II – Petit matériel
1 presse «Normand»
2 calibreuses
2 moulureuses
2 wagons à caisse voie de 0,40 et 380 m de voie de 0,40 avec deux aiguilles et deux plaques tournantes
2 bannaux bois et un petit en acier
1 tonneau à eau tôle sur roues
2 ânes et harnais
12 brouettes tôle ou bois
Echelles, pelles, pioches
Total……………………………………………………………………….8 000 f
Installation électrique, force et lumière, ci…………………………………2500 f
Pompe tuyauterie et plomberie, citerne, ci…………………………………1500 f
Total………………………………………………………………………12 000 f
III – Stocks de briques
Briques four continu cuites: 673590 à 125 f le mille, ci………………84198,75 f
Briques cuites à l’étouffée: 53000 à 90 f le mille, ci…………………….4 770 f
Briques calibrées crues: 130000 à 40 f le mille, ci………………………..5 200 f
Total……………………………………………………………………..94 168,75 f
Total général……………………………………………………………166 268,75 f
La guerre 1939-1945
La guerre mondiale de 39-45 va provoquer la cessation définitive des activités de la briqueterie; les différents bâtiments sont investit par l’occupant, la cheminée qui aurait pu constituer un point de repérage sur la côte va être détruite; au moyen de ces matériaux, un grand garage à toit plat va être construit dos à la route
La propriété va par la suite être démembrée.
Aujourd’hui, plus rien ne subsiste de cette activité qui aura pourtant duré un demi-siècle, si ce n’est d’apercevoir encore les zones d’extraction de la terre à brique, de se dire que toutes les constructions en briques de la commune et d’ailleurs proviennent de cet établissement, et puis il y a en mémoire de tout cela la rue de la briqueterie, un juste rappel de cette activité marquante dans la vie d’autrefois à Senneville …
Yves Duboys Fresney
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