L’abbé de Valville (1737-1820)
Les origines
Etienne Augustin (ou Auguste [1] ) Adam de Valville [2] naquit à Bordeaux Saint-Clair le 20 avril 1737 ; il était fils de Louis François Adam, seigneur de Valville, écuyer, officier du Roi – maréchal-ferrand de la maison du Roi en 1789 – et de Marie Rose Dorey de Banville.
- Sa sœur Louise Rose Bonne Adam de Valville épouse Jean François Pierre de Ricq seigneur de Chassegai Varangeville, officier au corps des grenadiers de France, chef de division dans les troupes Gardes Côtes, dont :
- François de Ricq de Varengeville né à Fécamp paroisse Saint Fromond le 4 octobre 1782 ; il sera lieutenant de gendarmerie de la Garde, domicilié à Auzouville sur Ry, épousera le 7 mai 1803 Camille de Chambray, mais décèdera en Prusse en 1807 ; le mariage avait été célébré par l’oncle abbé de Valville.
- Son frère Louis Nicolas Adam de Valville, écrivain principal de la Marine de Brest, décéda prématurément (entre 1757 et 1769) laissant Etienne Auguste A. V. pour lui succéder (Archives de Seine Maritime C 1684).
Louise Rose Adam de Valville épouse de Ricq
(nous n’avons pas retrouvé de portrait de l’abbé)
Le curé de Vergetot
Etienne Adam de Valville est nommé curé de cette paroisse en 17xx ?
Il y fonde un collège en 1777, aidé de l’abbé de Martonne , seigneur patron du lieu ; il s’agissait d’un collège ecclésiastique, une sorte de petit séminaire qui compta jusqu’à trente-deux élèves
Parmi les professeurs, il y eut Guillaume Montier et Nicolas Thomas.
Parmi les élèves, l’abbé Pierre Augustin Holley né en 1765 ; les deux frères Jacques Charles Bailleul et Jean Antoine Guillaume Bailleul ; Jacques Charles (1762-1843) reçut une éducation sérieuse, a-t-on écrit ; il sera par la suite avocat au Parlement de Paris, député de Seine Inférieure de 1792 à 1795, député au Conseil des Cinq Cents de 1795 à 1799, membre du Tribunat de 1799 à 1802 ; il sera aussi écrivain surtout en économie politique. Jean Antoine Bailleul fut le fondateur du journal Le Constitutionnel.
Le collège fonctionnera jusqu’en 1790, avec dix élèves. On le dit détruit en 1790.
Voir le procès verbal de fermeture dans les églises de l’arrondissement du Havre par l’abbé Cochet tome 1 page 249.
Paul Allard écrit : « le choix des livres de classe et des livres de prix conservés m’a convaincu qu’on pouvait sortir d’un modeste collège de campagne sachant le latin et plus familier peut être que nos bacheliers avec le français du grand siècle » (Études d'histoire et d'archéologie / Paul Allard – 1899)
Le collège deviendra un presbytère puis une mairie
Il fit construire une nouvelle église à ses frais inaugurée en 1788 ; l’ancienne église Saint-Pierre attestée du 13ème siècle, est démolie en 1787 ; Lucas, architecte et constructeur de la chapelle du grand séminaire de Rouen, en dresse les plans ; Guillaume Boiste, maître maçon à Emalleville, en sera l’entrepreneur pour la somme de 70 000 livres ; il y emploiera 300 ouvriers à la fois ; Pierre et Charles Lebigre, charpentiers de Tennemare, firent le beffroi et le berceau de la nef ; avant la Révolution, on y comptait huit cloches.
La nouvelle église Saint-Pierre de Vergetot
Les possessions foncières de l’abbé, des fermes, situées à Bordeaux, Criquetot, Angerville l’Orcher, Cuverville servirent sans aucun doute à de telles réalisations.
Pendant la Révolution
Valville en sa qualité de membre du clergé et aussi de la noblesse, il est inscrit sur la liste de la noblesse de Vergetot, n’ayant pas prêté serment au nouveau régime, doit s’exiler.
On n’a parlé de dix années d’exil en Angleterre (Semaine religieuse du diocèse de Rouen 27 mai 1876), mais on le retrouve aussi parmi la liste des prêtres réfugiés à Liège en 1793-1794 (Revue d’histoire de l’Eglise de France année 1934 – page 239)
L’abbé de Fécamp
En 1802, aussitôt le Concordat, Mgr Cambacérès, archevêque de Rouen, nomma à la cure de Fécamp l'abbé de Valville, au lieu et place de l'abbé Letellier, curé constitutionnel.
Sa nomination mécontente une partie de la population favorable à l'ex-bénédictin Letellier à qui est confiée la paroisse de Goderville où il sera curé jusqu’à sa mort rn 1833 ; voir le procès-verbal de la prise de possession de l’église de la Trinité par M de Valville le 27 thermidor an 10 – 14 août 1802 publié en note XI dans le livre de Alexandre Leport de 1879 page 206 ; Valville se fait traité de chouan et reçoit des menaces de mort.
Les chouans étaient alors des bandes royalistes qui, dans l'Ouest de la France, faisaient la guerre de partisans contre la révolution
Valville répara les dégâts faits par la Révolution, avec l’aide de la municipalité.
Une partie de l’édifice sera blanchie, sachant que le successeur l’abbé Vincent jugera à propos de faire un blanchiment général y compris sur les sculptures.
La restauration de la Dormition de la Vierge
Cet ensemble sculpté qui daterait de 1495, a été mutilé à la Révolution. Des personnages ont été décapités (sans doute par des soldats du bataillon de Beauvais. Il fut restauré par l'abbé de Valville . Quatre têtes, qui n'ont pu être retrouvées, ont été remplacées, soit par des moulages, soit par des chefs venant d'autres groupes sculptés. Le personnage central du troisième plan, qui n'a pas grand-chose à voir avec les autres, est la tête d'un Laocoon. Le deuxième sur la droite serait le poète Posidippe. Entre les deux, le personnage portant un capuchon pourrait être Robert Chardon, le donateur.
Les cloches
Il emmène les cloches qu’il avait financé lui-même à Vergetot pour les installer à l’abbaye de Fécamp
Le clocher renferme cinq cloches qui sont en partie (4 sur 5 ?) dues à la générosité de l’abbé de Valville comme provenant de l’église de Vergetot : la première fondue en 1536 et refondue en 1740 et 1768 pèse 8 000 livres, la seconde 6 000 livres, la troisième 4 000 livres, la quatrième 1 800 livres et la cinquième 1 100 livres.
L’orgue
Un orgue de l’abbaye de Montivilliers fut donné en avril 1803, par le Gouvernement, à M. l’abbé de Valville(...), curé de Fécamp, qui le fit augmenter à ses frais, au point d’en faire un des plus complets du royaume. L’on a dit que cet orgue représentait une petite indemnité des richesses que le Trésor Public avait puisé dans l’église de Fécamp.
En fait, Montivilliers possédait alors deux buffets d’orgue alors qu’il lui en suffisait d’un seul.
Le jubé
On sait que le jubé de l'abbatiale fut construit entre 1420 et 1504 et qu'il était monumental. Il disposait d'une galerie supérieure où pouvaient s'assembler plus de trente musiciens et choristes. Mais on n'en possède aucune représentation. Beaucoup de jubés furent détruits dès le XVIIIe siècle : les chanoines étaient souvent impatients de dégager la perspective du chœur pour donner tout son éclat à la brillance des cérémonies. Le jubé de Fécamp ne fut détruit qu'en 1803. Dès qu'il reçut l'arrêté préfectoral, l'abbé de Valville « se serait empressé de le faire casser en une nuit à coups de masse pour mettre les Fécampois, soucieux de sa conservation, devant le fait accompli ».
Les restes de jubé
Alors où sont passés les restes du jubé ?
La Commission départementale des antiquités de la Seine-Inférieure fait le point lors d’une séance de 1849 :
« A l’abbaye même, le salmigondis de personnages
Il en reste des morceaux épars. Les principaux sont dans le transept nord. Les bas-reliefs à droite, avec des angelots tenant un écusson, sont les anciens frontons des portes des chapelles rayonnantes nord.
La maison Morillon
Le musée de la Bénédictine
Voir Débris du jubé de l’abbaye de Fécamp par d’Estaintot dans Bul Com Antiq Seine Inférieure II 1874, 407
Pour une réhabilitation de l’abbé
L’histoire retiendra que l’abbé de Valville aurait été le (seul ?) responsable de la démolition du jubé ; qu’en est-il vraiment ? délibération du conseil municipal ? Une démolition de nuit ? pour éviter la contestation des fécampois ? On peut lire encore : «le premier curé de Fécamp fit démolir avec un empressement extrême : il avait même ordonné aux maçons d’en briser les sculptures » (Causeries sur Fécamp, Yport, Étretat, Colleville, Valmont, Saint-Valéry-en-Caux, Cany et autres lieux... / par un nommé Joachim Michel, 1857)
Tous les auteurs accablent l’abbé de Valville et le rendent responsable de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « crime culturel » (Leroux, Bréhier, Valléry-Radot …) ; lui attribuant au passage des qualificatifs peu recommandables : xx
L’abbé Cochet est embarrassé d’en parler : « C’est en 1802, par des mains alies, que le jubé fut voué à la destruction ; nous sommes fâchés d’avoir ce reproche à adresser à la mémoire de M Adam de Valleville, pasteur si respectable par ses vertus. »
Un seul auteur, qui a, lui, bien étudié la question, conclut autrement ; il s’agit de Alexandre Leport en 1879
L’objectif principal était de libérer la vue sur le chœur, « de mettre disait-on le peuple en rapport avec l’officiant » et devant le refus du conseil de fabrique et de la paroisse le fait détruire nuitamment par un entrepreneur.
Quand on sait que quelques années auparavant, Leplay achète pour démolir une partie des bâtiments monastiques, Parnajon achète pour détruire l’église Saint Léger, puis Collos détruit Saint-Nicolas, Desportes Marcotte et Rousselet achètent pour détruire Saint Thomas et Saint-Fromond, Bridel Allain Sandret et Ladiray détruisent Sainte Croix ; en tout sept églises à partir de 1792 seront vendues et destinées à la démolition ; les acquéreurs sans doute également démolisseurs étaient pour la plupart bourgeois de Fécamp ; les démolitions eurent lieu au vu et au su de tout le monde ; par exemple, un dénommé Desportes participe à la destruction de l’église Saint-Nicolas alors même qu’un Louis Joseph Desportes, sans doute le même, est maire de Fécamp en 1791-1792 puis de 1800 à 1816 …
La Commission des antiquités de Seine Maritime a relaté à plusieurs reprises la destruction du jubé de Fécamp, mais en faisant remarquer toutefois que tous ces jubés ont en général disparu à une même époque que Thiers appelait « l’époque Ambonoclaste ».
Comment donc imaginer quelques années après un travail de nuit pour éviter une quelconque contestation ?
Alors ne faudrait-il pas réhabiliter l’abbé de Valville ?
Des suggestions pour le jubé
Hyacinthe Langlois signalait le 7 août 1831 au préfet, le baron Dupont-Delporte, la démolition du jubé de l’abbaye, le partage et l’abandon de cette galerie : « L’église abbatiale de Fécamp, aujourd’hui paroissiale, renfermait autrefois un jubé de structure admirable, véritable musée de statutaire dont les innombrables figures offraient tout ce que le ciseau du 16ème siècle avait produit de plus fin, de plus naïf et de plus parfait. Il y a quelques années, ce magnifique monument fut anéanti par la barbarie, l’astuce et l’amour-propre d’un curé de cette église. Un maçon s’empara d’un grand nombre de ces précieux débris qu’il entasse en manière de décoration dans une maison dont lui-même se fit l’architecte.
« Plusieurs figures de ce triste naufrage et restées éparses et détachées dans différents coins de l’église sont de plus en plus enviées par les brocanteurs ambulants, qui nous dépouillent sourdement chaque jour des lambeaux de nos anciennes richesses : dernièrement la tête d’une de ces statues voyageait dans la poche d’un soi-disant amateur, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’agit en ce moment même de tenter les moyens de nous enlever le reste. »
« Nous avons à Rouen, Monsieur le Préfet, un local assez spacieux …. » - publié dans le Catalogue descriptif et raisonné des sculptures de la cathédrale de Rouen conservées au musée départemental d'antiquités de la Seine-Inférieure / par M. Maurice Allinne 1920,...
L’on prétendit aussi que Hyacinthe Langlois fut quelquefois collectionneur trop averti de la valeur des œuvres d’art anciennes (concernant le retable de l’église de Blainville-Crevon)
Par la suite, l’abbé Cochet pense que ces débris de jubé conviendraient au musée du Havre
Alexandre Leport, lui, aurait suggéré que les pierres composant ce monument soient reportées au bas de la nef et réédifiées en manière de chapelles, de chaque côté de la porte principale ; le charmant escalier à jour aurait pu servir pour monter à l’orgue qu’on allait bientôt installer.
Le décès
Le 24 mars 1820, en célébrant un service pour le repos de l’âme du duc de Berry, mort assassiné par Louvel le 13 février précédent, l’abbé de Valville mourut à l’autel en chantant la préface ; l’évènement produisit une grande émotion dans la ville ; il sera remplacé par l’abbé Vincent, professeur de théologie à Rouen qui exercera jusqu’en 1833.
« L’abbé de Valville, curé de Fécamp, qui a été enlevé si subitement à ses paroissiens, se proposait de se retirer chez les Trapistes de l’abbaye du Gard, et avait écrit à D Germain, abbé de ce lieu, pour lui demander un asile ; il avait fait autrefois une retraite chez ces mêmes religieux lorsqu’ils occupaient le monastère de Darfeld, près Munster en Westphalie » (source : L'Ami de la religion et du roi volume 23 page 279).
Y. D. F. octobre 2020
Notes :