Le crime culturel
L’objectif pour de telles actions criminelles est de faire table rase du passé des peuples, par la destruction planifiée des lieux de mémoire, de sorte que les générations à venir n’aient plus aucune conscience de leur identité et de leur appartenance à une civilisation ancienne et millénaire ; il s’agit d’un nettoyage culturel.
De tels faits existent depuis bien longtemps – voir la liste ci-après – mais la prise de conscience internationale n’est que récente.
La première protection du patrimoine culturel a été édictée par la convention de La Haye de 1954 portant sur la protection de ces biens culturels en cas de conflits armés
Les bâtiments protégés au titre de cette convention devaient initialement être marqués à l'aide d'un sigle représentant un bouclier bleu. De telles marques ont été apposées sur ces bâtiments, mais très rapidement ils sont devenus des cibles. Dès lors, le marquage a été généralement abandonné.
L’ « International Committee of Blue Shield » ou ICBS
Une organisation non gouvernementale a été mise en place pour protéger et sauvegarder le patrimoine culturel : The International Committee of Blue Shield (Comité international du Bouclier bleu). Son objectif est de regrouper des membres des organisations internationales suivantes : CIA (Conseil international des archives), ICOM (Conseil international des musées), ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites) ainsi que l'IFLA (Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques).
L'ICBS a été officiellement reconnu dans le deuxième protocole à la Convention de La Haye (avril 1999). Cette reconnaissance renforce le rôle de l’ICBS qui agit dorénavant comme conseil auprès du Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé.
A l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture ou UNESCO :
La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel est un texte juridique adopté le 16 novembre 1972 par l'Unesco. Elle engage les États signataires à protéger les sites et les monuments dont la sauvegarde concerne l'humanité. Au 31 janvier 2017, 193 pays sont signataires de la Convention.
En 2003, une Déclaration de l'UNESCO concerne la destruction intentionnelle du patrimoine culturel ; elle en définit le régime de protection et de responsabilité, et également suggère à la création de « zones culturelles protégées ».
Malheureusement, ces textes ne possèdent pas de moyen coercitif.[ L’UNESCO en appelle à la bonne volonté des Etats et aussi à la Cour Pénale Internationale – CPI –
« Il n'y a pas de culture sans peuple, ni de société sans culture »
L’UNESCO adopte un fond d’urgence pour la protection du patrimoine culturel. Elle possède déjà un « fond du Patrimoine Mondial »
Au Tribunal Pénal International de l’ex-Yougoslavie
Cette juridiction a été la première à sanctionner un crime culturel ; elle a été instituée le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies[1] afin de poursuivre et de juger les personnes s'étant rendues coupables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l'ex-Yougoslavie à compter du 1er janvier 1991
Ce tribunal, dans ses compétences, peut poursuivre ceux qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre, comprenant, sans y être limité les actions suivantes :
…….. La saisie, la destruction ou l’endommagement délibérés d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des œuvres d’art et à des œuvres de caractère scientifique …
Il y eut pendant la guerre de Yougoslavie, en 1992-1995, les destructions entre autres du pont ottoman de Mostar, de la bibliothèque de Sarajevo …
A la Cour Pénale Internationale de La Haye dite CPI
La compétence de la Cour concerne les crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crimes de génocide et crimes d'agression (art. 5 de son statut) ; toutefois une sentence du 17 août 2017 appréhende la notion de crime culturel et l’assimile à un crime de guerre, en ces termes : « considérant la destruction de patrimoine comme étant un crime de guerre » ;
Arrêté, le dénommé al-Mahdi, juriste du non-droit, chargé de la police des moeurs, est reconnu par tous les habitants; il avait jugé que les mausolées "n'étaient pas légaux". Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), en septembre 2015, puis se voit transféré du Niger à La Haye. C'est alors la première fois que la CPI inculpe une personne pour crime de guerre pour le motif de destruction d'édifices religieux ou de monument historique: une sentence du 27 septembre 2016 le déclare "coupable de la destruction" de sites classés au Patrimoine mondial de l'humanité, celui des mausolées de Tombouctou détruits en 2012, et condamné à sept ans de prison et à payer 2,7 millions d’euros à ses victimes pour les dommages causés au patrimoine du peuple de Tombouctou et du Mali (concrètement, c'est le fonds pour les victimes qui devra collecter la somme).
Pour la première fois, donc, la destruction d'un héritage culturel inestimable est assimilée à un crime de guerre ; et de ce fait, il n’y aura pas d'extinction pour les crimes contre la culture.
En d'autres termes, le droit international reconnaît désormais que l'atteinte délibérée et avérée à l'identité d'une population, aux témoignages de son passé, aux signes de sa civilisation constitue un acte criminel de la plus haute gravité.
Une Conférence internationale eut lieu en décembre 2016 à Abou Dhabi, organisée par la France et par les Emirats arabes unis, portant sur la protection du patrimoine culturel en péril.
Il fut décidé la création d’un fond destiné à financer des projets en matière d’actions préventives ou d’urgence, de lutte contre le trafic illicite de biens culturels ainsi que de réhabilitation du patrimoine endommagé. La France s’engageait à y verser 30 millions de dollars.
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies
Le 24 mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans sa résolution 2347 adopte une protection générale du patrimoine culturel pour la paix et la sécurité ; la résolution est portée par la France et l’Italie ; elle est adoptée à l’unanimité.
« La destruction délibérée du patrimoine est un crime de guerre, elle est devenue une tactique de guerre pour mettre à mal les sociétés sur le long terme, dans une stratégie de nettoyage culturel. C’est la raison pour laquelle la défense du patrimoine culturel est bien plus qu’un enjeu culturel, c’est un impératif de sécurité, inséparable de la défense des vies humaines, a déclaré Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco. Les armes ne sont pas suffisantes pour vaincre l’extrémisme violent. Bâtir la paix passe aussi par la culture ; cela passe par l’éducation, la prévention et la transmission du patrimoine. C’est tout le sens de cette résolution historique », a-t-elle ajouté.
Précédemment, en 2015, la résolution 2199, avait déjà interdit le commerce de biens culturels en provenance d’Irak et de Syrie, par d’une cinquantaine d’Etats, et ainsi renforcé la législation contre le trafic illicite des antiquités qui constituait pour les extrémistes une source de financement.
Une autre résolution 69/196 avait encouragé les Etats à mettre en œuvre les directives de justice pénale pour la prévention des « crimes culturels ».
Unis pour le Patrimoine
Un groupe de travail a été lancé par l’Italie dénommé « Unis pour le Patrimoine ».
La position de l’Egypte :
Dans le concert international, l’Egypte prend sur le sujet une position particulière ; elle fait preuve de réticence à se joindre au consensus, compte tenu des nombreux « prélèvements » réalisés dans son pays, par le passé ; le représentant aux Nations Unies s’exprime ainsi :
« Le patrimoine culturel n’est pas moins important pour les Etats que la terre et l’honneur ; l’Egypte, dotée d’un patrimoine précieux, apprécié de tous, en connait l’importance … il y a lieu de réaffirmer le rôle premier de chaque Etat dans la préservation de son patrimoine culturel et le respect de la souveraineté des Etats … de rejeter toutes ingérences dans les affaires intérieures d’un Etat sous prétexte de protéger son patrimoine culturel … enfin, de souligner le refus de certains Etats de restituer des biens culturels appartenant à d’autres pays … il est essentiel de dresser une liste des biens transférés illégalement en période de conflit armé afin d’œuvrer à leur restitution ! … En conclusion, il regrette que la question de la protection du patrimoine dans les zones soumises à une occupation étrangère n’ait pas pu – pour des raisons politiques – être incluse dans la résolution … »
Au Conseil des Droits de l’Homme
Le Conseil des Droits de l’Homme s’intéresse désormais au patrimoine culturel ; parmi les droits de l’homme, on inclut aujourd’hui volontiers « le droit au partage du patrimoine commun de l’humanité »
Dans le langage courant : La destruction contestée d’un immeuble de caractère, d’un cinéma, d’une prison, la baisse du niveau de l’orthographe, la fermeture d’un musée ont été dans le langage courant considérés comme des crimes culturels ! Ne pourrait-on pas parler dans ce cas de délit culturel, pour laisser aux crimes leur véritable portée …
Liste – non exhaustive - du patrimoine culturel détruit :
- Au 16ème siècle, sous l'impulsion de Jean Calvin, plusieurs tableaux, statues et vitraux des églises ont été détruits pour contrer le risque d'idolâtrie.
- Avec le concile de Trente (1545-1563) : Destruction des jubés : le concile décide que le chœur devait désormais être visible pour les fidèles au lieu d'être caché par les jubés, qui furent donc pratiquement tous détruits, sauf en Bretagne,
- Par déclaration du 31 juillet 1626, le roi de France Louis XIII sur les conseils de son ministre Richelieu ordonne « le rasement des villes, châteaux et forteresses non situées sur les frontières… » ; 2 000 sites ont ainsi été plus ou moins détruits.
- Pendant la Révolution Française surtout une période dénommée « La Terreur » il y eut des destructions de monuments religieux et puis l’effacement des signes de la noblesse et des privilèges
- En 1791, l’abbaye de Cluny et ses archives
- En 1794, la cathédrale de Liège
- Sur la cathédrale de Paris : plusieurs destructions dont la galerie des rois
- 1944 : A Varsovie, le quartier de Stare Miasto, édifié au XIIIe siècle, a en effet été entièrement détruit lors du soulèvement de la ville en août 1944 ; il s’agissait pour les nazis de réduire la capitale en ruines afin d’anéantir la tradition séculaire de l’État polonais
- Durant la guerre du Golfe en 19XX, mise à sac du Musée archéologique de Bagdad en Irak
- fin 1991 destructions à Dubrovnik en Croatie
- en 1992, la Mosquée Babri Masjid à Ayodhya : centre d'un conflit inter-communautaire entre musulmans et hindous, la mosquée, construite en 1527, est rasée par les hindous , ce qui provoque de violentes émeutes où 2000 personnes trouvent la mort.
- 1992-95 : le pont de la vielle ville de Mostar d'architecture ottomane détruit durant les conflits en ex-Yougoslavie ; l’incendie de la bibliothèque nationale de Sarajevo, construite au 19e siècle dans un style pseudo- mauresque
- En mars 2001, eut lieu la destruction des deux bouddhas géants de Bamiyan en Afghanistan par les Talibans
- Depuis mars 2011, destruction du patrimoine culturel en Syrie (290 sites endommagés)
- Destruction de l’église Saint-Siméon-le-Stylite en Syrie
- En août 2012, à Tripoli en Libye, des islamistes ont démoli à coup de pelleteuse et profané le mausolée du sage Al-Chaab al-Dahmani
- Mi-octobre 2012 : destruction à Alep du souk et de la mosquée des Omeyyades, à Palmyre, à Raqqa …
- Au Mali, des attaques ont été menées contre des mausolées et des mosquées abritant des manuscrits qui comptaient parmi les plus importants de la civilisation islamique ; à Tombouctou toujours au Mali, la "cité des 333 saints",
- Septembre 2014 : destruction en Syrie de l’église des Saints-Martyrs à Deir Ez Zor, lieu hautement symbolique pour la communauté arménienne
- En février 2015, destruction du patrimoine culturel à Nimrud en Irak, à Ninive, à Hatra, berceau de l’écriture de la première architecture monumentale ; le vieux souk d’Alep, la grande mosquée de Samarra,
- Destruction des pièces anciennes du musée de Ninive à Mossoul, la tombe du prophète Jonas et le sanctuaire du prophète Seth toujours à Mossoul
- Le 18 mars 2015, attaque terroriste faisant 21 morts parmi les touristes dans le musée du Bardo à Tunis
- Le 21 mai 2015, en Syrie, la cité antique de Palmyre, vieille de plus de 2 000 ans et classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est envahie par les Djihadistes et par l’Etat Islamique; le 23 août 2015, minage et explosion du temple de Baalshamin ; la ville est libérée en 2016.
YDF