Quelques affaires judiciaires nantaises au 18ème siècle
ou
« La querelle des procureurs »
(les parties concernées : familles Duboys, Le Glay, Bocher, Foyneau [1] )
La préservation des pièces et documents est très importante pour la connaissance de la vie civile d’autrefois. Mais on peut voir ici que le rapprochement des pièces déposées à différents endroits, publics ou privés, est tout aussi important ; chaque pièce, à elle seule ne se suffit pas, il faut rechercher le contexte ; les autres pièces sont alors nécessaires ; encore faut-il les retrouver et puis les rapprocher les unes aux autres …
Les affaires dont nous allons parler vont tenir l’attention de certains tribunaux bretons pendant une bonne partie du 18ème siècle, les Prévôtés de Nantes et d’Ancenis, surtout le Présidial de Nantes mais également le Parlement de Rennes pour les voies de recours ; les décès ne suffisent pas pour interrompre les procédures, les héritiers prennent le relais … ; il faudra attendre un arbitrage de 1763, avec la bonne volonté de certains et aussi la lassitude des autres (ou peut-être même la Révolution !) pour y mettre fin.
Les pièces judiciaires en présence (sources) :
Celles dont, du moins, nous avons connaissance, sont les suivantes :
A – Deux pièces de source privée familiale : un factum imprimé émanant de Siméon Bocher de 1736, et un mémoire manuscrit établi en 1763 par Jacques Dubois fils.
B - Grâce aux « Tablettes Rennaises » - à voir sur internet - nous disposons de trois autres pièces toutes imprimées :
- Un « factum » établi en 1726 pour demoiselle Janne Le Glay – l’auteur est Me Morice avocat, l’auteur secondaire-rapporteur est M de Bruc.
- Un « factum » établi en 1728 ou 1730 ? par M. de la Motte Jacquelot [2] , rapporteur, imprimé chez Vatar, en faveur de demoiselle Rose Gomme, veuve de Sébastien Leglay, et ses trois enfants, contre Jeanne Leglay, fille de Sébastien Leglay mais d’un premier mariage avec Urbanne Dubois.
- Un contredit établi en 1728 imprimé chez Jean Gaisne, pour demoiselle Jeanne Le Glay – l’auteur-rapporteur est M. La Motte Jacquelot ; l’avocat est Me de Moyaire [3] ; ce contredit a sans doute été rendu possible du fait que deux arrêts en 1727 et 1728 sont intervenus après le premier factum de 1726.
C – A la Bibliothèque de Nantes sous la référence 7220, cité par René Kerviler dans ses travaux de bio-bibliographies bretonnes, un factum imprimé de Me Racois, l’avocat de Jeanne Le Glay établi vers 1743 ( ?) :
« A Messieurs les juges du siège présidial de Nantes supplie humblement demoiselle Jeanne Le Glay, épouse de M. Siméon-René Bocher, procureur etc. contre le sieur François Foineau etc … et contre la demoiselle Renée Gomme etc (par Racois) – Rennes, de l’imprimerie Julien Vatar, s.d . sur 14 p -
D - Nous disposons également de la généalogie familiale qui nous permettra de mieux comprendre les positions de chacun …
Les pièces essentielles manquantes :
- Un partage familial Duboys de 1706 ; le document à l’origine de la plupart des contestations nous manque cruellement …
- Les comptes de la banqueroute de Rose Gomme veuve Le Glay de 1730
- le factum de François Dubois venant en opposition de celui de Bocher de 1736 ; pour bien comprendre des conclusions d’avocat, le mieux n’est-il pas de connaitre les conclusions adverses …
- le factum de la famille Gomme-Foineau venant en opposition de celui de Jeanne Le Glay-Bocher de 1743
- La réplique au mémoire de Jacques Dubois fils de 1763
Tableau généalogique :
Noms |
Génération I |
Génération II |
Génération III |
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Tesson |
André Tesson Et Marie Brosset |
M. en 1680 Jean Tesson (16xx-16x) Et Urbanne Dubois (1) (1659-1701) |
Jean Tesson |
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Brosset |
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Dubois-1 |
En 1658 (1)René Dubois (1637-1704) Et Urbanne Aubin (16xx-1663)
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André Tesson |
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Le Roy |
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Aubin |
En 1699 Urbanne Dubois (2) Et Sébastien Le Glay (1) (16xx-1725) |
Jeanne Le Glay (1700-17xx) Ep en 1731 Siméon-René Bocher (xx-xx) |
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Le Glay |
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En 1709 Sébastien Le Glay (2) Et Rose Gomme (xx-xx) |
Magdeleine Le Glay (1710-xx) Ep François Foyneau fils de Louis Foyneau |
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Rose Le Glay (1714-xx) |
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Gomme |
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Marie Le Glay (1714 ?-xx) |
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Dubois-2 |
Vers 1665-1668 (2) René Dubois Et Jeanne Bureau (16xx-1712 ?) |
En 1696 François Dubois (1671-1747) Et Anne de Paris (xx-xx) |
19 ( ?) enfants, dont -Joseph D de la V (1698-1783) -René-Antoine D des S (1707-1792) |
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Bureau |
Jean Dubois (1678-1742) |
SP – en religion - |
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En 1713 Jacques Dubois (1681-1762) Et Madeleine Douault |
Jacques Dubois fils (1717-1764) Ep Françoise Alleaume (1714-1746) Puis Geneviève Gaudin Duplessix (1725-1820) |
Contentieux succession Sébastien Le Glay
Juristes : procureur, professeur ou avocat
Les personnages en présence étaient essentiellement des juristes, hommes de loi : d’une part, François Duboys (1671 ou 73-1747) procureur au Présidial de Nantes, après lui, son fils ainé Joseph Dubois de la Vrillère, avocat à Rennes, également son fils cadet René-Antoine Dubois des Sauzais procureur au Parlement ; d’autre part, son frère cadet Jacques Duboys (1681-1762) procureur au Parlement, après lui son fils Jacques Duboys (1717-1764) professeur de droit à Angers et avocat ; et aussi Siméon-René Bocher (xx-xx) procureur au Parlement, époux de Jeanne Leglay, sa belle-fille ; enfin, Louis Foyneau , avocat à la Cour, se joindra aux affaires ; c’est le père de François Foyneau, mari de Magdeleine Le Glay ; il influence et soutien le ménage …
Deux autres personnages-clés se sont opposés lors d’un règlement de succession, celle de Sébastien Le Glay, à savoir sa veuve Rose Gomme et sa fille d’une première union Jeanne Le Glay ; le procureur Bocher qui soutenait Jeanne Le Glay, son épouse, contre les deux oncles, va désormais la soutenir contre sa belle-mère !!
I – François Dubois a été le tuteur de Jean et André Tesson, suite au décès de leurs père et mère, Jean Tesson et Urbanne Dubois ; il sera procédé, sous son autorité, à une renonciation de leur part à la succession de leur mère, en faveur de Jeanne Leglay leur demi-sœur.
II – Jeanne Leglay n’avait que quelques mois au décès de sa mère en 1701 ; elle sera soumise à l’administration et à la garde de son père Sébastien Leglay mais sans doute à partir du remariage de ce dernier en 1709, elle sera assistée de son oncle François Duboys jusqu’à sa majorité ; et malgré cela, dès 1707, François Dubois, associé à son frère Jacques procéderont à une cession et indemnisation de Jeanne L. G. dans la succession de sa mère pour une somme de 268 livres …
Par la suite, à partir de 1735, cet accord de 1707 sera contesté par le jeune procureur Siméon-René Bocher qui en 1731 avait épousé Jeanne Leglay ; le litige durera semble-t-il jusqu’après 1763 ?
III – Le 12 mai 1706, à l’occasion d’un partage familial Duboys du 2 décembre ? 1706, consécutif au décès en 1704 de René Dubois père, Jean Dubois, le prêtre, cède ses droits successoraux, et indivis ?, à François Dubois.
A partir de 1722, cette cession sera contestée par Jacques Dubois, son jeune frère, puis suite à son décès en 1762 par son fils un Jacques Dubois également.
Le château du Bouffay, siège initial du Présidial de Nantes
Le nouveau palais de justice de Nantes de 1842
I – La querelle des deux procureurs
Il s’agit essentiellement d’un litige entre deux frères, François et Jacques Duboys.
Pour bien situer l’origine des débats, rappelons que René Duboys leur père était décédé à Saint Julien de Concelles en décembre 1704 laissant quatre héritiers pour un quart chacun.
Celui-ci avait épousé en premières noces Urbaine Aubin et avait eu deux filles Urbaine et Renée. Urbaine D. épousa elle-même en premières noces Jean Tesson dont deux enfants Jean et André Tesson ; et en secondes noces Sébastien Le Glay dont une fille Jeanne L. G.
En 1704, Jeanne Le Glay était seule survivante et héritière de cette branche pour un quart ; Urbaine, sa mère, et Renée étaient prédécédées ; également Jean et André Tesson dont elle était la seule héritière. Elle n’avait alors que 4 ans.
René Duboys avait épousé en secondes noces Jeanne Bureau dont il eut trois enfants, héritiers pour les trois autres quarts, soit un quart chacun ; il s’agissait de François, Jean et Jacques Duboys.
François Duboys, l’aîné des trois frères, avait 33 ans et était alors depuis 1699 procureur au Présidial de Nantes ; Jean D. le second était prêtre ; et Jacques D. âgé de 24 ans était étudiant en droit et il devait devenir en 1711 procureur au Parlement de Bretagne à Rennes.
Un partage eut donc lieu en 1706 pour réaliser des attributions à chacune de ces quatre branches ; et à vrai dire, nous n’avons ni la date exacte de ce partage (2 décembre ?), ni ses références et encore moins la copie.
Pour résumer très brièvement les 60 années de péripéties qui ont accompagné les suites de ce partage, nous pouvons indiquer les points suivants qui ont créé les désaccords :
- François et Jacques se sont mis d’accord en 1707 pour indemniser Jeanne de ses droits à la somme de 268 livres ; Jeanne était alors très jeune ; elle devait épouser plus tard en 1731 un procureur au Parlement de Bretagne, Siméon-René Bocher qui contesta assez violemment les accords ainsi que les évaluations des biens, cela 25 ans après les faits.
- Suivant acte du 12 mai 1706, Jean Duboys, le prêtre, cède ses droits indivis à François, ce qui est contesté par Jacques du fait d’un défaut de paiement de ces droits.
- Enfin, nous pensons que le litige ne s’est véritablement installé entre les deux frères que depuis 1722 à l’occasion d’un procès et surtout en 1732-1733, c’est à dire au début du litige Bocher-Le Glay, jusqu’en 1763 au moment où Jacques Duboys fils reprend les débats pour son compte, à la suite du décès de son père en 1762 et obtient une sentence arbitrale qui semble-t-il mettra fin aux difficultés.
- Précédemment, pendant la période 1706-1722, nous pensons que les deux frères s’entendaient plutôt bien tant au niveau professionnel que familial ; le partage de 1706 n’était pas encore source de difficultés ; Jacques D. venait pendant un certain temps loger chez François D. avec femme et enfant ; François D. envoyait à Jacques D. gracieusement un baril d’eau de vie ; des travaux professionnels, des mémoires, étaient établis par l’un en faveur des clients de l’autre et réciproquement ; puis il y eut une dégradation des relations et dans ce cas tous les reproches apparaissent ; les lettres et les preuves écrites ressortent ; ce qui était accepté et acceptable ne l’est plus ; l’on fait les comptes pour les mémoires, pour la pension familiale à Nantes ou même pour le baril d’eau de vie …
Pour plus de précisions dans les faits, il faut noter que :
- le demandeur originaire était Jacques Duboys ; celui-ci conteste en premier la situation des faits dont le rachat par François D. des droits héréditaires de Jean D. ; après lui, son fils, brillant professeur de droit à l’Université d’Angers, relève le défi et dresse en 1763 un mémoire qui résume largement la situation et sollicite une sentence arbitrale ; ce mémoire a été porté à notre connaissance ; nous n’avons pas connaissance de la sentence qui a suivi mais nous pensons qu’elle a réellement eu lieu ; la décision a d’ailleurs été prise sous réserve des droits du sieur Bocher ce qui prouve qu’encore à cette époque le litige avec Jeanne n’était peut-être pas terminé.
- Le défendeur originaire était François D ; après lui et donc après son décès du 16 février 1747, ses enfants : Joseph Duboys de la Vrillière, avocat au Parlement de Bretagne, René-Antoine Duboys des Sauzais, aussi procureur au Parlement de Bretagne, ainsi que leurs sœurs.
- Un premier procès eut lieu vers la fin 1722 à la prévôté de Nantes; nous n’en connaissons que peu de choses ; François D. y produit sa défense le 19 octobre 1722 ;
- En 1729, nouvelle contestation ; Jacques D. dépose une requête le 23 juin ; François avait formulé une induction le 16 avril.
- Plus tard, François D. dépose une nouvelle requête le 28 juin 1734 ; une sentence est rendue aux requêtes du Palais à Rennes le 4 juillet 1736 ; nous pensons que cette décision a été plutôt favorable à François et comme telle, celle-ci a été contestée ultérieurement par Jacques.
- Enfin, suite au décès de Jacques Duboys père, l’arbitrage de 1763 clôture cette longue période ; une compromission date du 18 septembre 1762 ; puis vient le mémoire de Jacques Duboys fils dont nous avons parlé plus haut ; par la suite, les affaires se sont-elles arrangées entre cousins ? Y a-t-il eu transaction définitive ? A moins que la clôture de tous ces débats ne soit réalisée en fait par le décès de Jacques Duboys fils survenu dès le 14 novembre 1763 ou 64 … Ses propres enfants, n’étant pas juristes, en ont peut-être abandonné la cause ….
II – Quand survient un troisième procureur …
En 1701, au décès de Urbanne Dubois-Le Glay, François Dubois, son demi-frère, est institué tuteur des Tesson, enfant du 1er mariage de la défunte ; Urbanne Le Glay, seule enfant de son second mariage, restera sous la garde de son père, mais par la suite, sans doute après le remariage de celui-ci en 1709, elle sera conseillée par François Duboys son oncle ; l’âge de la majorité était alors de 25 ans ; à partir de son propre mariage en 1731, elle se retournera contre ce dernier, sans doute sur les « bons » conseils de son mari, Siméon-René Bocher, un tout jeune procureur, ses provisions pour exercer étant du 9 novembre 1730 …
A partir de 1735, Siméon Bocher assigne donc les deux frères Duboys : il leur reproche la transaction faite en 1707 pour 268 livres portant sur les droits de Jeanne L. G. dans la succession de sa mère ; pendant 25 ans rien ne se passait, mais l’affaire débute par une sommation adressée par Jacques D. à sa nièce pour déclarer en justice si elle acquiesçait les évaluations et partages de 1706 et 1707, « et pour, en cas de contestation, se joindre à lui pour les faire rejeter, et procéder à un nouveau partage ».
*Une 1ère sentence de la Cour du 24 janvier 1735 ordonna à Delle Le Glay de faire sa déclaration
*Une sentence contradictoire a lieu le 12 février 1735
*François D. dépose une induction du 9 mars 1735
*La production (le mémoire) en faveur de Delle Le Glay est du 21 mai 1735
*Me Bocher, procureur, émet des observations en 1736 ( ?) au moyen d’un factum imprimé ; ce document a été porté à notre connaissance.
*Dans ce litige, le Président de la Daguerie est le rapporteur
Bocher est virulent : il parle de spoliation, de pillage, de cet odieux partage, d’injustice, de tyrannie, de folle intimidation … Les attaques portent surtout sur François Duboys, lequel « n’avait pas de pudeur pour avancer une imposture » : celui-ci aurait « laissé des maisons entières sans les priser … » ; « on laisse à penser quelle justice sa partie pourrait espérer dans une juridiction à laquelle il préside et dont les officiers tremblent sous son joug. » Bocher craint beaucoup de faire appel au Présidial de Nantes « où il postule et où son crédit et ses intrigues l’ont rendu puissant … » ; « son ouvrage n’est qu’un tissus de fraudes pour ne rien dire de plus fort ? »
A vrai dire, François Duboys avait essayé de rendre opposable à Jeanne Le Glay, la sentence de 1722, voir plus haut, à laquelle elle n’avait pas été appelée.
Le litige dura encore bien longtemps, au point que la transaction de 1763 entre les frères puis les cousins Duboys a lieu « sauf et sans préjudice de leurs droits respectifs des sieur et demoiselle Bocher qui demeurent spécialement réservés » …
Mais, en parallèle, le couple Bocher-Le Glay va poursuivre un autre contentieux ouvert dans le cadre de la succession de Sébastien Le Glay …
Le Parlement de Rennes en 1726 - après l’incendie de 1720 -
III – La succession de Sébastien Le Glay
Le décès de Sébastien Le Glay survient le 29 juillet 1725. Un différend s’élève aussitôt entre une belle-mère, Rose Gomme, veuve de Sébastien Le Glay et sa belle-fille Jeanne Le Glay, seule enfant d’un premier mariage de son mari, qui âgée de 25 ans, vient d’être majeure.
Cette partie de contentieux comprend deux volets : l’un porte sur des problèmes de droit, l’autre sur une spoliation successorale qui sera traitée sur le plan civil mais également au pénal :
A - Nous sommes en présence ici d’un vrai problème de droit résultant de deux questions précises :
1°) – Un inventaire établi par Sébastien Le Glay en 1710, soit dix ans après le décès de sa première épouse et un an après son remariage, et non déposé au greffe, conservé au domicile, suffit-il pour arrêter les effets de la communauté Dubois-Le Glay ou bien celle-ci se poursuit-elle jusqu’à son propre décès en 1725 ?
2°) - Dans cette communauté, Jeanne Le Glay a–t-elle droit à la moitié, la part de sa mère, ou seulement un sixième – soit ses droits avant la renonciation par ses deux demi-frères Tesson ? (outre également sa part dans la succession de son père) ; à qui profite la renonciation à succession ?
Sur ces deux questions, les juristes argumentent dans un sens puis dans l’autre, développent de longues considérations, font état de la coutume de Bretagne et puis des autres coutumes, d’Anjou ou de Paris, du Poitou ou d’Orléans, également de la doctrine, notamment celle d’Argentré …
L’on fait des comparaisons entre une indivision et une société, l’on cherche à distinguer la succession immobilière de celle mobilière …
B – La demande porte également sur le fait que Rose Gomme aurait volontairement « vidé » la communauté et donc la succession de son mari ; le contentieux va donc se développer avec pour motif la spoliation d’hérédité ;
Jeanne Le Glay, seule enfant du premier mariage, poursuit cette procédure ; elle est soutenue dans un premier temps par François Duboys, son tuteur, puis par Siméon Bocher, son mari ; les conclusions de son avocat, Racois, établies vers 1743 nous expliquent en majeure partie la situation ; Bocher qui s’était mis en avant dans le contentieux avec les oncles, ici n’intervient pas, du moins en direct ; il laisse la main à un avocat, mais l’argumentaire immanquablement vient de lui, nous avons vu plus haut la manière dont il s’adressait aux oncles de son épouse …
Les faits :
Le contentieux survient au décès de Sébastien Le Glay en 1725
Dès l’ouverture de la succession, Rose Gomme, la veuve, pour faire diminuer les droits de sa belle-fille, se prévaut de l’inventaire de 1710, et accorde à cette dernière un sixième de la communauté, basé donc sur l’inventaire, à l’exclusion par conséquent des acquêts postérieurs ; Jeanne Le Glay-Bocher considère l’inventaire de 1710 comme inopposable ; ses droits porteront sur la masse totale au décès, sur laquelle elle sollicite la moitié soit la part en totalité de sa mère, outre ses droits dans la succession de son père …
Il y eut un moment donné une tentative de transaction : Rose Gomme pour éviter un procès avec sa belle-fille, eut volontiers abandonné les portions que les frères Tesson étaient en droit de prétendre dans l’inventaire de 1710 qui ne se montaient ensemble qu’à 5 ou 600 livres « qu’elle eut volontiers sacrifiées pour acquérir la paix !!! » .
La procédure se déroulera malgré tout, la proposition ayant sans doute été jugée ridicule [4] …
Une sentence est rendue en la prévôté de Nantes le 29 avril 1726
Une sentence est rendue en la juridiction des « Resguaires » de Nantes le 4 mai 1726
L’une de ces sentences décide que la 1ère communauté s’est bien arrêtée par l’inventaire fait en 1710
Jeanne Le Glay fait appel par requêtes des 1er juillet 1726 et 7 janvier 1727.
Un arrêt du 7 juillet 1727 juge la continuation de la communauté au profit de Jeanne Le Glay jusqu’au décès de son père, nonobstant le prétendu inventaire de 1710.
La nullité de l’inventaire est reconnue ; Rose Gomme acquiesce l’arrêt
Il y eut aussi un arrêt du Présidial ? du 22 juillet 1727. La Cour réforme la première sentence et ordonne que la communauté s’était poursuivie jusqu’au décès
Suivra une sentence du 23 janvier 1728 sur laquelle Gomme releva appel ainsi qu’une requête sur l’arrêt du 7 juillet 1727
Puis, un arrêt du Présidial ? 28 juin 1728 avec les conclusions de La Ville Guérin
Ici on ordonne le partage conformément au précédent arrêt.
Un arrêt du 19 juillet 1728, un autre du 15 juin 1729
Il s’en suivra un appel de Rose Gomme par requête civile des 18 et 27 juillet 1728
Avec un écrit du 18 août 1729, une requête de février 1730 et un factum de xx 1730 ?
« On plaida sur cette requête civile pendant sept à huit audiences » !!
Jeanne Le Glay avait entre-temps émis des conclusions le 12 novembre 1728.
Suite à des « factum » de 1726 et 1728, un arrêt sera rendu le 14 février 1730 au rapport de M. de la Motte Jacquelot … Il semble qu’il confirme un premier arrêt du 22 juillet 1727 et juge par conséquent que Janne Leglay côté héritage de sa mère aurait la moitié dans la communauté continuée et viendrait au partage de l’autre moitié comme héritière de son père (pour un quart) … Le motif de décider fut que la renonciation des Tesson, leur portion dans la communauté, sans être à personne en particulier était demeurée dans la masse de la communauté, au passage de laquelle Janne Le Glay était fondée pour une moitié par l’effet de la continuité …
Un autre arrêt interviendra le 14 mars 1730, nous allons le retrouver plus loin …
C - Mais l’attaque allait devenir à ce moment-là plus radicale avec une action judiciaire non plus au civil comme ci-dessus, mais au pénal ; il est d’ailleurs demandé de joindre les deux actions au motif que selon un adage judiciaire « le civil suit le pénal » ; le but est ici d’obtenir outre la restitution des fonds et objets détournés, que Rose Gomme et ses enfants soient « déchus de tous droits, parts et portions qu’ils auraient pu prétendre dans la communauté et succession de feu sieur Sébastien Le Glay » ; en effet « un cohéritier qui a diverti partie d’une succession doit être privé généralement de toute la succession, et rien n’est plus juste, surtout lorsque la soustraction a été considérable » !
Les faits et actes s’établissent ainsi :
- A l’origine, décès de Urbanne Le Glay née Duboys le xx 1701
- Sébastien Le Glay son mari conserve alors la gestion de l’ensemble de la communauté
- Un inventaire de complaisance est dressé le 29 janvier 1710 à la demande de Rose Gomme, la 2ème épouse de Sébastien Le Glay
- Décès de Sébastien Le Glay le 29 juillet 1725
- Apposition des scellés le 30 juillet 1725
- Inventaire au commencement du 7 août 1725
- Continuation d’inventaire à la maison des poteries
- Demande de partage du 4 octobre 1725
- Sentence de liquidation du Présidial de Nantes du 8 mai 1728
- Arrêt de la Cour du 14 mars 1730 – confirme la sentence du 8 mai 1728
- Sentence du Présidial de Nantes du 11 mai 1730 – concerne les meubles
- Un écrit d’articulement avec comptes et défenses de la veuve Le Glay du 31 août 1730
- La veuve Le Glay procède à des ventes successives de meubles
- Sentence du Présidial du 11 janvier 1731
- Arrêt de provision du 20 juin 1731
- Inventaire de la cave de la maison du vieil hôpital du 21 décembre 1731 au 4 janvier 1732
- Décès de Magdeleine Le Glay épouse Foineau le 23 octobre 1734 laissant son mari et un enfant en bas âge
- Décès de Rose Gomme le 29 juin 1736
- Apposition des scellés le 3 juillet 1736
- Inventaire du 12 juillet 1736
- Inventaire du 21 septembre 1736
- Nouvel inventaire du 17 juin 1738
- Assignation à la Cour de la part de François Foineau et Marie Le Glay le 23 août 1740
- Requête de Jeanne Le Glay du 29 mai 1741
- Une sentence intervient le 2 septembre 1741
- Par la suite, nous avons le factum établi vers 1743 par Me Racois avocat, en faveur de Jeanne Le Glay-Bocher et déposé au présidial de Nantes
Dans cette affaire de spoliation successorale, l’avocat de Jeanne Le Glay-Bocher va essayer d’impliquer les familles Gomme et Foineau, les connaissances et amis, les employés qui auraient participé comme « complices » à une sorte de « machination », savoir :
- Renée Gomme, héritière de Elisabeth Gomme
- Louis Foineau avocat en la Cour
- Renée Jurois épouse de Me Louis Foineau
- Anne Foineau
- Ursule Foineau sœur hospitalière, supérieure depuis 1730 de la communauté d’Ancenis
- Sœur Groslier, mère supérieure de la communauté des hospitalières d’Ancenis [5]
- Pierre Burgevin [6] , Julien Le Beau [7] et Julien Le Ray [8] , capitaines de navires
- Hervé Douet [9] de Mauves-sur-Loire
- Françoise Meslet, dame des Rigaudières
- Le sieur des Rigaudières-Dachon [10]
- Marie Martineau, dame de Beauveau
- Messire de Beauveau, chevalier de Saint-Louis [11]
- Pierre Duchesne, battelier, peut-être l’acquéreur de la boutique de poeleries de la veuve Le Glay ?
- Et son épouse Marguerite Bottreau
- Michel Thibaudeau, meunier à Barbin près de Nantes
- Pierre Thibaudeau, garçon poelier
Après 1743, nous avons du mal à suivre le déroulement final de la procédure … De quelle manière a-t-elle pu cesser ? Et alors, celle-ci était-elle toujours active en 1763, lors de l’arbitrage dans la famille Duboys ? …
Nous pensons que l’action au civil aura eu des chances de progresser pour sans doute aboutir à une nouvelle et dernière ? décision arbitrale d’ordre transactionnel ; par contre, l’action au pénal a certainement dû être clôturée plus rapidement, celle dont le mode de preuve est plus « formel » ; l’avocat de Jeanne Le Glay le reconnaissait lui-même : il ne détenait que des preuves supplétives, à défaut de preuves formelles.
D – La consistance des patrimoines
Celle-ci est difficile à apprécier, car selon les documents en présence et surtout l’intérêt personnel de chacun, nous oscillons ici entre le tout et le rien !!
Dans un acte de procédure, on apprend que Sébastien n’avait aucun bien lors de son premier mariage, ainsi noté dans le contrat ; son épouse, Urbaine Dubois apporta des effets « considérables » qu’elle avait recueillie de son premier mariage Tesson ; il sut en profiter et fit fortune dans le commerce ; ayant perdu sa femme, il continua de travailler avec succès ; à son second mariage en 1709, Rose Gomme n’avait par elle-même aucun bien, ainsi noté dans le contrat ; lui s’engageait à mettre 3 000 livres dans la communauté en argent et marchandises sans compter les meubles.
Pour les partisans de la veuve Gomme-Le Glay, Jeanne Le Glay est née sans bien ; sa mère donna à Sébastien Le Glay, père commun, plus de dettes que d’effets, leur communauté ne durant que deux ans … Allant dans le même sens, pour les deux frères Duboys, les droits de Jeanne Le Glay dans la succession de sa mère auraient été de seulement 268 livres … Par la suite, la succession de Sébastien Le Glay son mari était quasiment vide ; l’inventaire de 1710 ressortait à 1 600 livres, mais celui-ci aurait été « infidèle » … Puis, au décès, en 1725, le sommaire de l’inventaire se monte à près de 60 000 livres, mais lui aussi aurait été « incomplet », et cela de deux manières avec des biens inventoriés mais non comptabilisés et surtout de nombreux biens « volatilisés » …
Les avocats relèvent les paradoxes :
- Comment s’être engagé en 1709 à verser 3 000 livres alors que l’inventaire de 1710 ne révélait que 1 600 livres !
- Est-il vraisemblable que Sébastien Le Glay n’eut rien en 1710 et qu’il soit mort riche en 1725 !
Rose Gomme, au mépris de son régime matrimonial de communauté dans les acquêts, déclare même que la richesse provient d’elle seule, du fruit de son travail, du commerce maritime géré par elle et procuré par sa famille ; elle se disait elle-même négociante ; elle ajoute encore : « il est constant qu’un poislier ne peut point faire fortune par le travail de ses mains ! »
Pour les partisans de Jeanne Le Glay, par contre, le feu sieur Le Glay, son père, avait un gros commerce sur terre et sur mer, ainsi que en plus des sommes considérables en réserve …
- Le domicile des époux Le Glay-Gomme à Nantes ?
- Une boutique de poelerie à Nantes dite « la maison des poteries » ; l’inventaire de 1725 eut lieu au domicile mais sans être poursuivit à la boutique …
- Une autre boutique à Ancenis, appartenant à Rose Gomme ? ouverte après le décès de son mari ?
- Une petite maison louée dite « du Vieil Hôpital » prisée 1 200 livres
- Une rente foncière de 30 livres par an due par la demoiselle Dubois, épouse du sieur Lenfant-Dieu [12] .
- Un sac de vieilles espèces d’or d’Espagne et du Portugal de la hauteur d’un demi-pied auquel il s’était fait une loi de ne pas toucher, « dans lequel seul devaient être du moins les 100 000 livres qu’on demande »
- Plusieurs autres sacs d’or, tant en vieilles qu’en nouvelles espèces,
- Sans parler des sacs d’argent,
- Des crédits, des factures, des pacotilles, des billets à ordre et obligations sans nombre sur différents particuliers
- Les marchandises de poéleries
- Du linge et des meubles précieux
Tout cela avait donc été diverti des inventaires de 1710 et 1725 …
- Au décès de Sébastien Le Glay, celui-ci était sur le point d’acheter et payer comptant une terre de 40 000 livres, sans toucher, disait-il lui-même, au sac d’or …
- Il faut parler aussi du commerce maritime avec 22 bateaux au moins bien différenciés, ou plutôt 27 que l’on retrouve dans la banqueroute de la veuve Le Glay en 1730, « sans parler de ceux que l’on ne connait pas … »
- Le chargement d’effets de ces bateaux, la plupart en entier, parmi eux plusieurs coffres, très petits mais si pesants que plusieurs personnes avaient peine à les remuer,
- Enfin, la cassette de la veuve …
En réalité, nous ne savons presque rien de ce commerce maritime ou fluvial, un commerce de mer mais aussi et plutôt de rivières. Les bateaux en question étaient-ils des navires destinés au cabotage [13] ou bien des gabarres chargées de remonter la Loire. Nous avons seulement connaissance de trois capitaines de navires : Pierre Burgerin, Julien Le Beau et Julien Le Ray, et d’un couple de bateliers Pierre Duchesne et Marguerite Bottreau.
Rose Gomme, veuve Le Glay, était, disait-elle, au fait du commerce ; elle savait tenir les livres ; elle avait un frère Capitaine de navires [14] et beaucoup de parents armateurs qui lui procuraient par des pacotilles des profits considérables …
Alors, la banqueroute de 1730 de Rose Gomme - qui allait décéder en 1736 - était-elle volontaire ou subie ? Nous n’avons aucunement l’état de l’actif et aussi du passif, l’ampleur de la situation …
E – la demande pécuniaire de Jeanne Le Glay, consistait alors en payer ou restituer les sommes suivantes :
- Une somme de 100 000 livres [15] divertie début août 1725, juste avant l’inventaire après le décès de Sébastien Le Glay
- Une somme de 48 074 livres liquidée et calculée au sommaire de l’inventaire,
- Les sommes portées à l’inventaire mais non liquidées ni calculées au sommaire de celui-ci
- Une somme de 10 359 livres pour effets mobiliers de l’inventaire de 1725, appréhendés par la veuve qui en était la gardienne et puis dispersés,
- Une somme de 56 250 livres pour effets divertis à l’inventaire,
Le total faisait donc 214 683 livres [16] .
- Et aussi la vente au plus offrant et dernier enchérisseur, avec encaissement des prix obtenus, des restes de la boutique de poelerie de Nantes ? saisis et arrêtés le 22 juillet 1741 chez du Chesne et épouse, les successeurs ? et depuis déposés chez Me Fourmy, notaire royal [17] .
Tout cela sous déduction d’une somme de 16 000 livres déjà reçue par Jeanne Le Glay-Bocher, ou même 18 000 livres !! sans doute basée sur l’inventaire de 1725 qui ressortait au total à 60 000 livres ! Une reconnaissance donc de sa part d’avoir déjà reçu une somme en héritage, et puis une autre reconnaissance, un aveu : on lui a fait « manger » plus de 10 000 livres en procédures (frais d’avocats) et voyages (frais de déplacements) ….
Le port de Nantes par Ozanne
Conclusion :
Avec presque trois siècles de recul, nous émettons les avis suivants :
- Les juristes de cette époque ne seraient pas les mieux placés pour éviter les procès ; bien au contraire ; peut-être étaient-ils procéduriers plus que les autres.
- Les règles juridiques de l’ancien régime ne permettaient pas de régler rapidement ces litiges ; on évoque parfois aujourd’hui la lenteur de la Justice ; mais qu’était-ce donc à l’époque.
- Dans notre droit actuel, on parle de prescription d’une action (passé un certain délai, il n’est plus possible d’agir en justice), on évoque aussi l’autorité de la chose jugée (un litige déjà réglé en justice ne peut plus être évoqué une 2ème fois) ; en fait, nous n’avons pas l’impression que ces règles existaient à l’époque de l’ancien régime ; les procès duraient sans fin, étaient renouvelés sur plusieurs générations, étaient évoqués une ou plusieurs fois devant les tribunaux…
- Les inventaires quand ils sont fidèles servent à maintenir l’équité entre les héritiers, mais quand ils sont volontairement faussés, soit par des omissions, soit par des sous-évaluations, ils sont pires que tout : ils aggravent les situations en incitant les différentes parties à camper sur leur position.
- Concernant l’attitude personnelle de chacun des intervenants, Jacques Duboys fils nous a paru très « fair-play » dans son mémoire, intellectuellement honnête avec une réelle volonté « d’en finir » et plutôt adroit dans son argumentation ; par contre Siméon Bocher a eu des propos très durs contre Jacques D mais surtout contre François D, je cite à nouveau : « on laisse à penser quelle justice sa partie pourrait espérer dans une juridiction à laquelle il préside et dont les officiers tremblent sous son joug ». Ces propos résultent d’un mémoire imprimé et sans doute distribué sur Rennes ou encore sur Nantes ; ils émanent d’un procureur qui a épousé la nièce des intéressés ; ils sont diffamants, remettent en cause le sens de la Justice et accusent même d’une pression sur les autres magistrats (concussion). Concernant François Duboys, aurait-il abusé dans ses transactions avec Jeanne Le Glay et avec Jean Duboys ; en fonction de notre droit actuel, je ne le pense sincèrement pas ; un enfant mineur est suffisamment protégé par la loi ; outre le fait qu’il a un représentant légal ou un administrateur ad hoc quand les intérêts sont les mêmes, la loi prévoit soit des interdictions (transaction avec un enfant mineur) soit des autorisations spéciales (juge des tutelles ou homologation du Tribunal) ; de plus les biens sont évalués en principe à leur juste valeur par un professionnel. Sur ces différents points, à vrai dire, nous connaissons mal les règles applicables sous l’ancien régime. Concernant la transaction avec Jean Duboys, il s’agissait en réalité d’une « donation déguisée », certainement librement et volontairement débattue entre les deux frères ; que Jacques D. prenne ombrage de cette opération, cela est tout à fait concevable, mais qu’il agisse en justice pour solliciter « sa part » et cela avant même le décès de Jean D., le vendeur/donateur, survenu en septembre 1742 ? Aujourd’hui encore, nous savons que ces donations déguisées en vente, ces « ventes gratuites », c’est à dire non payées sont dangereuses tant au niveau fiscal pour les droits de succession à payer qu’au niveau civil du fait des réclamations éventuelles des autres héritiers ; pourquoi donc Jean D. n’a-t-il pas rédigé en toute validité un testament en faveur de François D. ou en faveur de quelqu’un d’autre ? Pour faire « l’économie » des droits de succession ou encore eu égard aux autorités ecclésiastiques dont il dépendait ? Faute de pièces complémentaires, nous ne pouvons en fait conclure ce point que par des interrogations.
Par ailleurs que penser aujourd’hui de la succession Le Glay sur le plan juridique ?
Concernant l’inventaire :
Aujourd’hui, un inventaire est obligatoire dans les successions ouvertes en présence d’un enfant mineur ; nous pensons que cette règle existait déjà sous l’ancien régime.
Cet inventaire doit être réalisé dans les trois du décès – article 503 du code civil actuel – et non pas neuf ans après !!
L’inventaire doit être contradictoire, c’est-à-dire en présence du représentant du mineur, qui peut émettre des réserves ; cela évitera de lire en allégation dans un factum de 1726 que l’inventaire était infidèle, c’est-à-dire incomplet, la communauté ayant été volontairement vidé de sa substance … L’article 503 actuel précise que « si l’inventaire n’a pas été établi ou se révèle incomplet ou inexact, la personne protégée, et après son décès ses héritiers peuvent faire la preuve de la valeur et de la consistance de ses biens par tous moyens ».
Article 1253 du code de procédure civile : « Les opérations d'inventaire de biens prévues à l'article 503 du code civil sont réalisées en présence de la personne protégée, si son état de santé ou son âge le permet, de son avocat le cas échéant, ainsi que, si l'inventaire n'est pas réalisé par un officier public ou ministériel, de deux témoins majeurs qui ne sont pas au service de la personne protégée ni de la personne exerçant la mesure de protection. Cet inventaire contient une description des meubles meublants, une estimation des biens immobiliers ainsi que des biens mobiliers ayant une valeur de réalisation supérieure à 1 500 euros, la désignation des espèces en numéraire et un état des comptes bancaires, des placements et des autres valeurs mobilières. L'inventaire est daté et signé par les personnes présentes. »
Il faut ici citer un adage de droit : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » ; autrement dit, ici, le défaut d’inventaire ne pourra jamais porter tort à l’héritier mineur.
Concernant les règles de la communauté :
Ce problème de continuité ou non de la communauté à notre avis n’existe plus aujourd’hui ; continuité jusqu’à un inventaire en bonne et due forme, ou à défaut jusqu’au décès de second époux, même si celui-ci se remarie; mais peut-être était-ce là les effets de la communauté de meubles et acquêts.
Sébastien Le Glay s’est marié deux fois ; deux fois avec contrat de mariage, et à chaque fois sous un régime de communauté : contrat du 15 juin 1699 et 29 janvier 1709 ; aujourd’hui, nous conseillerions fortement le régime de la séparation de biens pour le second mariage …
Lors de la liquidation de la succession de Sébastien Le Glay, il nous faudrait aujourd’hui distinguer :
- La situation active et passive avant son premier mariage en 1699 : en biens propres du défunt
- La situation au cours du premier mariage entre 1699 et 1701 : en biens communs de la 1ère communauté
- La situation alors qu’il était veuf de 1701 à 1709 : en biens propres
- La situation au cours du second mariage en 1709 : en biens communs de la 2ème communauté.
Pour chacune de ces masses, les héritiers sont différents … soit les quatre enfants de Sébastien Le Glay, soit les trois enfants de Urbaine Dubois-Le Glay dont deux renoncent, soit Rose Gomme pour après elle ses trois enfants héritiers présomptifs.
Dans notre cas d’espèce, nous avons le sentiment qu’une seule masse, celle de la 1ère communauté se poursuit au cours du veuvage et puis du remariage pour être globalement partagée entre les différents héritiers.
L’Histoire nous apprend et nous renvoie souvent à de curieux paradoxes ; ici, nous apprendrons que Siméon Bocher et Jeanne Le Glay eurent ensemble deux filles [18] décédées toutes deux au cours de l’an V, sans postérité, laissant pour héritiers devinez qui : les enfants de René-Antoine Duboys des Sauzais, pour une partie, c’est à dire les petits-enfants de celui envers qui leur auteur avait proféré de très sérieuses calomnies ...
Yves Duboys Fresney
Le nouveau palais de justice de Nantes construit en 2000.
Notes :
[1] L’écriture des noms et prénoms est encore à cette époque très variable ; nous avons aussi bien : Leglay et Le Glay, Foineau et Foyneau, Bocher et Boscher, Dubois et Duboys mais aussi du Bois ou du Boys ; Vrillère et Vrillière, Sauzais et Saulzais … de même les prénoms : Jeanne et Janne, Urbaine et Urbanne …
[2] Louis-René Jacquelot de La Motte, baron de Campzillon, né le 24 février 1699 à Rennes (Ille-et-Vilaine) décédé le 9 janvier 1772 (inhumé le 10) à Camoël (Morbihan) conseiller de Grande Chambre au Parlement de Bretagne, vicomte de La Motte, seigneur du Gué-en-l'Isle, Kerjean, La Roche-en-Batz, La Villeneuve, Kerbilly et autres lieux.
[3] Un Joseph de Moyaire est avocat à la Cour, époux de dame Marie Bureau.
[4] A comparer aux 10 000 livres de dommages et intérêts réclamés dans la procédure par Rose Gomme « pour ses profits cessants et la perte de son crédit ».
[5] La communauté des hospitalières d’Ancenis a été fondée le 14 mai 1683, dissoute en 1774.
[6] Un Pierre Burgevin épouse à Ancenis en 1711 une Geneviève Maupoint.
Un Pierre Burgevin est capitaine négrier de la Gracieuse en 1713, de Les Deux Renés en 1739.
[7] Un Julien Le Beau est notaire royal et apostolique de la sénéchaussée de Nantes, à la résidence d’Ancenis.
Un Julien Le Beau est bourgeois, marchand droguiste (1668-1723) époux de Magdeleine Gomme.
Un Julien Le Beau est capitaine négrier de Le Jason en 1739.
[8] Julien Le Ray, capitaine de navires, né à Sainte-Marie – 44 – le 23 mars 1689, dcd en mars 1745.
[9] Herve Douet, postillon jusqu’en 1720 du relais de poste de la Barre, fils de Pierre Douet et de Claude Dupas, sans doute d’une famille de batelier-marinier, parrain de son neveu ? Hervé Guespin né à Mauves en 1707.
[10] René Dachon des Rigaudières (1696-xx) et son épouse Françoise-Perrine Mellet de la Tramblaye demeurant à Mésangé, originaire de Allonnes ?
[11] Sans doute le marquis de Beauveau, frère de l’évêque de Nantes.
[12] Sans doute Louise Dubois (1712-1795) et son époux François Lenfant-Dieu, écuyer (1706-1738) ?
[13] De l’or espagnol ou portugais fait aussi penser au long cours ou même au commerce négrier …
[14] Peut-être Benoit Gomme (1687-1727) capitaine de navire et marchand bourgeois, époux de Marie Verger
[15] 100 000 livres de 1725 représenteraient aujourd’hui 963 234,11 euros ; la valeur en 1743 serait de 1 127 655,29 euros.
[16] Soit l’équivalant de 2 420 884 euros.
[17] Me Henri Fourmy notaire à Nantes.
[18] Jeanne Magdeleine Bocher née à Rennes le 12 octobre 1731, dcd à Rennes le13 germinal an V
et Julienne Elisabeth B. née le 19 novembre 1732, dcd à Nantes le 23 Messidor an V – d’une chute -