La Famille de Jean Lorrain,

les Duval, au 19ème siècle à Fécamp,


une étude au travers des actes notariés

 

 

 

L’approche d’un homme de Lettres se réalise habituellement soit par ses écrits, soit encore par sa propre vie.

Nous allons ici élargir la recherche biographique au sens strict de Jean Lorrain par une étude tant familiale (grands-parents puis parents de l’auteur) que patrimoniale et successorale.

Pour cela les archives notariales bien évidemment nous ont révélé toutes leurs précisions ;  les actes de vente nous ont permis de suivre le propriété des biens, les inventaires de connaître les situations successorales, et puis nous terminerons par la succession de Jean Lorrain lui-même avec ses difficultés et ses surprises [1] .

 

I – Les grands-parents Duval et Mulat

 

A – Les grands-parents paternels de Jean Lorrain

 

Louis Martin Duval et Anne Françoise Christine Verdier, mariés à Saint Pierre en Port le 10 septembre 1806, domiciliés à Fécamp rue de mer, ont deux enfants :

-          Aimable Martin Duval, père de Jean Lorrain,

-          Modeste Françoise Duval qui épouse le docteur Antoine Maublanc et va habiter à Paris XIVème arrondissement 2 rue Médéale.

A la suite du décès de Louis Martin Duval survenant à Fécamp le 12 janvier 1846, son épouse et ses deux enfants réalisent un partage sous seings privés du 29 avril 1846.

Pour remplir les droits de Madame veuve Duval, celle-ci reçoit :

-          une grande maison à usage de négociant située à Fécamp rue sous le bois avec jardin et autres dépendances le tout occupé par ses enfants.

-          Une maison située à Fécamp rue de mer, son domicile pour partie et en location pour le surplus,

-          Une terre de labour de 5ha 67a et 50ca à Saint Martin du Bec

-          Une terre de labour de 2ha 55a et 37 ca à Saint Léonard.

La maison de la rue sous le bois avait été acquise par Louis Martin Duval des héritiers de Julien Guillaume Duval suivant adjudication dressée par Me Lebreton, notaire à Fécamp le 14 juillet 1832.

Madame veuve Duval possède également une petite ferme à Saint Pierre en Port avec cour, masure et labour pour 1ha et 13a, à titre de bien propre comme provenant de sa mère Marie Marguerite Pannevel, veuve de François Verdier.

A la suite du décès de Mme Verdier-Duval survenu à Fécamp en son domicile le 5 janvier 1861, un inventaire des biens est dressé – par acte de Me Gelée du 24 janvier 1861 -.  Cet inventaire se fait en présence du Juge de Paix, son greffier, de deux témoins dont Victor Ernest Banse fils, relieur, et de Me Decure, commissaire-priseur.

La prisée du mobilier de la rue de Mer se réalise de 9h à 12h et de 2h à 7h du soir, puis l’analyse des pièces et titres le lendemain de 9h à 12h 30 et de 2h à 8h du soir.

Le total de la prisée s’élève à 2 465 frs plus 6 842 frs en pièces d’or [2] ; l’analyse des titres révèle notamment :

-          une créance contre Aimable Duval de 8 000 Frs

-          des valeurs mobilières,

-          une autre créance contre Aimable Duval de 8 5582,12 frs créée en 1843 mais remboursée en 1848,

-          des comptes courants avec Aimable Duval fils,

-          une créance de 5 110 frs contre M. Hardy, ancien notaire à Ropuen,

-          une dette de petites fournitures contre François Thurin.

Par la suite, le frère et la sœur arrêtent suivant conventions amiables – acte de Me Gelée des 26, 27 et 28 janvier 1861 – un partage avec attribution des biens indivis au profit de Aimable Martin Duval et contre une soulte de 2 000 frs au profit de sa sœur ; cette soulte est réglée suivant acte de quittance de Me Gelée du 6 juin 1861 ; les biens attribués à Aimable Duval consistent en :

-          le labour de Saint Martin du Bec - revendu en 1875 -,

-          la terre de Saint Léonard,

-          les deux maisons de Fécamp, 62 et 64 rue de Mer.

Ces derniers biens sont conservés dans le patrimoine de Aimable Duval ainsi que dans celui de Paul Duval puisque vendus par adjudication à la suite du décès de ce dernier.

 

B – Les grands-parents maternels de Jean Lorrain :

 

Alexandre Hilaire Mulat décède à Fécamp en 1861, laissant :

-          Marie Louise Claudine Céleste Seret, son épouse,

-          Et ses deux enfants :

-          Henriette Elisabeth Pauline Mulat, épouse Duval,

-          Et Pierre Alexandre Mulat, ingénieur civil demeurant à Hirson –Aisne –

 


A la suite de ce décès, l’ensemble des biens reste en la possession de l’épouse survivante. Mais au décès de cette dernière survenu à Fécamp le 16 juillet 1869, il y a alors partage entre la sœur et le frère par acte de Me Bricard notaire à Fécamp du 19 septembre 1870.

Henriette reçoit :

-          des meubles, effets, linge, argenterie et bijoux pour 4 600 Frs,

-          des valeurs de bourse au porteur et créances pour 30 658,85 Frs,

-          trois parcelles de terre en nature de labour à Fécamp, lieu-dit Les prés de Saint Valéry et Côte du Canada d’une contenance de 1ha 53a et 10ca

-          terrains sur la commune de Monsures – Somme – en labours, plants et prés d’une contenance totale de 8ha 31a et 98ca,

-          terres et bois sur la commune de Rogy – Somme – d’une contenance totale de 3ha 82a et 40ca,

Certains biens restent en indivision sur les communes de Esmery-Vallon – Somme – pour 17ha 25a et 55ca et Doingt pour 2ha 87a et 42ca.

Tous ces terrains, à l’exception de ceux de Fécamp sont vendus en 1875-1876 pour un prix global de 38 547,77 Frs.

 

II – Les parents Duval

 

Le père de Jean Lorrain, Aimable Martin Duval, épouse en premières noces Léone Florestine Couillard – mariage à Fécamp en septembre 1851 – laquelle est décédée sans postérité à Fécamp le 7 février 1853 [3] ; Monsieur Duval épouse par la suite à Douains le 9 octobre 1854 Henriette Elisabeth Pauline Mulat et ils ont pour seul enfant notre Paul Duval [4] .

 

A – Suivant acte reçu par Me Gelée du 19 mars 1849, Aimable Duval, alors célibataire et déjà domicilié rue Sous le bois, achète d’une famille Dupin de Grand Pré domiciliée à Saint-Lô, un terrain situé à Fécamp rue Sous le bois de 40 acres environ, partie en côte, partie en jardin et partie en herbage avec, dit l’acte, une mise à niveau de la rue par l’extraction des pierres qu’elle contient.

Le prix d’achat fixé à 4 000 Frs est réglé à terme et la quittance en est dressée par acte de Me Gelée du 5 juillet 1849.

L’acte note que le terrain était occupé par Jacques Barube et Jouette, et l’acquéreur devait s’entendre avec l’entrepreneur du port de Fécamp pour l’enlèvement des moellons que celui-ci a extraits de la propriété.

 

B – Le contrat de mariage passé entre Aimable Duval et Henriette Mulat par acte de Me Caudron notaire à Péronne du 20 septembre 1854 nous révèle des éléments patrimoniaux intéressants :

-          le futur époux déclare apporter :

-          habits et linges, meubles et effets, y compris verrerie, faïence, porcelaine, voitures et chevaux.

-          Argenterie, pendules et deniers comptants, comptes courants et créances actives,

-          Marchandises, un grand navire alors en cours de voyage à long cours, un navire de pêche de Terre-Neuve, avec leur armement complet, objet de rechange et matériel nécessaire,

-          La nue-propriété d’un immeuble situé à Fécamp, rue Bourg Baudouin à usage de magasin, atelier, cour et dépendances.

En déduisant ce qu’il pouvait devoir, il restait net au moins une somme de 250 000 Frs.

Sur cette somme, il pouvait devoir en outre une somme de 5 000 Frs dont il avait l’usufruit au profit des héritiers de sa première femme, cette n’étant exigible qu’à son décès.

-          la future épouse déclare apporter :

-          piano, trousseau d’habits, linges et bijoux pour 2 000 Frs,

-          une dot de 40 000 Frs payable pour 12 000 Frs le jour du mariage.

 

C – Par la suite, le ménage Duval-Mulat procède à plusieurs acquisitions, savoir :

 

1) Acquisition de Madame Auguste Meurillon, née Virginie Belloncle, demeurant au château d’Emalleville, par acte de Me Caron notaire à Fécamp du 3 octobre 1855 et au prix de 9 246,27 Frs d’un terrain à usage de corderie situé chemin du Phare, loué en partie par M. Jules Joly et l’autre partie par M. Tougard, tous deux cordiers à Fécamp, d’un terrain situé sente aux matelots, d’un jardin clos de murs, le tout d’une contenance de 2ha 62a et 38ca.

 

2) Acquisition par adjudication de Me Gelée du 5 novembre 1859 et suivant cahier des charges du 24 août déposé au rang des minutes le 24 septembre, de la faillite de Benoit Léonard Edmond Frébourg, d’un grand magasin situé rue Sous le bois, derrière la Bourse, comprenant un rez de chaussée et trois étages au dessus, y compris le grenier, formant chacun une pièce – on accède aux étages supérieurs par un escalier donnant sur une allée commune avec M. Dottelonde -.

Le prix de vente s’élève à 3 500 Frs.

 

3) Acquisition de Pierre Benoit Clément suivant acte reçu par Me Bricard, notaire à Fécamp du 22 avril 1862 et suivant cahier des charges du 19 avril,

D’une maison située à Fécamp sur le port, au pied de la côte du Bourg Baudouin, consistant en « deux cuisines, une chambre, une année sur le devant laquelle est pratiquée entre les deux cuisines, une autre chambre, un grand cellier sur le derrière, le tout au rez de chaussée avec grenier au dessus, couverte en tuiles et ardoises, cour dans laquelle est un puits, jardin derrière entouré de murs.

Le prix de vente s’élève à 10 500 Frs.

Cette maison a été transformée en plusieurs logements, au nombre de sept ?

 

4) Acquisition par acte administratif du 19 juin 1863 d’une bande de terrain de 50,66 m2 par suite d’alignement au regard de la propriété, moyennant le prix de 253’30 Frs ayant servi à la construction d’un mur surmonté d’une grille.

 

5) Acquisition par adjudication de Me Clacquesin, notaire à Goderville du 3 juillet 1866 d’une pièce de terre de 1ha 22a et 33ca située côte de la Vierge.

Cette acquisition était très intéressante puisque les vendeurs étaient les héritiers de Marie Anne Victoire Thurin, propriétaire, demeurant à Bornambusc, canton de Goderville, la grand mère de Guy de Maupassant, décédée à Etretat le 3 mars 1866, veuve de M. Jean Paul François Le Poittevin ; l’adjudication était judiciaire et non amiable et a été prononcée au profit de Armand Adolphe Bellet, avec une faculté de déclarer command ; celui-ci utilisa la moitié du terrain vendu pour lui-même pour 4 500 Frs et le surplus fût déclaré au profit de Aimable Duval pour 4 500 Frs également. ; alors pourquoi avoir procédé à cette acquisition, ainsi par le biais d’une déclaration de command ? Est-ce par nécessité de subdiviser la seule parcelle à vendre entre deux amateurs du terrain, certainement amis, ou bien était-ce pour ne pas révéler au moment de l’adjudication l’identité de l’acquéreur auprès des vendeurs, comme cela arrive parfois [5] .

 

6) Acquisition de M. Louis Germain suivant acte reçu par Me Hardy, notaire à Rouen, du 30 mai 1870 et moyennant le prix de 37 000 Frs payable à terme, d’une ferme située au bas de la côte du Bourg Baudouin, de la côte de la Vierge et de la côte Saint Nicolas le tout d’une contenance de 7ha 69a et 56 ca comprenant l’emprise de l’établissement de la route du Havre à Lille, traverse de Fécamp.

Cette ferme consiste en une masure close édifiée d’une grange et de bâtiments ruraux depuis convertis en plusieurs demeures, en diverses pièces de terres et en deux fours à briques.

Ce bien était exploité par M. Duval l’acquéreur à l’exception de certains bâtiments occupés par des ouvriers cordiers (Dauboeuf).

Sur le prix, M. Duval a réglé 13 000 Frs de ses deniers et il a emprunté une somme de 24 000 Frs à un prêteur privé lequel a terminé d’être remboursé en juillet 1884.

 


III – L’armement Duval

 

Louis Martin Duval (1778-1846) puis son fils Aimable Martin Duval (1815-1886) ont été armateurs à Fécamp depuis 1839 jusque dans les années 70, pour la morue à Terre Neuve mais également pour les autres pêches, le maquereau, le hareng.

Il y eut en premier lieu un brick de 151 tx, le « Aimable Martin » du nom du fils de l’armateur, lancé en 1839 avec 17 hommes à bord et pour capitaines Ledun puis Duhamel, Besteaux et Lepelletier ; il navigua jusqu’en 1850 ; en 1841 le départ a lieu de Fécamp le 10 mars, la 1ère pêche est livrée à Saint Pierre et la 2ème à Bordeaux ; en 1842, la pêche est de 90 259 morues ou 259 145 kg et rapportera 54 240 frs. ; en 1844, la 1ère pêche est de 30 000 morues ? livrées à Saint Pierre, la 2ème de 14 000 livrées à Fécamp au retour ; en 1849, il livre 65 000 morues à Cette ; en 1850, ce navire passe au cabotage; Martin Duval est l’un des premiers à utiliser la formule d’un navire chasseur  « La Réforme » pour livrer la morue  de « Aimable Martin » et de « Pollux », en métropole dès la fin de la 1ère pêche en juin-juillet.

De 1843 à 1854, il y eut un lougre de 84 tx l « Espérance » pour la pêche aux harengs avec 14 hommes à bord et Proux et Block puis Quibbé et Duhamel comme capitaines ; en 1854, il pêche au maquereau de mars à juillet puis le hareng ; il est alors compté à 66 tx.

En 1848, Duval s’associe avec Ruffier jusqu’en 1854 pour armer un nouveau trois mâts barque, le « Pollux » de 198 tx et 18 hommes d’équipage ; le capitaine était Besteaux puis Duhamel et Argentin ; à l’automne 1854, après avoir livré une faible cargaison de 45 000 morues à Bordeaux, il embarque son sel au Croisic mais s’échoue en sortant de ce port ; renfloué après plusieurs jours d’efforts, il retourne au Croisic en fort mauvais état ; les armateurs décident alors à vendre [6] ; à partir de cette date, Duval ne pêchera plus à Terre Neuve.

Il y eut le « Florestine » en 1853 un trois mâts de 315 tx, du nom de la 1ère épouse de Martin Duval, capitaine Duhamel ; en 1854, le navire est au cabotage puis en 1855 ? au long cours ; et aussi le « Modeste » en 1854-58 de 70 tx capitaine Ledun expédié au Maquereau, le « Paul » de 79 tx du nom du fils de l’armateur et « La Réforme » cité plus haut ; plus tard, en 1866, il y aura le « Georges Paul » un trois mâts de 220 tx avec pour capitaine Roussel et le « Victoire » de 60 tx expédié à Islande capitaine Lefebvre.

Nous tenons tous ces détails de Léopold Soublin dans « Cent ans de pêche à Terre Neuve ».

 

L’armement Duval à Fécamp au 19ème siècle

 

Noms

navires

Nature

navires

tonnage

équipage

capitaines

début

Fin d’activité

Aimable Martin

Brick

151 tx

16 ou 17 h

Ledun 39-40-41-42-43-44

Duhamel 46-47-48

Besteaux 49

Lepelletier 50

1839

1850

Espérance

lougre

84tx puis 66 tx

14 h

Proux 43

Bloc

Quibbé 46

Poitevin 47

1843

1854

Florestine

Trois-mâts

317 tx

 

Duhamel 53-54

1853

1855

Georges Paul

Trois-mâts

220 tx

 

Roussel 66

1866

?

Modeste

 

70 tx

 

Ledun 58

1854

1858

Paul

 

79 tx

 

Ledun 58

?

?

Pollux

Trois-mâts

barque

198 tx

18 h

Besteaux 48

Duhamel 49-50-51

Argentin 53

1848

1854

Réforme

 

 

 

 

1850 ?

?

Victoire

 

60 tx

 

Lefebvre 66

1866

?

 

A l’occasion de cette recherche sur l’armement Duval, nous apprenons que Aimable Martin Duval ne justifiait pas son premier prénom ; il était plutôt bourru et tantôt parlait pour se mettre en colère, tantôt se taisait pour qu’on ne sache pas ce qu’il faisait.

D’autre part, le jeune Paul Duval n’a jamais été attiré par le métier de son père qui pourtant aurait voulu en faire un armateur comme lui.

 

IV - Une nouvelle résidence : « Rocheville » [7] .

 

L’évolution de la famille Duval est tout spécialement marquée dans les années 1850-1860 par la construction d’une nouvelle résidence de style Louis XIII à proximité immédiate de leur habitation pourtant restaurée.

Les plans sont dressés par l’architecte Husson du Havre.

Cette maison édifiée au milieu d’un jardin anglais, en face de la retenue des chasses, a la description suivante :

-          au sous-sol : couloir, cinq caves et caveaux, cuisine, arrière-cuisine, office, buanderie et deux petites pièces.

-          au rez de chaussée auquel on accède par un escalier extérieur : vestibule, salon, grande salle à manger, office cabinet de travail, vaste serre en fer couverte en verre faisant suite à la salle à manger et à l’office,

-          au premier étage : cinq chambres et trois cabinets de toilettes,

-          au deuxième étage : sept chambres,

-          grenier au dessus,

-          water-closet à tous les étages.

Derrière la maison : kiosque, jardins potagers, plantés d’arbres fruitiers avec petite serre.

Grande cour à côté de la maison vers l’ouest édifiée d’un bâtiment sur rue comprenant caveau, écurie et garage au rez de chaussée, au premier étage auquel on accède par un escalier extérieur sur chambres et grenier au dessus.

Au fond de la cour, un bâtiment comprenant au rez de chaussée : buanderie, poulailler, cabinet d’aisance, pigeonnier et grenier au dessus, jardins en terrasse derrière.

« Je me vois rentrer par la petite grille – une grande à côté pour les voitures – je montais jusqu’à la maison, au milieu de belles pelouses, des corbeilles remplies de fleurs. De nombreux arbres entourent l’habitation – arbre de Judée, marronniers à fleurs rouges, érables sycomore… - On entrait dans le pavillon par un perron à gauche – aujourd’hui détruit – Rien ne reste du souvenir de Jean Lorrain – hormis les boiseries, parquets et cheminées – je suis à votre disposition pour parler des nombreuses pièces, sans oublier le très joli jardin d’hiver. Que dire des sentiers qui montaient jusqu’au kiosque : cinq sentiers, desservis par des escaliers, ravissantes promenades au milieu d’une végétation différente selon les étages ; on arrivait enfin au kiosque, lieu de repos, charmant souvenir d’enfance pour moi. On trouvait à ce dernier étage un jardin, des pelouses et des arbustes à fleurs. A la suite, le début du potager qui descendait le long de la falaise tout en poussant en plein soleil. On avait des figues délicieuses, fruits et légumes… »

« Il y avait des communs, garages, volière à gauche de l’habitation, logements pour les domestiques, le tout abrité dans les arbres. »

C’est en ces termes que s’exprimait encore tout récemment Madame Pailly, née Vasse, habitante de « Rocheville » durant son enfance.

La période ne doit pas durer très longtemps puisque par acte de Me Ancel notaire à Fécamp du 2 novembre 1881, cette belle propriété est vendue à la marquise d’Héricourt de Valincourt pour un prix de 120 000 Frs.

Madame d’Héricourt va « consolider » son acquisition par d’autres achats :

-          une portion de jardin auprès de Mme Arnaud Concedieu née Clarisse Robert – acte de Me Paston du 19 juillet 1884 –

-          un terrain auprès des consorts Duval – acte de Me Paston du 28 octobre 1886 –

-          terrains en nue-propriété auprès des mêmes – par acte de Me Paston du 11 janvier 1888 – l’usufruit ayant déjà été acquis dans l’acte de 1881.

-          Terrain avec partie en cour et partie en carrière et en côte auprès de Paul Duval – acte de Me Paston du 25 juillet 1889 –

Quels sont donc les raisons précises qui ont motivé la famille Duval à revendre une partie de leurs biens dont le pavillon Louis XIII ? Cette question est à élucider [8] .

 

V – Le sort ultérieur de « Rocheville »

 

La marquise d’Héricourt, née Louise Auguste Haenel de Cronenthal, domiciliée à Paris, 89 rue du Cherche Midi, est décédée le 9 mars 1896 sans postérité laissant pour légataire M. Patrice Marie comte O’Mahony.

- Par acte de Me Ronceray du 27 octobre 1902, le comte O’Mahony vendit la propriété à Madame Gustave Vasse née Elise Crochemore ; celle-ci demeurait au 46 rue Sous le bois et son mari avait loué plusieurs jardins à M. Duval père à partir de 1878.

Cette dernière procéda à de nouvelles acquisitions :

-          24, 26 et 28 quai Guy de Maupassant, acquis conjointement avec son mari auprès de M. Julien Meyer suivant adjudication reçue par Me Auger notaire au Havre le 23 juillet 1892.

-          244, 246 et partie du 248 avenue Jean Lorrain auprès de M. et Mme Albert Coruble suivant acte de Me Ronceray du 18 juin 1906.

            Par acte de Me Hummer du 13 octobre 1937, Mme Vasse fait donation de ses biens et droits dans différents immeubles dont ceux cités plus haut à son seul fils Florentin Gustave Henri Vasse, négociant armateur.

            Par la suite, M. Vasse décède laissant ses deux filles, Mme Blanchard et Mme Pailly vendre une grande de ses biens à la Ville de Fécamp en vue de créer une école – acte du 8 décembre 1951 - [9] .

 

            VI – Le sort des autres biens de la famille Duval et la succession de Jean Lorrain.

 

            A – A la suite du décès de Aimable Martin Duval survenu à Fécamp le 2 février 1886, un inventaire est réalisé le 17 février par acte de Me Paston. La prisée est assurée par Me Delaunay, commissaire-priseur, dans la propriété située rue Sous le bois ou route de Valmont depuis 9h jusqu’à 6h du soir pour un montant total inventorié de 42 455 Frs.

            Cet inventaire est intéressant tant au niveau de la prisée que de l’analyse des pièces : il est noté au hasard des pièces, des meubles marquetés de style Louis XV ou Louis XVI, des meubles en chêne sculptés – style Henri II ? – dans le salon des tapisseries en vieux gobelins, un piano en acajou de Pleyel, des bijoux, de l’argenterie, dans la cave 550 bouteilles, aux murs de nombreuses  assiettes ou plats, quelques portraits de famille dans une chambre – celle de Mme Duval – une seule peinture à l’huile dans une autre chambre ; celle de Jean Lorrain située au rez de chaussée près de la salle à manger n’est pas inventoriée…

            L’analyse des pièces est tout aussi précieuse ; elle se fait par une continuation d’inventaire le 17 mars 1886 de 9h du matin à 6h du soir, puis le 18 mars de 9h du matin à 6h du soir, le 19 mars de 9h du matin à 6h du soir et enfin le 2 avril de 9h à 6h ; lors de ces séances, sont examinés successivement le contrat de mariage Duval-Mulat, les successions recueillies côté Duval et côté Mulat, les biens propres de M. Duval – acquisitions avant mariage – les reventes de certains biens, les contrats de locations, les contrats d’assurances, les dettes – 41 000 Frs d’obligations - .

            Jean Lorrain, seul héritier du fait de la renonciation par sa mère à ses droits – acte de Me Paston du 20 avril 1886 – procède à plusieurs ventes immobilières :

-          vente à M. Handisyde – acte du 13 mai 1886 –

-          adjudication à Alker – acte du 16 avril 1887 –

-          vente à M. Levieux – acte du 13 mai 1887 –

-          vente à MM. Cavelier et Lebourgeois – acte du 20 juillet 1888 –

-          vente à Joly – acte du 17 septembre 1888 –

-          vente à Bellet – acte du 19 septembre 1891 –

-          vente à M. Merrienne – acte du 15 septembre 1893 –

-          vente à Mme veuve Jouen – acte du 19 mai 1894 –

-          à nouveau vente à Mme veuve Jouen – acte du 21 septembre 1896 –

-          vente à Caltro – acte du 17 septembre 1902 –

-          vente à Cavelier et à la Société d’Habitation à Bon Marché – acte du 30 janvier 1903 – [10]

-          vente à M. Heude – acte du 12 août 1905 –

Ces ventes, assez nombreuses, laissent à penser que notre homme de lettres avait à cette époque besoin de revenus pour ses mondanités tant à Paris qu’à Nice.

 

B – Martin Paul Alexandre Duval dit Jean Lorrain décède à Paris 19 rue d’Armaillé, 17ème arrondissement, le 30 juin 1906.

Il y a un problème majeur dans la succession : celui de la révélation tardive de son testament.

En effet, dans un premier temps, la succession est dévolue de la façon suivante :

-          dans la ligne maternelle, Henriette Mulat, veuve de Aimable Duval, sa mère,

-                     dans la ligne paternelle : l’ensemble des membres les plus proches de la famille Duval, ceci du fait du prédécès de M. Duval père et sous réserve de l’usufruit de Mme Duval sur un tiers.

            Un généalogiste est sollicité et un tableau de dévolution est établi.

            Certains héritiers durent s’impatienter puisque le Tribunal Civil de Nice par jugement du 13 avril 1907 sur demande de 26 héritiers dont Mme Duval-Mulat contre trois autres héritiers, ordonne la licitation des biens pouvant dépendre de la succession par le ministère de Me Ronceray notaire à Fécamp.

            Un cahier des charges est dressé le 7 juin 1907 ; l’adjudication a lieu le 30 juillet 1907 à l’hôtel de ville de Fécamp, avec publicité dans le Journal de Fécamp du 7 juillet et dans le Mémorial Cauchois du 14 juillet.

            Vingt deux lots sont constitués ; un plan des terrains de la côte de la Vierge est dressé par M. Nordet, géomètre à Fécamp :

-          1er lot : les terres d’Yport et de Saint-Léonard sont rachetées par Mme Duval pour 2 000 Frs – et revendues le 25 mars 1908 par adjudication à Gabriel Edouard –

-          2ème lot : les maisons 62 et 64 rue de Mer sont vendues à Gustave Sante pour 5 200 Frs.

-          3ème lot : la propriété 22 quai Guy de Maupassant à Alexandre Joly pour 17 100 Frs. Ce lot numéro 3 qui constituait donc le dernier domicile de la famille Duval à Fécamp a été ensuite revendu le 6 mars 1922 à M. Jules Piot puis le 14 janvier 1963 à la Ville de Fécamp en vue de créer l’Ecole d’Apprentissage Maritime.

-          4ème lot : propriété 6 et 8 quai Guy de Maupassant à Louis Duhamel,

-          20ème lot : corderie route du Phare à Louise Levacher veuve Tougard pour 13 000 Frs,

-          Les autres lots – 5 à 19 et 21, 22 – sont invendus.

Ce même 7 juin 1907, un autre cahier des charges est dressé pour la vente des droits d’auteurs de Jean Lorrain – lot 23 – et pour la vente des droits résultant du legs Grasset – lot 24 -. Pour le lot 23, la mise à prix de 10 000 Frs est simplement couverte par Mme Mulat-Duval ; le lot 24 avec une mise à prix de 100 Frs est adjugé pour 20 100 Frs à M. Eloi Clain, administrateur d’immeubles demeurant à Paris 50 rue de la Chaussée d’Antin.

L’adjudication est émaillé malgré tout de difficultés :

-          le testament Grasset – à Jean Lorrain deux cent mille francs et mon pavillon de Saint Germain tout meublé – est attaqué au tribunal.

-          L’éditeur Arthème Fayard 78 boulevard Saint Michel à Paris réclame contre un versement fait le 20 septembre 1905 à Jean Lorrain de 5 000 Frs, la faculté promise de reproduire deux romans déjà publiés, les titres étant à discuter.

-          Les lots d’immeubles invendus sur la côte de la Vierge sont remis en vente le 12 novembre 1907 lors d’une nouvelle adjudication avec baisse de mise à prix. Pour y advenir, un nouveau jugement est obtenu le 5 août 1907 auprès du Tribunal Civil de Nice ; les mises à prix sont réduites de moitié avec faculté de réduire à nouveau ainsi que de réunir des lots.

Les annonces paraissent dans le Journal de Fécamp du 20 octobre 1907 ; l’adjudication a lieu cette fois en l’étude de Me Ronceray ; un nouveau plan des lots est établi par M. Plichet géomètre.

Les lots 5 à 14 ont été réunis et adjugés pour 14 200 Frs à François Godard, entrepreneur au Havre ; ce sont des « terrains en labour propre à bâtir » ; ils avaient été adjugés provisoirement et par lot à Charles Pollet, ancien généalogiste rue Arquaise, à Eugène Moré quincaillier rue Jacques Huet, à Charles Allais entrepreneur de maçonnerie rue de l’Aumône, à Emile Loisel entrepreneur de travaux rue de Giverville, à Robert Holl négociant en charbons rue Vicomté…

Les mises à prix initiales s’étalaient de 1 000 Frs à 7 000 Frs par lot ; les terrains faisaient en moyenne 3 000 m2 de surface ; ils étaient occupés soit par Mme veuve Robert soit par M. Lanctuit.

Les lots 15 et 16 ont été réunis et adjugés pour 4 500 Frs à Jules Bajard armateur Grand Quai et Marie Bajard, veuve de Florentin Bénard.

Les lots 17 et 18 ont été réunis et adjugés pour 4 500 Frs à Emile Loisel.

Le lot 19 – corderie et jardin – est adjugé pour 7 500 Frs à Alexandre Joly armateur Grand Quai pour partie et à Gustave Bellet armateur quai Guy de Maupassant pour l’autre partie – mise à prix initiale 15 000 Frs - .

Le lot 21 - labour – est adjugé pour 3 850 Frs à Louise Levacher veuve de Pascale Tougard, armateur 100 quai Guy de Maupassant – mise à prix initiale 3 000 Frs - .

Le lot 22 – jardin clos de murs et planté d’arbres fruitiers – est adjugé pour 2 900 Frs à Benoit Dumont propriétaire 38 rue de Mer – mise à prix initiale 2 000 Frs - .

L’ensemble des lots devait donc produire une somme totale de 150 950 Frs alors que les mises à prix s’élevaient globalement à 126 300 Frs.

Il y eut une certaine déception sans doute dans la réalisation de ces ventes, dans ce « premier lotissement » de la côte de la Vierge, au profit certainement des adjudicataires et surtout de François Godard dont les héritiers devaient plus tard se regrouper en une société civile immobilière ; déception aussi pour les droits d’auteur qui n’ont pas vraiment connu le « feu des enchères », la consolation étant toutefois que ceux-ci restaient dans la famille.

Les prix étaient payables dans les quatre mois de l’adjudication ; sur la première adjudication du 30 juillet, les prix ont dû être encaissés au plus tard le 30 novembre suivant ; et à ce sujet, nous souhaitons pour le notaire Me Ronceray – mais cela n’a pas pu être vérifié – qu’aie pas procédé à un premier versement de ces prix aux héritiers et qu’il aie attendu les autres prix à encaisser au plus tard début mars 1908, car événement très important et rarissime : en décembre 1907, soit près de 18 mois après le décès, un testament est découvert dans l’appartement de Nice.

Celui-ci daté à Fécamp du 2 avril 1886 avait été rédigé sans doute sur les conseils de Me Ronceray lors de l’inventaire après le décès de son père ; il institue Mme Mulat-Duval sa mère pour légataire universelle ; la ligne paternelle est donc évincée par cette disposition ; le testament est déposé au rang des minutes d’un notaire de Nice puis de Me Ronceray – acte du 8 janvier 1908 - ; un nouvel acte de notoriété est établi le 8 janvier 1908 – l’ancien, erroné donc, était du 3 décembre 1906 - .

Voici brossé à grands traits un passage de la vie fécampoise, celui de la famille Duval et de son patrimoine. D’origine sans doute rurale, cette famille par son activité dans le négoce et dans la pêche, et par ses placements, a pu se constituer un solide patrimoine avec les deux résidences dont nous avons parlé, et avec plus de dix hectares de terrains situés sur la côte de la Vierge ; ces terrains sont aujourd’hui totalement construits ; ils bordent l’avenue Jean Lorrain ou le Chemin Martin Duval [11] , ceci en mémoire des origines foncières que nous venons de rappeler.

 

 

                                                                                  Yves Duboys Fresney

                                                                                   - reproduction interdite -

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans « Les Annales du Patrimoine de Fécamp », revue de l’association Fécamp Terre-Neuve numéro 3 - année 1996 - et complété depuis.

 

 

 

Sources :

- archives notariales de Mes Gelée, Paston et Ronceray, notaires à Fécamp

- Cent ans de pêche à Terre-Neuve par Léopold Soublin

- Georges Normandy

 

Notes :



[1]  L’auteur prie le lecteur de bien vouloir l’excuser de la technicité de certains passages avec des termes et des tournures couramment utilisés à titre professionnel.

[2]   Pour mieux comprendre l’ensemble des chiffres cités dans le présent article, nous indiquons ci-après les équivalences avec le franc de 2000 – source Quid 1995 - :

-          1 fr de 1840 valait fin 1992 21,69 frs

-          1 fr de 1860 valait fin 1992 19,19 frs

-          1 fr de 1880 valait fin 1992 20,42 frs

-          1 fr de 1900 valait fin 1992 18,34 frs

[3]  Par le premier mariage de son père avec Léone Couillard, Jean Lorrain se trouvait certainement en parenté avec Alexandre Le Grand qui avait épousé en 1852 Léonie fille de Eugéne Armand Couillard. Peut-être doit-on y voir là les raisons d’un certain ménagement de notre auteur à l’égard de la famille du fondateur de la liqueur « Bénédictine », lui habituellement si caustique avec les fécampois.

[4]  Sans vouloir lancer un nouveau débat sur le lieu exact de naissance d’un homme de lettres, nous signalons que la naissance de Jean Lorrain est habituellement donnée au n°22 de la rue Sous le Bois ; toutefois Georges Normandy situe le lieu de naissance au n° 108, à l’endroit même où était né son père, dans l’axe de la passerelle – Botton -, en une longue maison à un étage, bâtisse bien cauchoise, faite en briques rouges et silex à joints bancs apparents ; cet immeuble n’existe plus aujourd’hui, il a été remplacé par un ensemble collectif dénommé sans doute par pur hasard la « Résidence Guy de Maupassant ».

[5]  Adolphe Bellet a également été l’un des témoins lors de l’établissement de l’acte de naissance de Jean Lorrain à l’état-civil.

[6]  Il sera vendu en 1856 à François Lemoine de Saint-Malo où il sera inscrit et pêchera jusqu’en 1879.

[7]  Le nom de « Rocheville » donné à la propriété est semble-t-il d’origine inconnue ; on parlera aussi plus tard du « Château Vasse »

[8] La famille Duval va retourner habiter au 22 rue Sous le Bois, après avoir bénéficié des services d’architecture et de décoration du père de André Paul Leroux – source G. Normandy -

[9]  Une première partie – 224 et 246 de l’avenue avait été vendue le 18 octobre 1938 à Oscar Arcangioli ; par la suite un terrain route du Phare à la société « Les Beaux Sites ».

[10]  La Société d’Habitation à Bon Marché est à l’origine de la création de la rue du Trou au Chien et de la Cité de la Ville.

[11]  L’avenue Jean Lorrain a été dénommée ainsi à la suite d’un conseil municipal de 1927 ; de même le chemin Martin Duval ultérieurement.