Le paysage bâti
L’homme tient le paysage qui l’entoure à sa disposition depuis l’origine ; il l’a modelé, transformé, utilisé à sa façon pour le livrer aujourd’hui tel que nous le voyons avec ses forces et puis ses quelques faiblesses.
Le paysage naturel présente d’une façon générale une évolution, une histoire, qui n’a pas toujours été de tout repos ; après les grands défrichements, les terrains cultivables se sont orientés essentiellement vers les grandes plaines ou openfield et autrement vers les bocages ; les forêts ont présenté plus de stabilité avec notamment les forêts royales devenues domaniales, encore que depuis Colbert il y soit organisé une véritable culture des arbres, en remplaçant la forêt primaire par une futaie régulière composée souvent d’une seule espèce par parcelle.
Le paysage urbain a été totalement fabriqué par l’homme dès la création par ce dernier d’un habitat groupé en hameaux, villages et villes, où l’on voit beaucoup de belles réalisations mais également parfois des erreurs : erreur dans le choix de destruction ou de réhabilitation, erreur dans l’insertion d’un style nouveau qui ou bien n’est pas beau en soi ou bien se juxtapose mal avec les éléments préexistants ; l’objectif final n’est-il pas d’une part l’harmonie individuelle mais également l’harmonie générale, celle perçue aux yeux des habitants mais encore de tous les passants, pour avoir donc un regard d’ensemble agréable sur toutes ces constructions ou groupes de constructions qui assurent notre logement au quotidien.
Nous aborderons cette rapide étude de notre paysage bâti au niveau successivement de l’implantation, la forme et les couleurs, puis de la juxtaposition et des accessoires des différents éléments qui le composent .
I – L’implantation des constructions
Sur des terrains vierges destinés à la construction, le dessin proposé va fixer le sort des lieux pour plusieurs siècles ; alors le travail d’affectation et de découpage est d’une grande importance ; il doit répondre à plusieurs objectifs : la demande du propriétaire, donneur d’ordre, mais aussi la considération sous-jacente des futurs utilisateurs des lieux, les impératifs de la collectivité, le respect de la loi d’urbanisme et enfin les contraintes financières.
Il a tout d’abord été créé des zonages les uns pour l’habitat collectif et puis les autres pour l’habitat individuel et alors des ségrégations sont apparues, résultat de la politique d’urbanisme des années 1960-1980 ; l’on préfère aujourd’hui parler de mixité ou de diversité tant en ce qui concerne les logements que les habitants.
La voirie : aujourd’hui, on regrette un peu les voiries intérieures des lotissements car s’il y a cohérence avec le lotissement lui-même, ce n’est pas toujours le cas avec le surplus des secteurs environnants ; comment traiter aujourd’hui toutes ces voies sans trottoir, ces impasses, ces colimaçons, ces cercles de retournement encombrés par le stationnement des riverains…
Le choix d’accolement ou de dissociation des constructions : depuis toujours, les maisons se construisaient « côte à côte » le long des routes ; les jardins se situaient à l’arrière de chacune d’entre elles, avec parfois des servitudes de passage pour rejoindre la voirie sans avoir à passer par l’intérieur des habitations ; depuis, des variantes sont apparues avec des règles de prospect, des servitudes publiques de recul dans l’alignement des constructions, avec l’introduction des véhicules dans les propriétés privées par des porches ou des garages, enfin avec le souhait d’indépendance, de faire le tour de sa maison ; ce sera l’époque des lotissements urbains qui feront « tache d’huile » tout autour des centres urbains.
Le tracé parcellaire : les parcelles sont souvent identiques de l’ordre de 1 000 M2, au point que les prix sont souvent annoncés au M2 et non pas à la surface totale ; ce parcellaire uniforme engendre la monotonie. Le positionnement face à la route est rarement évité ; là encore il y eut peu d’imagination et de personnalisation des lots. L’architecture imposée dans certains lotissements paraissait utile pour éviter les disparités, mais quand les budgets étaient quasi-identiques, alors les maisons l’étaient également . Malgré les différentes possibilités théoriques, on retrouve souvent le très habituel pavillon sur motte avec un sous-sol semi ou faussement enterré.
II - La forme des constructions, la toiture.
Concernant la forme générale, nous sommes passés par des périodes successives opposées entre l’étirement des constructions – maisons de lotissement de plain-pied ou collectifs en barre – et puis l’élévation – maisons jointives à étage et immeubles de grande hauteur – Les périodes des grands lotissements nous ont incités à l’étalement, à la tâche d’huile, la dernière loi applicable, dite loi SRU nous rappelle clairement au resserrement et à la hauteur.
Autres points touchant la forme individuelle : ce sont les règles de prospect – article R. 111-18 du code de l’urbanisme – et puis les règles harmoniques – les ratios entre les différentes dimensions, avec parfois utilisé le nombre d’or, etc … -
Concernant la pente des toits, nous avons selon les cas adopté plusieurs sortes : ceux à pente supérieure à 45°, ceux à pente inférieure à 45°, les monopentes et puis les toits plats.
- Le 45° minimal de pente de toit est la règle retenue et imposée par les Monuments Historiques pour les secteurs qui les concernent ; avec donc un toit à deux pentes ou à quatre pentes pour les pavillonnaires, nous avons une base commune finalement assez traditionnelle ; hélas, nous avons désormais le sentiment que les avis changent ; selon l’avis de l’architecte des bâtiments de France ou ABF, selon son goût pour la modernité, il lui arrive d’accepter dans son champ d’action, l’architecture moderne à toit plat.
- Dans les secteurs appelés diffus, les pentes de toit ne sont pas imposées, elles seront alors inférieures à 45° ; le coût est ainsi moins élevé au niveau de la charpente et puis de la surface de couverture ; cela devient idéal pour les constructions sans étage, de plain-pied ; et puis dans le Midi, la tuile canal correspond parfaitement à cette situation.
- Les mono-pentes ont été autorisés dans les années 1960-1970 pour encore diminuer le coût avec souvent l’ondulé-fibrociment comme élément de couverture ; ce système que l’on retrouve encore pour les garages a été vite condamné pour manque d’esthétique et puis il y avait la teneur en amiante…
- Le toit plat correspond parfaitement aux constructions modernes ; le traitement des eaux de pluies peut désormais se faire par évaporation sur des produits parfaitement étanches, sans passer par des pentes de ruissellement ; le constructeur s’y retrouve, le maître de l’ouvrage également mais hélas pas toujours l’esthétique…
Les Romains connaissaient déjà le toit plat, mais ils l’accompagnaient d’un acrotère ou d’une balustrade de style ; aujourd’hui, nous avons affaire purement et simplement à un cube percé d’ouvrants ; comment l’améliorer et surtout comment l’intégrer dans une zone de constructions à toits de pentes ; à ce choc-là, s’ajoute parfois celui des couleurs ; alors faute de goût, allez-vous penser : pas forcément plutôt faute de juxtaposition des styles ; le moderne ne doit pas être décrié de la sorte pour aboutir à la nième querelle des anciens et des modernes ; le moderne doit trouver sa place ; il la trouve très naturellement au sein des villes ou quartiers nouveaux, mais malheureusement il ne veut pas être seulement relégué dans les périphéries ; alors nous proposons deux solutions pour lui : soit créer des secteurs réservés de constructions à toit plat, soit imposer entre les différentes constructions un rideau de verdure plus haut que les constructions elles même ; il ne faut pas que l’œil du passant aille directement d’un point contrasté à un autre, il faut passer par une étape visuelle intermédiaire faite d’un lien connu et constant, la verdure.
Dans toutes ces zones de constructions groupées, nous ne connaissons pas assez les arbres fastigiés dont le port est resserré ; ils montent en hauteur mais ne se développent pas en largeur ; nous connaissons déjà le peuplier, le cyprès d’Italie mais il y en a beaucoup d’autres chez les conifères, les chênes ou les hêtres, etc … Nous avons là des arbres d’alignement et de ville qui correspondent parfaitement à la situation ; nous pensons que dans un environnement de verdure à étage élevé, de vrais arbres et non pas une simple haie, le choc des toitures et des styles se passerait beaucoup mieux…
Sauf dans les cas de constructions jointives en continu, l’accompagnement arborescent est toujours intéressant ; comparez entre deux maisons à peu près identiques ; l’une d’entre elles est accompagnée depuis sa construction d’un cèdre ou un platane ou autres espèces d’arbres dits de parc, planté soit sur le plan avant en bordure de route, soit sur le plan arrière dans la cour ; celle-ci dégage plus de classe ; ce constat pourrait assez facilement être généralisé …
III - Les couleurs pratiquées
Les couleurs sont également importantes, couleurs des toits et puis des façades ; le sud et l’est de la France sont couverts en tuiles, le grand ouest en ardoises, le cœur des grandes villes étant en zinc ; le chaume est très ponctuel, par contre les produits synthétiques ou assimilés prennent de l’ampleur ; la France est donc divisée en plusieurs grandes zones qu’il y a lieu de respecter ; l’arrivée en dessus d’un village ou d’une ville est souvent la première image remarquable, celle que l’on retient, celle des cartes postales ; il serait dommage de gâcher cette vue par une tâche ; et pourtant, il y en a …
La couleur des façades a toujours été discrète, dans les tons clairs, comme cela est souvent indiqué dans les règlements d’urbanisme ou de lotissement ; le crépis de ciment non peint est à proscrire; on le voit souvent dans l’attente tardive de la peinture ; le crépis fait à la chaux est à nouveau et de plus en plus employé, souvent à bon escient; mais désormais, on aperçoit des maisons de couleurs, d’abord pastel puis franchement vives ; les Monuments Historiques ont été les premiers a accepter ainsi la diversité avec les couleurs des maisons à colombages dans les centres anciens, couleur soit des colombages soit des hourdis …
Un rappel concernant les changements de couleurs : les changements concernant les devantures commerciales sont expressément visés par les déclarations de travaux ; de même toutes les modifications de l’aspect extérieur ; les autres cas sont susceptibles d’appréciation, sous réserve des contraintes provenant des réglementations locales et des secteurs Monuments Historiques.
III - La juxtaposition ou superposition des éléments
Depuis toujours, les bâtisseurs ont sans arrière-pensée soit démoli, soit juxtaposé soit superposé plusieurs périodes et plusieurs styles de construction ; avec le temps, les contrastes diminuent, les couleurs passent, les matériaux se patinent ; et d’ailleurs, les historiens de l’art se font fort de décrypter les périodes et les styles qui au final ne sont plus que des variantes, le plus bel exemple étant sur ce point le palais du Louvre.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics veulent éviter les contrastes, au moins par principe et au moins pour les situations exagérées.
Art. R. 111-27 – ex R. 111-21 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. »
Ce texte est très difficile à appliquer et fait l’objet d’un contentieux abondant ; qu’est-ce qu’un projet de nature à porter atteinte ? … Pour quelles raisons porte-t-il atteinte ? …. Le texte est éminemment subjectif ; il est pour les juristes difficile à appliquer ; et pour le juge, il ne suffit pas de décider, il faut aussi motiver…
IV – Les accessoires, les points de détail
Quelques éléments accessoires à la construction perturbent l’œil …
Les garages : rien de pire que de transformer une ancienne boutique de village par une porte de garage ; on a souvent construit des garages pour au final laisser tout de même les véhicules dehors ; cela est plus rapide … et dans de nombreux cas le garage devient grenier …
Les vérandas constituent un complément très intéressant pour une habitation ; elles sont très à la mode mais malheureusement parfois s’insèrent mal par rapport à la construction principale préexistante,
Les volets roulants avec coffrets extérieurs : ils sont affreux, même les plus discrets
Les antennes de toit ou de fenêtre, qu’elles soient de forme rateau ou parabolique ; les connexions herziennes sont devenues une nécessité de la vie, parfois impérieuse …
Les panneaux solaires incorporés au toit ; malheureusement, ils ne se fondent pas dans la toiture , au point que les Monuments Historiques les refusent dans leur zone de compétence, ce qui en soi est parfaitement illogique ; des progrès d’esthétique sont à faire ; les tuiles solaires passent mieux, de même les tapis solaires ..
Les ferronneries, appuis et balustres souvent ne correspondent ni au style voulu pour la maison ni à l’environnement et aux autres maisons voisines,
L’usage du polychlorure de vinyle ou PVC : un débat existe actuellement sur la qualité de ce produit au niveau de sa durabilité, son recyclage et sa résistance au feu ; d’ores et déjà, les Monuments Historiques les refusent dans leur zone de compétence,
Attention aux menuiseries standard posées sur un bâti ancien aucunement normalisé ; aussi aux changements d’huisseries faits sur catalogue ; et puis, rappelez-vous, les linteaux des ouvrants quand ils sont cintrés exigent une menuiserie également cintrée, ayant bien évidemment la même courbure ;
Attention aux enduits et peintures de façades qui engendrent très rapidement des salissures, aux superpositions de briques d’origines différentes, aux joints qui doivent toujours restés discrets, c’est à dire en creux – etc…
En guise de conclusion, nous devons être et continuer à être vigilant pour le paysage :
- vigilant lors de nos promenades ou rencontres, à faire le plus souvent possible et y avoir toujours l’œil critique, se souvenir et comparer,
- également vigilance à l’égard de toutes les réglementations qui concerneraient le paysage : par exemple la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au Patrimoine ou LCAP [1] , ou encore les décrets d’application [2] de la loi sur la transition énergétique [3] qui impose la mise en œuvre d’une isolation thermique par l’extérieur à l’occasion de travaux importants de rénovation de façade ; attention à ce dernier point dont on parlera sans aucun doute à l’avenir …
L’homme a su d’une façon générale réaliser autour de lui un assez beau paysage bâti, pour preuve et témoignage cette très belle émission télévisée « Des Racines et des Ailes », mais avec toutefois certaines réserves :
- il l’a fait surtout en tant que maître de l’ouvrage et non en tant que observateur extérieur, témoin ou passant,
- il n’a pas toujours fait les bons choix esthétiques ; or l’esthétique ne se légifère pas, elle s’apprend, notamment par l’intermédiaire des professionnels …
- L’aspect financier doit aussi être évoqué comme non négligeable avec cette grande question doctrinale : « Le Beau coûte-t-il plus Cher ? ».
L’éducation des futurs maîtres d’ouvrage est donc nécessaire grâce notamment à l’éthique des architectes, artisans et entreprises qui réhabilitent et exécutent conformément à la demande ; le préalable nécessaire étant d’avoir reçu des conseils avisés et compétents pour donc un certain bon goût et un certain bon choix .
Le paysage bâti a été créé ou façonné depuis longtemps par l’homme pour lui-même ; parfois, il a préféré réhabiliter, agrandir, surélever, parfois il a préféré construire ou reconstruire après destruction ; ses goûts sont personnels, donc évidemment variables, pouvant aller du traditionnel au moderne ; il créé ses modifications ou ses nouveautés là il a eu envie de les voir, selon son propre projet et en fonction tout de même des dispositions d’urbanisme applicables ; le témoin-passant, lui, celui qui lèvera les yeux sur la nouvelle réalisation, n’a rien à voir avec le cycle de fabrication ; et pourtant, il aura pendant de nombreuses années à supporter en bien ou en mal le résultat de l’opération .
Donc vigilance à tous, les maîtres de l’ouvrage et puis tous les autres, les conseils, les exécutants et aussi les pouvoirs publics ainsi que les associations concernées ; de notre confiance en nous-même et puis entre nous, dépendra l’avenir du paysage bâti en France.
Yves Duboys Fresney
Août 2016