Le code télégraphique entre l’armateur LEMOINE et ses capitaines avec quelques observations sur la pratique de la pêche à Terre-Neuve
Les archives de l’armement de Anatole LEMOINE, conservées pour la seule année 1889, celle de son décès, nous révèlent l’existence d’un code télégraphique qui devait être utilisé dans la messagerie tenue entre l’armateur basé à Saint Malo et ses capitaines en campagne de pêche dans les baies du French Shore à Terre-Neuve ; les navires, de passage à Plaisance, à Saint Pierre, àSaint Georges ou à tout autre endroit pourvu d’un poste télégraphique pouvaient ainsi transmettre à l’armateur des informations par exemple sur les résultats de pêche, les pertes, les approvisionnements nécessaires, le temps qu’il fait, les bureaux de Saint Malo retransmettant de leur côté des instructions sur la coordination avec les autres navires de l’armement ou sur le trajet à prendre pour le retour…
Les renseignements transmis devant pour la plupart rester secrets, par exemple les lieux de pêche ou les quantités pêchées, il était donc fait usage d’un code spécial dont seuls l’émetteur et le destinataire détenaient la clé nécessaire à la traduction et à la compréhension.
Les messages sont soit interrogatifs, soit affirmatifs ; ils émanent soit le l’armateur qui s’informe, répond ou décide, soit des lieux de pêche avec sur place le gérant des établissements à terre ou les capitaines des navires qui demandent et reçoivent les instructions concernant le négoce ou la campagne de pêche.
Tout d’abord, le code contient plusieurs sous-parties : ACHATS – BANC – BOETTES – GOLFE – PERTES – MORUES ET HUILES – EXPEDITIONS – DIVERS – Le système consiste à utiliser les différents mots d’un dictionnaire de français à commencer par ABAISSANT, ABAISSER, ABAISSEUR, ABAJOUR etc pour appliquer à chacun, un message particulier relatif au monde de la pêche : les messages relatifs aux achats, au banc et aux boettes correspondent à des mots commençant par A puis B ; avec les messages relatifs au Golfe, les mots commencent par G (gaulois, gabarrit etc…); avec les pertes, les mots commencent par P (pacage, pacha etc…); avec les morues et huiles, les mots commencent par M (macabre, macadam etc…); avec les expéditions, les mots commencent par E (ébats, ébattement etc…) et enfin avec les divers, les mots commencent par D (dague, daigner etc…).
La conversation apparente et donc arbitraire devait ressembler à un charabia totalement inexploitable par les armateurs ou capitaines concurrents, dont hélas nous n’avons pas d’exemples concrets ; par contre, il nous ait apparu intéressant de faire ressortir et d’étudier la base des vrais messages transmis, les principes de la conversation réelle, pour mieux comprendre les pratiques utilisées en 1889 pour la pêche ou le négoce de la morue.
Concernant les ACHATS : 1er message : achetez morue sèche à 10 f le quintal
puis achetez à 11 f, achetez à 12 f, 13 f jusqu’à 30f
La morue sèche est une morue salée qui fait l’objet sur place d’un certain nombre d’opérations en vue de son séchage et de sa conservation jusqu’à son retour et sa consommation en France.
L’écart de prix va de 10 f minimum à 30 f maximum le quintal
- achetez morue verte à 6 f le quintal, jusqu’à 23f
La morue verte est une morue salée mais non séchée.
Les extrêmes vont ici de 6 f à 23 f ; la morue verte est moins chère que la morue sèche qui est un produit plus fini, avec les nombreuses manipulations de séchage réalisées sur les côtes par les graviers. L’écart de prix entre ces deux marchandises serait de l’ordre de 30 à 40 %.
- achetez 100 quintaux de morue, jusqu’à 10 000 quintaux
Ici une précision donnée par le code : Pour le prix voir précédemment en télégraphiant le mot désignant le prix auquel il faudra acheter devra suivre le mot fixant la quantité de quintaux et il m’indiquera si c’est de la morue verte ou sèche : exemple « Abord-Able » désigne d’acheter 300 quintaux morue verte à 14 f : autre exemple « Abord-Abatage » désigne d’acheter 300 quintaux morue sèche à 20 f.
- achetez de l’huile de morue à 50 f la barrique, jusqu’à 150 f
- achetez 25 barriques d’huiles, jusqu’à 500 barriques
Nouvelle précision : même emploi que pour les morues ci-dessus.
- achetez des rogues à 20 f le baril, jusqu’à 31 f
- achetez 25 barils de rogues, jusqu’à 500.
- achetez des avirons de 14 pieds, jusqu’à 20 pieds.
- achetez des avirons de 9 pieds dits avirons de dorys.
Les doris avaient tous des avirons d’une longueur précise de 9 pieds soit X cm ; les autres avirons plus longs étaient destinés aux autres embarcations : les chaloupes , les waris, canots, capelannier etc …
- achetez 40 avirons, jusqu’à 300.
- faut-il acheter de la morue sèche
- faut-il acheter de la morue verte
- des huiles
- des rogues
- de la farine
- du beurre
- de l’encornet pour le printemps
- des avirons
- combien avez-vous acheté de quintaux de morue verte
- combien avez-vous acheté de quintaux de morue sèche
- cessez l’achat de morue verte
- cessez l’achat de morue sèche
Tous ces messages concernent en fait le négoce sur les lieux de pêche, là où les produits devaient être moins chers qu’en France ; quelques uns concernent l’approvisionnement nécessaire
Concernant le BANC :
- estime 5000 morues jusqu’à 60 000 morues devant peser 100 qx jusqu’à 1200 qx du banquereau.
Le poids de la morue sur ce banc est donc de 1,1 kg en moyenne
- Estime 10000 jusqu’à 75 000 du Grand Banc devant peser 330 quintaux jusqu’à 2600 qx
Ici, le poids est plus important : 1,8 à 1,9 kg en moyenne
Concernant la BOETTE :
hareng ou capelan suivant saison :
- le baril vaut 2 f jusqu’à 21 f.
- l’encornet vaut 0,75f le cent, jusqu’à 7,50 f le cent.
La boette était importante et indispensable pour réaliser une bonne pêche : l’écart possible de prix, allant de 1 à 10 était aussi très important
- X partit avec 100 f de boette, jusqu’à 3000 f.
- La pêche moyenne est de 200 quintaux, jusqu’à 3000 quintaux
- Le première pêche des goélettes est mauvaise, passable, bonne ou très bonne
- La deuxième pêche est …
- La troisième pêche est …
Trois pêches successives donc pour les goélettes avec des boettes différentes : le hareng en 1ère pêche, le capelan en 2ème pêche et souvent l’encornet en 3ème pêche ; parfois des lieux de pêche différents selon le recul des glaces, selon la présence ou non de la morue
- La pêche générale des goélettes est …
- La pêche générale des navires est …
L’on distingue ici les navires des goelettes ; il s’agit certainement des trois-mâts qui étaient destinés plus à la pêche aux bancs, les goélettes pêchant plus volontiers à la côte
- Jusqu’ici la pêche du banquereau est …
- Jusqu’ici la pêche au nord du Grand Banc est …
- Jusqu’ici la pêche au sud du Grand Banc est …
Une distinction est donc faite pour les navires destinés aux bancs, les banquais, entre le banquereau, le nord et le sud du grand banc ; ces localisations devaient être habituelles pour l’armement
- Banquais sont tous partis
Concernant le GOLFE : il s’agit du golfe du Saint-Laurent, c’est à dire de la pêche à la côte sur la côte ouest de Terre-Neuve, le French-shore.
- a été pêché 50 barils de hareng jusqu’à 1000 barils
- Il n’y a pas de hareng au Golfe
- La capelan manque au Golfe
- Faut-il envoyer de l’encornet au Golfe et combien
- Votre gérant avise boette lui manque, je lui envoie de l’encornet
- Envoyez 15 000 encornets au Golfe jusqu’à 100 000
- Envoyez des doris de retour au Golfe
- Envoyez 50 barils de farine jusqu’à 200 barils
- Il demande de la farine
- Il demande des provisions diverses au Golfe
- Envoyez des provisions diverses au Golfe
- Envoyez un ponchon de melasse
- Envoyez des lignes de pêche
- Envoyez des avançons
- A 100 quintaux de morue sèche de pêcher jusqu’à 2000 quintaux
- A 100 quintaux de morue verte de pêcher jusqu’à 1000 quintaux
- A 50 caisses de homard de pêchées et préparées jusqu’à 3000 caisses
- A 25 caisses de saumon de pêchées et préparées jusqu’à 1000 caisses
- Vos navires sont arrivés au Golfe
- Votre gérant du Golfe a expédié le X (la date avant le mot génératif) X quintaux morue par navire
- Votre gérant du Golfe a expédié le X, X caisses de saumon par navire
- Votre navire est parti le 1er en primeur du Golfe pour Marseille jusqu’à le 5ème
- Y-a-t-il des navires partis du Golfe pour Marseille et combien
- Il y a un navire parti du Golfe pour Marseille jusqu’à 5 navires
Le Golfe est l’endroit où l’on pêche à la côte et où l’on produit la morue sèche ; Marseille est l’endroit où on l’expédie, d’une façon quasi-exclusive
- La pêche au Golfe est mauvaise, passable, bonne ou très bonne
- Expédiez un navire au Golfe
- Gérant Golfe demande un transport
Le gérant du Golfe est sans aucun doute Jean Marie DOLLO pour lequel nous détenons en archive un certificat de travail établi le 28 décembre 1889 par Joseph Blaize, le liquidateur de la maison Anatole LEMOINE : Jean Marie DOLLO navigue dans cette maison depuis plusieurs années ; pendant la dernière campagne, il était embarqué lieutenant à bord du navire Elizabeth et a dirigé au Golfe comme chef d’opération une usine de fabrication de conserves de homards avec 21 hommes.
- Gérant golfe demande un transport le sien étant perdu
- …perdu et son équipage est sauvé et dans son havre
- …perdu et je n’ai pas de nouvelle de son équipage
- …perdu et son équipage est sauvé mais déposé à X (nom de la ville)
- …perdu équipage sauvé mais déposé ici
- faut-il affréter une goélette pour porter l’équipage dans son havre
- Laissez équipage libre
Dans ce cas, l’équipage allait à St Pierre pour trouver du travail sur les goelettes locales et ne pas perdre la campagne
- Affrétez goélette pour porter l’équipage dans son havre
- Le capelan n’est pas encore arrivé
C’est la boette utilisée pour la 2ème pêche
- Expédiez 10 tonneaux de charbon au Golfe, 15 ou 20 tonneaux
- Expédiez 50 tonneaux de sel blanc au Golfe, 100 ou 150 tonneaux
- Télégraphiez gérant Golfe d’expédier X (nom du navire) sur St Malo sans retard avec tous produits
- Le temps mauvais contrarie la pêche au Golfe
- Ils pêchent au Golfe 500 homards par jour jusqu’à 11 000 homards
- Combien pêchent-ils de homards par jour au Golfe
- Combien pêchent-ils de morues par jour au Golfe
- Ils pêchent 10 quintaux de morue par jour jusqu’à 50 quintaux
- Ils pêchent 100 morues par chaloupes jusqu’à 1 000 morues
- Le golfe est bouché par les glaces
En principe de décembre à avril
- Vos navires ont pu passer les glaces sont détachées
Il s’agit de remonter le golfe jusqu’à l’île St Jean sur le French-shore
- X (nom du navire) est arrivé dans son havre démâté
- X (nom du navire) est arrivé mais est complètement démoli le capitaine demande un autre pour remplacer
Il s’agit de trouver sur place et rapidement une solution de rechange : la campagne ne doit être perdue pour personne
- Gérant Golfe est malade forcé de revenir quel capitaine remplace
Concernant les PERTES :
- perdu 2 maillons jusqu’à 14 maillons de chaînes et une ou deux ancres
- perdu touée entière et toutes lignes
- perdu touée entière et sauvé lignes
- perdu toutes lignes ou moitié ou le tiers ou le quart
- perdu 1 doris jusqu’à 5 doris et 2 hommes jusqu’à 10 hommes
Il y a toujours deux hommes sur un doris : le patron du doris, un marin confirmé, et l’avant, beaucoup plus jeune qui ramait (nageait) pendant la pêche
- cassé mât d’hune
C’est la partie haute du mât supportant les huniers
- cassé mât de misaine
C’est le mât d’avant
- plusieurs jambettes d’enlevées par coup de mer
- cassé grand mât
Concernant les MORUES ET HUILES
- La morue sèche à l’Ile vaut 10,00 F le quintal jusqu’à 30 F
- La morue verte du banc vaut 8 F pour la campagne jusqu’à 23 F
- La morue verte du banc vaut 6 F pour le voyage jusqu’à 25 F
- Quel est le prix de la morue sèche
- Quel est le prix de la morue verte pour la campagne
- Quel est le prix de la morue verte pour le voyage
- Y-a-t-il des ventes faites pour campagne et quel prix offre-t-on
- Y-a-t-il apparence de hausse sur prix morue
- Y-a-t-il apparence de baisse sur prix morue
L’armateur interroge ainsi les personnes les plus proches des lieux de pêche sur les tendances à la hausse ou à la baisse du prix du marché de la morue ; les réponses peuvent déterminer les options à prendre avant la fin de la campagne sur le négoce en cours ou sur les lieux de livraison, également sur les dates de retour
- Que faire des morues
- Faut-il vendre les morues
- Je trouve à vendre les morues à 15 F jusqu’à 25 F
Ici, il s’agit sans doute de la morue verte, la morue sèche étant souvent ramenée en France
- Vendez morue verte à 15 F jusqu’à 25 F
Le message d’achat de la morue verte allait de 6 à 23 f
- A Boston, on offre 3,5 dollars jusqu’à 5 dollars ; faut-il y expédier et combien
- A Halifax, on offre 3,5 dollars jusqu’à 5 dollars ; faut-il y expédier et combien
Nous en concluons que le dollar valait à l’époque 5 f à peine
- Expédiez 100 quintaux morue sèche à Boston jusqu’à 500 quintaux
- Expédiez 100 quintaux de morue sèche à Halifax jusqu’à 500 quintaux
Un négoce existait donc avec les Etats-Unis pour ce qui concerne la morue sèche
- L’huile de morue vaut 40,00 F la barrique jusqu’à 150,00 F
Concernant les EXPEDITIONS :
- expédiez sur Belle-Ile, ou Saint Martin, La Rochelle, Bordeaux, Saint-Malo, Granville, Marseille, Malaga, Oran, Tunis, Lisbonne, Livourne, Guadeloupe, Martinique, Halifax, Boston
voici donc tous les lieux possible d’expédition pour l’armement Lemoine ; certaines destinations étaient très habituelles ; d’autres beaucoup moins mais les éventualités étaient toutes là, selon le prix proposé au déchargement dans chacun des ports
- où faut-il expédier votre navire X ; est prêt à partir
- est expédié et parti ; assurez X quintaux
Les stocks étaient donc assurés avec le navire pendant son retour
- est expédié et parti à la Guadeloupe ; assurez X quintaux ; idem pour Marseille, Bordeaux, Réunion, Martinique, St Martin, La Rochelle, St Malo, Granville, Malaga, Oran, Tunis, Lisbonne, Livourne
On ne retrouve plus Belle-Ile, Halifax et Boston, mais nous avons en plus La Réunion
- combien y-a-t-il de navires partis pour France avec morue verte
- combien y-a-t-il de navires partis pour Marseille avec morue sèche
Avec ce message, nous avons l’impression que Marseille est le port exclusif de livraison de la morue sèche
- je trouve à charger X quintaux pour Marseille au prix de 45 F du tonneau ou 50 F ; faut-il charger
- je trouve à charger X quintaux pour Boston ou Halifax au frêt ordinaire ; faut-il charger
- chargez pour Marseille ou Boston ou Halifax votre lot
- pouvez-vous affréter X (nom du navire) pour Bordeaux ou un autre port de France
- Je trouve à affréter X pour Bordeaux à 22 F du tonneau jusqu’à 30 F
- Je trouve à affréter X pour Marseille à 45 F du tonneau
- Affrétez si possible X pour Marseille ou Bordeaux, La Rochelle, les Antilles
- Pouvez-vous trouver à compléter à frêt pour Bordeaux ou La Rochelle, Marseille, St Malo, Oran, Tunis, Malaga, Livourne
- Je ne trouve aucun fret pour votre navire
- Demandez à Miramichi pour affréter X et le prix
Qui est Miramichi ? un négociant local ou un représentant ? avis au lecteur
- On offre à Miramichi X par standard ; faut-il accepter
- Affrêtez au prix de X pour Miramichi
Concernant les DIVERS :
- Indiquez prix lard ou farine, huile de morue, rogues, biscuit, avirons
- Expédiez X barils farine sur St Malo ou X biscuit St Malo, X barils de lard, X avirons sur St Malo
- Quel est le prix du fret de St Pierre à Bordeaux ou aux Antilles, à Marseille
- Quel est le navire expédié pour Bordeaux ou Marseille, Martinique, Guadeloupe
- Y-a-t-il des navires en charge pour les Antilles ; combien
- Câblez-moi les départs pour les Antilles
- Quel est le prix des passages pour St Malo
Le transport des passagers est fréquent et bien connu à St Malo, autant à l’aller qu’au retour ; il s’agit du transport des graviers mais également des pêcheurs embauchés sur les goélettes locales
- Y-a-t-il beaucoup de navires prenant des passagers
- Que pensez-vous d’un chargement de sel vous arrivant en mai ou juin, juillet, août
- Demandez à Miramichi le prix du bois
- Recommandez 100 000 lattes pour casier jusqu’à 200 000 lattes
- Pensez-vous trouver en septembre des passagers pour St Malo ou Granville
- Quand comptez-vous expédier navires
- Faut-il acheter X (telles choses)
- X arrive sans avaries
- Le temps humide empêche de pouvoir charger les morues
- Temps pluvieux ; journées de grave rares
La pluie empêche et compromet le séchage de la morue sur les graves
- Il fait beau pour la sècherie
- La petite pêche à l’Ile est bonne ou passable ou mauvaise
- Le courrier vient d’arriver et ne m’apporte aucune nouvelle de vous ; si avez instructions à me donner, avisez
- Faut-il sécher les morues
- Séchez morues vertes
- Séchez morues X (nom du navire ou goélette)
- Sèche-t-on beaucoup pour Marseille
- Votre morue est sèche et très convenable pour Marseille
Marseille était le grand port de livraison de la morue sèche pour toute la méditerranée. Le « très convenable pour Marseille » nous laisse entendre que la morue n’y était acceptée qu’en très bon état d’arrivée
- Votre morue est poivrée pas convenable que faire
- Votre morue est attaquée de rouge que faire
Le rouge était le résultat d’une mauvaise salaison et donc d’une mauvaise conservation ; y avait-il d’autre solution que le rebut ?
- Y-a-t-il des goélettes à vendre à St Pierre
Il s’agit des goélettes d’occasion située dans le Barachois
- Ecrivez à Halifax pour demander s’il y a des goélettes à vendre
- Si vous trouviez une goélette convenable pour 6 doris, avisez
6 est donc le nombre courant et idéal de doris pour une goélettes ; un trois-mâts en possédait le double
- Je trouve goélette de X tonneaux pour X francs en bon état
Le bon état de la goélette paraît être nécessaire
- Achetez goélette pour X francs
- Mettez de côté la boette pour X (nombre) navires venant de St Malo
- Ramassez des têtes pour le Golfe
Les têtes de morues servaient-elles de boettes pour la pêche à la côte ?
- Combien reste-t-il de morues vertes dans la colonie à expédier en France
- Combien reste-t-il de morues sèches à expédier à Marseille ou aux Antilles
- Demandez à Bridgwater le prix du bois
Qui était Bridgwater ? un négociant en bois ?
- Séchez convenable pour Marseille, solde Antilles aux Amériques
- Séchez convenable pour Marseille, conservez solde en vert pour France
Trois messages complémentaires écrits postérieurement in fine :
- expédiez en caisses Hallifax ici avec deux l
- restera en pêche jusqu’en octobre ; reviendra directement à St Malo ou à Belle-Ile
En observation finale, il nous paraît nécessaire de préciser les points suivants :
- Dans ce document, il n’est fait aucune mention des bulots qui avaient du être utilisés presque exclusivement pendant la guerre des boettes en 1885, les insulaires ayant reçu l’interdiction de vendre aux pêcheurs français les harengs, capelans et encornets nécessaires à l’approvisionnement des lignes ;
- malgré l’apparition du doris vers 1875, la chaloupe paraît encore largement utilisée pour la pêche à la côte – au Golfe - le doris étant semble-t-il réservé à la pêche aux bancs –d’où l’expression doris de banc- ;
- Nous avons le sentiment que le négoce est pour la maison Lemoine tout aussi important que la pêche elle-même ; il ne s’agit pas de rapporter en France sa seule cargaison de pêche ; il fallait pour le retour remplir le navire autant en passagers qu’en marchandises ; d’autre part, selon les ordres reçus, il était possible sur place, à St-Pierre, Boston ou Halifax, de revendre sa pêche, de racheter des marchandises pour peut-être les revendre selon les opportunités et les cours pratiqués ;
Pour conclure, voici donc présentés sous une forme énumérative et à peine classée les différents messages qu’il est possible d’adresser ou de recevoir pendant les campagnes de pêche ; ils permettent d’imaginer les situations auxquelles pouvaient s’attendre les uns et les autres.
Ce code est réalisé en vue d’une transmission télégraphique ; celui-ci est de fabrication maison ; créé sans doute depuis plusieurs années, il a dû être amélioré et complété au fur et mesure des campagnes et de l’expérience acquise ; nous pensons que ce code, rédigé au début de l’année 1889, n’est qu’une retranscription complétée et à jour d’un travail et d’une pratique préexistante.
Grâce à la conservation de ce document, nous avons un aperçu des mécanismes et des pratiques utilisées pour le négoce et pour la pêche à la morue à Terre Neuve et à Saint-Pierre vers la fin du 19ème siècle.
Un regret cependant : nous n’avons en archive aucun message concret de transmission au moyen de ce code ; nous détenons la règle mais pas les exemples concrets d’utilisation.
Quelques mois plus tard, en novembre 1889, Anatole LEMOINE décédait d’une embolie pulmonaire à l’âge de 46 ans, laissant pour lui hériter son épouse, Berthe DUBOIS, et leurs deux enfants mineurs, Berthe et Henri, âgés respectivement de 6 et 4 ans.
Les navires étaient alors sur le trajet du retour pour une livraison soit à Marseille, soit à Bordeaux, soit à un autre lieu d’expéditions dont nous avons parlé plus haut. De retour définitif à Saint-Malo pendant l’hiver, les navires et leurs matériels ont été inventoriés par le liquidateur de l’armement, Joseph Blaize de Maisonneuve, avant d’être vendus ; les marins ont été réglés de leur campagne mais sans aucun engagement possible de renouvellement pour l’année suivante. L’armement disparaissait purement et simplement. Seul, Auguste LEMOINE, son frère, et après lui Ludovic, son neveu, maintenaient la tradition et le métier familial, pour un début de 20ème siècle où il était très difficile de survivre à plus d’un titre : la perte du French-Shore en 1904, l’arrivée de la pêche au chalut au moyen des navires à vapeur, enfin la première grande guerre mondiale, destructrice de nombreuses activités humaines dont celle ancestrale de la pêche à la morue en Atlantique Nord.
Y.D.F - reproduction interdite -
P.S. : Le télégraphe a été créé d’une façon optique par Claude Chappe en 1794. En 1837, Samuel Morse utilise les travaux de Volta et d’Ampère pour le transformer en télégraphe électrique. En 1858 : 1er câble transatlantique qui cesse de fonctionner en septembre 1861. En 1865, Hugues – Amérique – invente un nouveau code de transmission pour télégraphe. En 1866 : nouveau câble transatlantique nord posé par le Great Eastern (G-B) . En 1876 : mise au point en France du télégraphe Emile Baudot (1845-1903) en service jusqu’en 1950. En 1896 : Guglielmo Marconi (1874-1937) utilisant les travaux d’Alexandre Popov (1859-1906) sur les antennes et de Edouard Branly (1844-1940) sur les révélateurs d’ondes met au point la télégraphie sans fil ou T.S.F. En 1901, il reçoit son premier message sans fil depuis Signal Hill sur les hauteurs de Saint Jean de Terre-Neuve.
LES MESURES ADOPTEES
Morues |
Le quintal |
Huile de morue |
La barrique |
Rogues |
Le baril |
Harengs |
Le baril |
Capelans |
Le baril |
Encornets |
Le cent |
Homards |
La caisse |
Saumons |
La caisse |
Charbon |
Le tonneau |
Sel Blanc |
Le tonneau |
LES PRIX PRATIQUES
Morue sèche |
Le quintal à l’achat : de 10 à 30 f |
Le quintal vaut à l’Ile : de 10 à 30 f |
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Morue verte |
Le quintal vaut à l’achat : de 6 à 23 f |
Le quintal vaut pour la campagne : de 8 à 23 f |
|
Le quintal vaut pour le voyage : de 6 à 25 f |
|
Le quintal à la vente : de 15 à 25 f |
|
Le quintal à la vente : de 3,5 à 5 dollars |
|
Huile de morue |
La barrique à l’achat : de 50 à 150 f |
La barrique vaut de 40 f à 150 f |
|
Rogues |
Le baril à l’achat : de 20 à 31 f |
Harengs |
Le baril vaut : de 2 à 21 f |
Capelans |
Le baril vaut : de 2 à 21 f |
Encornets |
Le cent vaut : de 0,75 à 7,50 f |