La mise en société d’un monument historique
L’idée d’une mise en société d’un Monument Historique survient assez régulièrement soit au moment de l’achat de celui-ci, soit lors de la survenance d’une indivision, suite à une transmission à titre gratuit, c’est à dire une donation entre vifs ou une succession à plusieurs. En réalité, nous sommes dans deux cas de figure : d’une part, l’achat direct du monument par une société déjà existante ou à créer, d’autre part, l’immeuble étant déjà possédé, un apport en nature de celui-ci à la société.
La possession d’un bien immobilier au sein d’une société présente, comme pour tous les différents thèmes, des avantages mais aussi des inconvénients qu’il y a lieu d’analyser avec précaution, avant de se lancer dans une telle opération ; il s’agit d’être très attentif aux règles tant civiles que fiscales.
I – Adopter les grands principes des sociétés.
Vouloir « se mettre » en société, c’est vouloir exercer une activité à plusieurs en commun ; il ne faut jamais s’éloigner de ce principe, même s’il existe des sociétés unipersonnelles, pour donc éviter les associés fictifs, ou encore les gérants fictifs, éviter les assemblées ou les procès-verbaux inexistants ou mal formalisés et également fictifs. Dans le même sens, il faut tenir une comptabilité régulière, suivre donc une série de règles que l’on doit accepter d’emblée pour éviter une remise en cause tant civile que fiscale, une requalification de la société.
Un point important consiste en la fixation du capital ; il détermine le pourcentage des droits entre les différents associés, le surplus des sommes versées l’étant au titre d’une créance en compte-courant en faveur de chacun des associés-déposants ; la libération du capital au profit de la société est aussi déterminante.
Outre ces règles sociales particulières, il faut bien distinguer et comprendre les obligations inhérentes à la possession d’un Monument Historique et puis celles relatives au régime fiscal spécifique avec l’usage d’une déduction du revenu global .
Attention : l’apport en société est un acte translatif de propriété, l’équivalent d’une vente, avec tout ce qui en découle : 1°) la décision d’apport génère comme tous les actes de mutation à titre onéreux, l’exercice d’un ou plusieurs droits de préemption : celui de la collectivité locale – Commune ou Communauté d’Agglo – mais aussi ceux de la SAFER, du fermier-preneur en place ou du voisin forestier [1] ; 2°) l’apport a pour conséquence l’exigibilité chez l’apporteur d’une plus-value immobilière [2] .
II – Le choix d’une société civile soumise à l’impôt sur le revenu – IR -
Nous sommes ici dans un système de transparence fiscale ; la base taxable est constituée par l’ensemble des revenus encaissés peu importe qu’ils soient mis en réserve ou bien distribués.
Contrairement aux personnes physiques ou aux sociétés commerciales, la société civile ne peut pas et ne doit pas réaliser d’actes de commerces ; sinon celle-ci change de régime et se soumet à l’impôt sur les sociétés – voir ci-après – Attention et prudence donc aux locations en meublés et même aux locations de gites ou de chambres d’étudiants [3] …
L’imposition sur le revenu est proportionnelle et progressive ; son coût effectif correspondra au taux marginal d’imposition de l’associé-contribuable ou TMI … Il est fréquent d’avoir une imposition à l’IR sans pour cela avoir de trésorerie dans la société, notamment en cas d’emprunts ou de travaux importants ; les associés doivent alors régulièrement faire l’appoint par le biais des comptes-courants …
En cas de revente de l’immeuble, une plus-value est exigible, celle applicable aux particuliers, mais avec une possible exonération passer 20 ans et 30 ans de détention [4] .
III – Le choix d’une société civile ou commerciale soumise à l’impôt sur les sociétés – IS -
Le choix est véritablement essentiel entre les sociétés soumises à l’IR et celles à l’IS ; l’IS autorise l’amortissement des immeubles bâtis alors que l’IR ne le prévoit pas ; en cas de revente, les plus-values sont ici dites professionnelles, calculées à partir de la valeur nette comptable ou VNC, sans date limite pour exonération …
L’option à l’IS permet de mieux suivre le flux de trésorerie réelle ; ici, on ne paye d’impôts que s’il y a de la trésorerie et/ou une distribution ; le taux de l’impôt sur les sociétés est fixe : 15% jusqu’à 38 120 euros, 33,33% au-delà ; la loi de finances pour 2018 vient de maintenir le taux réduit de 15% et procéder à une baisse progressive du taux normal de 33,33% à 25% d’ici 2022, en passant par des paliers de 31, 28 et 26,50%.
En cas de distribution de bénéfices, il s’en suit une autre imposition, celle sur les revenus distribués, taxable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; l’imposition est réduite du fait de la double fiscalité IS puis IR, avec donc une réduction de 40 % sur la base taxable [5] .
IV – Le régime fiscal spécifique des Monuments Historiques appliqué au sein d’une société
Le régime des Monuments Historiques est régi d’une façon générale par les articles 156-I-3° al.1, 156-II-1°ter et 156 bis du Code général des impôts ou CGI, repris en détail au Bulletin Officiel des Impôts [6] ; le principe est de pouvoir déduire les charges du Monument sur les revenus fonciers du contribuable mais également sur les autres catégories de revenus, en fait sur le revenu global ; la contrepartie pour le propriétaire contribuable personne physique est de s’engager de conserver son immeuble pendant quinze ans suite à son acquisition ; depuis le 1er janvier 2009, les associés d’une société civile non soumise à l’IS peuvent bénéficier de ce régime dans trois situations différentes qui sont donc alternatives (article 156 bis du CGI) :
- La société doit être constituée entre les membres d’une même famille ; les parts peuvent être cédées à un membre de cette famille qui reprend l’engagement pour la période restant à courir ;
- Le monument ici classé doit être affecté à un espace culturel non commercial ouvert au public pendant au moins quinze ans ;
- L’immeuble doit être affecté, au plus tard dans les deux ans qui suivent la date d’entrée dans le patrimoine de la société, à l’habitation pour au moins 75% de sa surface habitable [7] .
Ici, l’engagement de quinze ans porte non pas sur la possession de l’immeuble, mais sur la conservation des parts de la société.
Le plus souvent, les procédures de classement ou d’inscription n'affectent que les parties extérieures des édifices telles que les façades et toitures ; en pareil cas, la protection, au sens de la loi, n'est pas pour autant restreinte aux seules fractions inscrites ou classées mais s'étend en fait à l'ensemble du monument ; il faut ainsi comprendre que l’ensemble des travaux est déductible [8] .
Une autre mesure de faveur consiste en l’exonération des droits de mutation à titre gratuit – succession ou donation – article 795 A du CGI ; celle-ci est aussi étendue aux parts des sociétés détentrices de monuments historiques ; elle est conditionnée par la signature d’une convention (CGI annexe III article 281bis).
Attention : les Monuments Historiques et donc les parts de SCI correspondantes ne sont aucunement exonérés de l’impôt de solidarité sur la fortune ou ISF ou encore de l’impôt sur la fortune immobilière ou IFI ; l’évaluation de ces immeubles pourront seulement et tout de même tenir compte des contraintes particulières dont ils sont grevés : ouverture au public, lourdes charges d’entretien, faibles revenus ; l’évaluation des parts de sociétés pourront en outre tenir compte de possibles décotes (pour clause d’agrément, pour parts minoritaires, pour non liquidité), ainsi que d’un abattement pour fiscalité latente.
V – Au final, les avantages et inconvénients de la mise en société
Sur le plan civil, la mise en place d’une société peut contribuer à la transmission du patrimoine au même titre que le démembrement du droit de propriété en usufruit d’une part et en nue-propriété d’autre part ou encore que l’établissement d’un bail de longue durée.
Sur le plan fiscal, on a pu dire que dans le cas d’un immeuble déficitaire – charges supérieures aux revenus – le régime spécifique de déductions des charges est plutôt intéressant ; donc si possible rester en présence d’une personne physique ou d’une indivision ou d’une société civile soumise à l’IR avec l’observance de l’une des trois conditions requises ci-dessus (IV) ; dans le cas d’un immeuble avec du revenu excédentaire et avec une volonté de ne pas distribuer mais plutôt de transmettre gracieusement à sa famille, alors la société soumise à l’IS est envisageable .
Se soumettre à l’IS, c’est ne jamais distribuer de revenus, ne jamais avoir à vendre, c’est vouloir transmettre à titre gratuit ; se soumettre à l’IR, c’est avoir de gros travaux et vouloir les déduire de ses impôts, c’est aussi se réserver la possibilité de revendre.
Yves Duboys Fresney
Le 25 janvier 2018
Sources : Le Code Général des Impôts ou CGI sur Légifrance ; le Bulletin Officiel des Impôts ou BOI ; les lois de finances 2018 et rectificative 2017 ; le Mémento Fiscal 2017 des éditions Francis Lefebvre .
NB : ce texte ne constitue qu’une approche ; il faut s’attacher à en approfondir les différents points, dans le détail, au plan fiscal mais aussi, ne l’oublions pas, au plan civil, au cas par cas, en tenant compte de la situation personnelle du ou des intéressés, au passé, au présent et au futur.
[1] Une difficulté peut provenir des apports mixtes comprenant un Monument Historique mais aussi d’autres biens, des terres louées, des bois et forêts, etc …
[2] Un report de plus-value existe dans les sociétés soumises à l’IS
[3] Les locations en meublé non professionnelles ou LMNP se pratiquent non pas dans les sociétés civiles mais chez les personnes physiques ou dans les sociétés commerciales de personnes.
[4] 20 ans pour la plus-value et 30 ans pour les cotisations sociales.
[5] Cette réduction vient en remplacement de l’ancien avoir fiscal.
[6] BOI-RFPI-SPEC-30, 30--10, 30-20, 30-30 et 30-40 - voir le tableau synthétique au BOI-ANNX-000093 -
[7] Cette mesure provient de la loi de finances rectificative pour 2017 ; elle s’applique aux monuments historiques acquis par une société civile à compter du 1er janvier 2018 ; la mesure d’agrément fiscal existant antérieurement est supprimée.
[8] En effet, si l'approbation formelle de l'administration des affaires culturelles n'est requise que pour les travaux portant sur les parties désignées dans l'arrêté prononçant le classement ou l'inscription, ces services sont tenus de s'assurer que l'exécution des travaux sur les autres parties de l'édifice ne porte pas atteinte au caractère historique ou à la qualité architecturale du bâtiment.