Un arbre protégé peut-il faire exception
à l’obligation d’élagage entre voisins ?
L’article 673 du code civil stipule dans le cadre du respect du droit de propriété : « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. » Le droit de propriété et puis cette obligation d’élagage présentent ainsi un caractère absolu, imprescriptible, non négociable ...
Le dépassement des racines d’une propriété sur l’autre est soumis à la même règle, avec une précision toutefois : l’élagage des branches doit se faire par le propriétaire de l’arbre, la coupe des racines par le voisin lui-même (cour de Cassation 3ème chambre civile du 7 juillet 2016 pourvoi n°14-28843).
Une question particulière est tout de même souvent posée : y a t-il exception à ces obligations d’élagage et de coupes de racines, pour ce qui concerne les arbres spécialement protégés ?
La Cour de Cassation, 3ème chambre civile, répond à cela d’une façon régulière par la négative :
- Arrêt du 30 juin 2010 – pourvoi n°09-16257 : ici, la Cour d’Appel de Lyon du 11 juin 2009, après avoir constaté que la propriété était située au sein d'un lotissement créé dans un objectif de valorisation du site boisé classé autour d’un cèdre de grande hauteur, plus que centenaire, dont les branches surplombaient déjà la propriété voisine à l'origine, retenait que l'élagage ne serait pas de nature à faire cesser les inconvénients liés à la chute des aiguilles de l'arbre et laisserait inchangé le débord de la frondaison situé à cinq mètres de hauteur, ne pouvant être résolu que par l'abattage de l'arbre ; que les époux X... ne pouvaient ignorer, lorsqu'ils ont acquis leur fonds, que l'environnement arboré de leur propriété et du lotissement les obligerait à nettoyer régulièrement leurs terrain et piscine construite par le précédent propriétaire à proximité de l'arbre ; qu'ils avaient pu constater la faible croissance dudit arbre ; qu'ils n'entendaient pas porter atteinte à sa survie et qu'ils ne peuvent, sans faire dégénérer en abus leur action en justice, demander la réduction de la ramure en limite de propriété. La Cour de Cassation casse cet arrêt.
- Arrêt du 31 mai 2012 – pourvoi n°11-17313 : là, la Cour d’Appel de Paris du 17 mars 2011 retenait que le chêne bicentenaire était répertorié comme un arbre remarquable dans le plan vert de la commune ; qu'il ne présentait pas de danger pour le voisin ; que toute taille mettrait en danger son devenir, causant ainsi un dommage irréparable à l'écosystème ; qu'aucun trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage n'était établi par M. X... et que la demande de celui-ci constituait en fait une demande déguisée de destruction de l'arbre qui se heurte aux prescriptions de l'article 672 du code civil ; la Cour de Cassation casse à nouveau cet arrêt, en vertu du droit imprescriptible de la propriété qui ne supporte aucune restriction.
Pour des arbres situés dans les Espaces Boisés Classés (E.B.C.), une disposition interfère au moyen l’article L.130-1 du code de l’Urbanisme : «Dans les bois, forêts ou parcs situés sur le territoire de communes où l'établissement d'un plan local d'urbanisme a été prescrit, ainsi que dans tout espace boisé classé, les coupes et abattages d'arbres sont soumis à la déclaration préalable prévue par l'article L. 421-4 … » [1] ; la Cour d’Appel de Versailles du 19 janvier 2016 relève que la parcelle de M. et Mme Y... était située dans une zone soumise, par le code de l'urbanisme, à une déclaration préalable des coupes et abattages d'arbres et retient qu'une demande d'élagage n'emportait pas obligation de les détruire et qu'il n'était pas établi que l'élagage soit nuisible à la conservation des arbres, objet du litige ; la Cour de Cassation maintient le principe de l’obligation d’élagage et confirme donc l’arrêt d’appel – C. Cass 3ème chambre civile du 27 avril 2017 – pourvoi n°16-13953 -
En présence d’un arbre classé Monument Historique (ou d’un Site), un autre texte interfère, l’article L621-6 du code du Patrimoine : « L'immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l'autorité administrative. » ; la Cour de Cassation dans son arrêt du 1er juin 2011 – pourvoi n°06-17851 - convient que le juge judiciaire, ici la Cour d’appel d’Aix en Provence du 17 mai 2006, ne pouvait ordonner lesdites coupes sans rechercher si celles-ci n’étaient pas de nature à menacer la pérennité même des plantations concernées, en l’occurrence douze platanes bi-séculaires et aussi sans que l’administration des Monuments Historiques ait été préalablement consultée conformément à l’article L 621-6 ci-dessus … ainsi la Cour casse un arrêt d’appel qui allait pourtant dans le sens de sa jurisprudence dominante …
Cette dernière disposition mériterait d’être approfondie sur plusieurs points : tout d’abord, l’autorisation administrative étant du ressort du propriétaire de l’arbre, comment le voisin pourrait-il l’obtenir lui-même ; ensuite, comment la Cour de Cassation, avec elle le Code Civil, réputés tous deux indépendants, peuvent-ils ainsi dépendre d’une décision administrative ; enfin, si l’Administration autorisait l’élagage, le juge en ferait certainement de même, mais pour le cas où l’Administration refuserait l’élagage, le juge, étant tout de même sollicité, que ferait-t-il ? Pour tout cela, comme on dit couramment, affaire à suivre …
Y.D.F.
[1] Modifié aujourd’hui par un nouvel article L. 113-2 : « La délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme peut soumettre à déclaration préalable, sur tout ou partie du territoire couvert par ce plan, les coupes ou abattages d'arbres isolés, de haies ou réseaux de haies et de plantations d'alignement »