Les routes arborées de France
Les alignements des arbres le long des routes font partie intégrante du paysage de la France ; ils ont été réalisés un moment donné par l’homme selon sa volonté et dans des conditions précises : même espèce d’arbres, même taille, même distance ; ils auront eu avec le temps un sort très variable, avec une longue histoire et puis auront généré un débat d’idées que nous allons donc voir :
I – Un peu d’histoire
L’idée originale en reviendrait semble-t-il à l’époque de la Renaissance, avec un début de prise de conscience du déboisement de la France ; C’est François I er qui a initié l’usage de planter des arbres le long des avenues et des grandes routes du royaume. Il s’agissait à l’époque non pas d’embellir les voies mais d’approvisionner les armées du roi en affûts de canons ; les premières ordonnances sont édictées par le roi Henri II en 1552 en vue d’une plantation exclusivement en ormeaux , puis par Henri III en 1579 .
Précédemment, les romains, grands constructeurs de routes, n’avaient pas eu une telle idée [1] , on en était encore à cette époque à l’abattage systématique de la forêt qui alors paraissait une réserve sans fin …
L’époque classique poursuit cette idée, dans le but initié par Colbert de fournir du bois d’œuvre pour la construction et pour la Marine.
Lors de ses voyages en France entre 1787 et 1790, Arthur Young admire les routes françaises qui « ressemblent plus aux allées d’un jardin qu’à grand chemin. »
Puis il y eut la Révolution avec une loi du 9 ventôse an XIII et ensuite le décret du 16 décembre 1811 ; à cette époque, l’on trace les routes rectilignes de l’ouest de la France, allant droit sur les clochers de village, qui donnent l’impression d’avoir été créées pour survenir plus rapidement et mieux lutter contre la chouannerie ; dans cette région de bocage, elles étaient toutes entourées de haies vives mais à l’abord des villages étaient plantées d’arbres, souvent des platanes …
Le 19ème siècle prit le parti de continuer à planter ; les villes se transforment et avec le démantèlement des remparts, naît le boulevard dans le sens de promenade plantée d’arbres autour d’une ville ; l’on estimait alors à 250 000 km la longueur des routes, chemins et canaux susceptibles d’être plantés, ce qui à raison de 200 pieds par kilomètre, faisait 50 millions de pieds, soit la valeur d’au moins 120 000 hectares de forêt de haute futaie.
Au début du 20ème siècle, sur 35 000 kilomètres de routes nationales, 17 000 étaient plantées.
Pendant la guerre 1939-1945, les Allemands coupèrent de nombreux alignements d’arbres qualifiés de points de repérage pour les bombardements aériens
Une période de coupes survint à nouveau dans les années 1970-1980, l’objectif étant ici de réduire le nombre d’accidents et de morts sur les routes.
Une opposition toute particulière survint : celle du président Georges Pompidou (1911-1974) qui s’exprime dans une lettre du 17 juillet 1970, de la façon suivante : …
Lettre de Georges Pompidou,
Président de la République Française
à Jacques Chaban Delmas,
Premier Ministre, en date du 17 juillet 1970
Mon cher Premier Ministre,
J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement
-Direction des routes et de la circulation routière- dont je vous fais parvenir photocopie. Cette
circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux
fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris
l'existence.
Elle appelle de ma part deux réflexions : La première, c'est qu'alors que le Conseil des Ministres
est parfois saisi de questions mineures telles que l'augmentation d'une indemnité versée à
quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d'un
ministère en dehors de tout contrôle gouvernemental ; la seconde, c'est que, bien que j'ai plusieurs
fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder "partout" les arbres, cette
circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la
République.
Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous
prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et
à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.
C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il,
d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas
faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit
l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage.
D'ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de
l'éducation des conducteurs, de l'instauration des règles simples et adaptées à la configuration de
la route, alors que complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes
ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d'alcoolémie, et je
regrette à cet égard que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.
La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes -et je pense en particulier aux magnifiques
routes du Midi bordées de platanes- est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la
protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain.
Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées et de donner des
instructions précises au Ministre de l'Equipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement
des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d'esthétique,
problèmes financiers que posent l'entretien des arbres et l'abattage des branches mortes), on ne
poursuive pas dans la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et pour me
donner satisfaction d'apparence.
La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous
un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont
d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième
siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se
hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce
qui en fait la beauté !
Signé : Georges Pompidou
(source : site des amis du Vieux Laval)
En 1979, la Direction des Routes et de la Circulation Routière publie un guide technique sur « Les plantations des Routes Nationales » ; puis viennent les circulaires n°84-81 du 28 novembre 1984 et n°89-64 du 10 octobre 1989 ; des enquêtes sont menées en 1985 puis en 1995 …
II - Le droit positif :
La loi protège les arbres et spécialement les alignements de la façon suivante :
L’article L126-3 du code rural stipule : « Le préfet peut prononcer la protection de boisements linéaires, haies et plantations d'alignement, existants ou à créer, soit lorsque les emprises foncières correspondantes ont été identifiées en application du 6° de l'article L. 123-8 du présent code, soit lorsque le propriétaire en fait la demande. Dans ce dernier cas, lorsque ces boisements, haies et plantations séparent ou morcellent des parcelles attenantes données à bail, la demande est présentée conjointement par le bailleur et le preneur.
Ces boisements, haies et plantations sont identifiés par un plan et un descriptif de leur situation dans les parcelles cadastrales.
Leur destruction est soumise à l'autorisation préalable du préfet, donnée après avis de la commission départementale d'aménagement foncier s'il s'agit d'éléments identifiés en application du 6° de l'article L. 123-8 du présent code.
Les boisements linéaires, haies et plantations d'alignement protégés en application du présent article bénéficient des aides publiques et des exonérations fiscales attachées aux bois, forêts et terrains à boiser. Ils peuvent donner lieu à la passation d'un contrat d'entretien avec le propriétaire ou le preneur.
A la demande du propriétaire, le préfet peut également, sur avis de la commission départementale d'aménagement foncier, prononcer la protection de vergers de hautes tiges. »
L’article R126-36 du code rural, modifié par l’ordonnance n°2010-462 du 6 mai 2010 - art. 1, stipule :
« Les boisements linéaires, haies et plantations d'alignement susceptibles d'être protégés en application de l'article L. 126-3 du code rural et de la pêche maritime :
a) Sont constitués d'espèces ligneuses buissonnantes et de haute tige figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé des forêts. Ils sont structurés selon des modalités fixées par ce même arrêté ;
b) Doivent avoir une surface minimale de 500 mètres carrés. La surface des haies est égale au produit de leur longueur par une largeur forfaitaire, fixée à cinq mètres pour les haies constituées d'espèces buissonnantes et à dix mètres pour les haies d'arbres de haute tige.
Les vergers de haute tige susceptibles d'être protégés en application de l'article L. 126-3 du code rural et de la pêche maritime :
a) Sont constitués d'espèces fruitières et de variétés figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture ; cet arrêté fixe également une densité minimale des plantations ;
b) Doivent avoir une superficie minimale de vingt ares. »
L’article L113-1 du code de l’urbanisme – créé par l’ordonnance
n°2015-1174 du 23 septembre 2015, stipule : « Les plans
locaux d'urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts,
parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu'ils relèvent ou non du régime
forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut
s'appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies ou des
plantations d'alignements. »
La loi nouvelle n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dans son article 172, inséré dans le code de l’environnement sous l’article L. 350-3, stipule : « Les allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l’objet d’une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques.
« Le fait d’abattre, de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit, sauf lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures.
« Des dérogations peuvent être accordées par l’autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction.
« Le fait d’abattre ou de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres donne lieu, y compris en cas d’autorisation ou de dérogation, à des mesures compensatoires locales, comprenant un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l’entretien ultérieur. »
III – La sécurité routière face à l’esthétique paysagère
Vers les années 1960-1990, une triste réalité s’abat sur la France avec l’expansion de la circulation routière accompagnée malheureusement de nombreux décès accidentels : le sommeil au volant, l’alcool, mais aussi la vitesse ou l’imprudence ont provoqué la mort de multiples conducteurs et passagers ; de nombreuses familles furent ainsi touchées, surtout parmi les jeunes ; les équipements routiers, souvent en retard sur les évènements [2] , ne purent enrayer les funestes statistiques .
En France, en 1972, il y eut 16 545 décès sur les routes ; en 2001, 2134 usagers sont tués dans un accident impliquant un obstacle latéral ; en 2007, il y eut 4620 décès sur les routes – sources ONISR -
Les arbres le long des routes ont été mis en cause en premier lieu …
D’autres motifs d’accidents existent tout de même, avouons-le, qui sont liés à la présence des arbres : l’humidité ou le verglas des chaussées sous les arbres ; et puis l’alternance ombre et lumière gênant parfois la conduite des chauffeurs.
Aujourd’hui, la France a pris conscience de sa sécurité routière, au moins dans les grandes lignes, les pouvoirs publics aménagent les routes et puis sanctionnent tant la vitesse que l’alcool au volant ; les conducteurs par leur prise de conscience ou à défaut par la menace des pertes de points ou d’amendes, sont devenus en principe plus raisonnables.
Les temps ont donc changé, la pensée dominante aussi ; alors que dans les années 1980, nous avons tous demandé la coupe des arbres le long des routes pour question d’humanité , c’est-à-dire pour toutes ces morts provoquées , désormais la loi tranche pour un autre sens d’humanité, celle des vivants, qui veulent sauver et admirer la terre, et cela pouvoir le faire encore longtemps…
En guise de conclusion, la question des alignements d’arbres le long des routes parait réglée, mais seulement en apparence ; portons encore notre attention sur cette question, car des points resteront toujours en suspens, comme les suivants :
- Que dire dans l’avenir s’il y avait encore des morts d’hommes aux pieds de nos arbres ; le législateur actuel en serait-il responsable, comme tenu du fait qu’il a tranché d’une façon plutôt manichéenne en faveur du maintien des arbres …
- Parmi les naturalistes, il y a les intransigeants ou les « ultras » qui considèrent que les plantations en alignement, sont une simple création de l’homme, mais pas de la nature elle-même …
- Le choix des arbres devient important et délicat avec le réchauffement climatique et puis par simple utilité ou fonctionnalité ; ce choix pourra toujours faire l’objet de discussions, voire de controverses …
- Les d’alignements d’arbres dits mono-spécifiques sont réputés plus fragiles ; ils sont exposés au vent qui dessèche puis casse ou couche, à la maladie et aux infections parasitaires qui se propagent facilement d’arbre en arbre (voir les platanes du canal du Midi), et au vieillissement qui quand il survient, est radical sur toute la ligne ; alors faut-il tout de même replanter ainsi, pour maintenir au paysage son caractère traditionnel ! …
Quoiqu’il en soit, le paysage français a acquis ces alignements depuis fort longtemps ; il les possède désormais et il eut été dommage de les lui retirer ; alors que vivent pour toujours ces rangées d’arbres qui sillonnent et accompagnent nos routes, principalement celles inscrites sur la liste des sites naturels classés, et puis bien d’autres, à l’entrée de nos villes et villages de France comme les marronniers à l’entrée de Sancerre (Cher) les platanes de Machecoul….
Et puis tout de même et de toutes les façons, soyons prudents dans notre conduite, surtout aux abords de ces beaux endroits …
Y.D.F.
Sources :
- Facettes du paysage, réflexions et propositions pour la mise en œuvre de la Convention Européenne du Paysage de 2012 – voir le chapitre III : infrastructures routières, les allées d’arbres dans le paysage – à la librairie du Conseil de l’Europe
- L’association pour la Protection des Arbres en bord de routes ou ASPPAR dite « Arbres et Routes »