Tradition – Modernité
à l'Association des Amis du Vieux-Fécamp
Tradition, modernité, voici deux mots que l'on accole volontiers dans les discours, dans les citations, que l’on met au singulier ou au pluriel, avec « et » ou « ou » entre deux ; pourquoi donc rapprocher ces deux notions a priori opposées : tenter l’impossible ou goûter le paradoxe ?
De quoi s’agit-il donc ?
- La tradition : c'est la transmission de doctrines, de légendes, de coutumes pendant un long espace de temps ; c'est le respect du passé, le respect des hommes et des choses, c’est s’attacher à l’histoire, avoir le souci de la continuité, mais aussi de l'effacement de soi, c’est une évolution en douceur, lente et sans rupture.
- La modernité : c’est le caractère de ce qui est nouveau, c’est un état d’esprit, avoir un genre moderne, en fait c’est la révolution, le changement radical, la rupture en vue de l'innovation, c'est l'imagination, un signe de progrès, la volonté aussi de l'épanouissement de soi.
Les deux tendances sont a priori opposées : l’une est plutôt pragmatique et l’autre est idéaliste, la première est respectueuse, la seconde est créatrice.
Les citations qui reprennent ces deux termes sont nombreuses, je n’en retiendrai que deux : Confucius aurait dit : « une tradition est une modernité qui a réussi. »
Et puis : « Il y a un lien secret entre l’Antiquité et la Modernité » (P. Leroux)
Sur ce thème de tradition et modernité, on peut parler de tout, ou presque: d'un pays, le Japon par exemple, d'une région, l'Alsace ou la Bretagne et pourquoi pas de la Normandie, d'un terroir, le Pays de Caux, d'une œuvre d'art, d'un monument, d'un film ou encore d'un livre, etc… et pourquoi pas d’un plat cuisiné, que sais-je encore ! de notre association même !
Souhaiter à la fois la tradition et la modernité, c'est souhaiter les avantages des deux locutions, c'est souhaiter une sorte d’idéal, de plénitude, un équilibre non pas entre les deux partagés mais avec les deux cumulés à la fois ; en réalité, il ne doit pas y avoir opposition mais complémentarité ; vous l’avez bien compris, ce n’est pas un entre-deux mais un tout à la fois, non pas une alternative mais plutôt une appréciation globale.
Ces deux termes peuvent et doivent nous faire réfléchir, nous attirer mais ils peuvent aussi faire l’objet de discussions sans fin, voire stérile, ou même de querelles entre nous comme celles des anciens et des modernes.
Tout cela est l’affaire de chacun d’entre nous mais également la préoccupation de la collectivité tout entière ; chaque individu, chacune des collectivités doivent prendre conscience, étudier et puis se positionner autour de ces deux thèmes, en fonction de ces deux thèmes ; attention les choix sont parfois difficiles et même irréversibles comme en matière d’urbanisme et de construction ; bien sincèrement, nous ne souhaitons pour chacun de nous et pour nous tous aucun excès, ni dans le modernisme systématique, ni dans la défense aveugle des traditions.
Une autre confrontation de mots est un peu similaire dans les discours : celle évoquant le passé face à l'avenir avec parfois en interphase le présent
Les citations ici sont encore plus nombreuses :
- " Mieux connaître d'où on vient pour savoir où on va ! "
- Toujours Confucius : « étudiez le passé si vous voulez appréhender l’avenir. »
- « Vivre sur son passé, c’est se ruiner, mais vivre sans son passé, c’est s’appauvrir. » de Roger Nimier.
- Qui a le passé pour racine a pour feuillage l'avenir – une phrase très romantique de Victor Hugo
- La fondation Chirac évoquait lors de sa création par trois grandes questions le trois grandes quêtes de l’homme : d'où venons-nous ? qui sommes-nous ? où allons-nous ?
- Le dernier livre de Jean François Poncet s’intitule « Mémoire pour aujourd’hui et pour demain »
- Parler du passé pour préparer l'avenir voilà la voie de la sagesse, le chemin à suivre – citation du président de la Chambre de Commerce dans l’ouvrage de Michel Ledun.
- « Le présent n’est rien sans l’héritage du passé, il est tout avec la volonté du futur » selon l’un des derniers discours de notre président Jean Claude Omont.
- La devise de l'association des amis et du vieux-fécamp : « Nepotis avorum gesta et nobis » - les oeuvres de nos ancêtres pour nos descendants et pour nous-mêmes
- Jean Claude Omont enfonce le clou dans le journal du 18 novembre 2009 : « le passé nous permet de vivre notre centenaire intensément au présent et de regarder très fixement le futur. » Monsieur le Ministre de la Culture, ce jour-là souhaitait également dessiner un trait d’union entre le patrimoine d’hier et celui de demain.
Bien d’autres références existent [1] .
Nous avons donc souvent cette idée de vouloir créer ou recréer une relation, un lien, une logique, une intelligence entre le passé et le présent d’une part, entre le présent et le futur d’autre part et puis au delà du présent directement du passé vers l’avenir…
Ecoutez bien cette définition : « l’activité humaine doit répondre aux exigences du présent mais sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Nous sommes pleinement dans le développement durable, qui n’est donc pas une notion nouvelle, bien qu’elle soit devenue de l’avis de tous une notion essentielle.
Certains ont considéré que le système de protection de notre patrimoine était antinomique avec la promotion du développement durable ; certains ont polémiqué en marquant exagérément des contradictions entre patrimoine et esthétique, entre patrimoine et économie ou encore entre patrimoine et environnement ; les querelles sont toujours possibles par défaut de dialogue et concertation préalable à toute déclaration d’intention ou toute action.
Une querelle dépasse toutes les autres ; c’est la troisième confrontation dont je veux parler, ici purement d’idées : la querelle des anciens et des modernes.
Au début du 17ème siècle, apparaissent les signes de « l’esprit moderne » qui va provoquer une importante querelle littéraire ; certains écrivains vont revendiquer une indépendance et une liberté totale d’inspiration ; d’autres font valoir la souveraineté de la raison et la croyance au progrès d’abord scientifique puis artistique, la supériorité de l’art moderne.
Les anciens groupés autour de Boileau (1636-1711) se réfèrent à l’antiquité, à l’imitation et au bon goût ; la référence à l’antiquité est une garantie de la qualité, c’est se prémunir contre la préciosité, le burlesque, le mauvais goût.
Pour les modernes comme Charles Perrault (1628-1703), l’œuvre des hommes va comme les techniques en progressant, un moderne est supérieur à un ancien, les vues des bons esprits se succèdent en s’ajoutant ; pour Fontenelle (1657-1757) « rien n’arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits que l’admiration excessive des anciens… », « l’antériorité n’est pas une marque de supériorité… »
En final mais sans vraiment conclure, on admit la reconnaissance des talents des auteurs modernes distinctement de ceux déjà reconnus des auteurs de l’antiquité : à chacun son rôle, à chacun sa place.
Un nouveau défi va naître au 18ème siècle, celui des philosophes lesquels vont à nouveau défendre l’idée des progrès de l’esprit humain et ainsi se faire des ennemis de l’ordre établi sur le plan moral, religieux, politique et social ; la querelle n’est plus seulement littéraire, elle s’attaque aux fondements de la société tout entière ; elle engagera la France vers la révolution…
Au 19ème, les écoles artistiques sont nombreuses, l’opposition tradition-modernité est toujours là, les peintres modernes sont refusés au salon des artistes, ils dressent une tente sur le trottoir et s’exposent eux-mêmes, on les appellera plus tard les impressionnistes ; les instances du Louvre vont refuser le legs Caillebotte …
Au 20ème siècle, avec les différentes écoles de constructions, mais aussi de peintures, la confrontation est toujours là ; les futuristes vont très souvent l’emporter sur les valeurs anciennes.
Vous avez là un exemple par siècle, mais il y en a bien d’autres, d’oppositions marquées entre les traditionalistes et les modernistes, entre la tradition et la modernité …
En fait, toute notre histoire est là.
De tous temps, les artistes et les architectes, les concepteurs et les décideurs, les politiques et les intellectuels vont se confronter, s’opposer, se critiquer ; les qualificatifs ne vont pas manquer : d’une part utopie, irréalisme, manque de bon sens… d’autre part copiage, manque de personnalité, « pompier »…
Alors parmi ces tendances, où est la vérité ? Y a-t-il une synthèse ? Où la chercher ?
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Pour aller plus loin, entamer notre sujet et tenter de le cerner, plusieurs questions se posent à nous :
I – Dans le monde actuel fait à la fois de tradition et de modernité, où donc se situe l’esthétique ?
L’esthétique, voici encore une notion éminemment subjective ; le bon compromis entre tradition et modernité, tout comme l’esthétique, chacun de nous pense l’avoir pour lui et pourtant personne ne se situe au même endroit pour le dire.
Dans un nouveau projet à implanter au cœur de l’habitat ancien, faut-il donc construire du moderne pour essayer de privilégier le nouvel immeuble ou bien faut-il construire à l’ancienne au moyen d’une copie impersonnelle, pour ainsi privilégier l’intégration dans le site environnant ; à ce niveau-là, où donc se situe l’esthétique, la meilleur esthétique.
Examinons les fronts de mer, les enfilades, les perspectives et faisons la critique de certaines constructions récentes ; ont-elles vraiment leur place ici, rehaussent-elles ou au contraire détruisent-elles l’harmonie d’ensemble ; n’aurait-il pas été préférable de penser et d’appliquer un autre projet, un autre style ?
Evidemment, nous n’avons aujourd’hui que peu de critiques à formuler sur la juxtaposition des immeubles anciens entre eux, par exemple la juxtaposition des constructions de siècles ou de styles anciens différents ; le temps a façonné les choses, ainsi que notre perception de ces choses ; le temps a apporté une patine à l’objet et a modifié notre œil.
Notre attention est plutôt portée sur les contrastes nets avec les immeubles résolument modernes, juxtaposés, implantés tout à côté d’immeubles plus anciens ; dans ces endroits-là, dans les quartiers anciens, faut-il donc privilégier la copie d’anciens et puis réserver le moderne, le résolument moderne, aux autres endroits, dans les villes et quartiers nouveaux, dans les périphéries…En fait, le moderne aurait ici deux raisons pour ne pas correspondre, soit le projet est à notre jugement personnel inesthétique, soit il est esthétique mais toujours à notre jugement personnel ne s’intègre pas au site ; en réalité, pour ce moderne, il y a de bonnes choses et puis de moins bonnes ; le temps n’a pas encore fait son œuvre ; la critique n’a pas le recul suffisant ; l’époque nouvelle n’a encore trouvé son style principal ou le meilleur que l’histoire plus tard retiendra de lui.
Comment donc et par quel jugement un maître de l’ouvrage devra-t-il à un moment donné choisir un projet, comment donc et par quel jugement l’autorité administrative devra-t-elle l’autoriser à réaliser; enfin comment le jugement critique de l’occupant, du passant, de la société toute entière évoluera-t-il par la suite.
Rappelons-nous les grandes discussions autour les pyramides du Louvre, aujourd’hui nous parlons beaucoup des éoliennes…
Et puis autour de toutes ces questions, où se situe l’esthétique qui est assurément l’un des objectifs essentiels, en complément bien sûr de la fonctionnalité d’un projet. Il faut bien avouer qu’une construction moderne de qualité que l’on qualifie de réussie, est porteuse d’un projet, donnons ici en exemple le musée Guggenheim à Bilbao, en son temps le Grand Palais à Paris avait fait une forte impression…
Mais revenons sur la superposition du moderne et de l’ancien et sur notre jugement en la matière, nous sommes souvent partagés voire opposés au moment du projet et de la construction, les arguments des uns et des autres se tiennent ; la synthèse n’est pas possible, elle ne serait qu’un mauvais compromis, un mélange raté de copie d’ancien et de moderne ; la subjectivité à ce niveau joue à plein ; les goûts humains sont si variables, selon la perception de chacun, les uns s’attachent aux formes, les autres aux couleurs, les uns aux détails, les autres à l’aspect général, et puis il y a la fameuse harmonie des constructions, leur intégration à l’environnement prévue à l’article R 111-21 du code de l’urbanisme [2] .
II – Pour privilégier la création qui en soi est nécessaire et positive, l'homme doit-il oublier son passé ?
Oui, disent certains, le passé constitue une entrave à l’évolution de l’homme.
« Nul bonheur, nulle sérénité, nulle expérience, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans la faculté d’oubli » « L’oubli est ce qui rend possible la tranquillité de la conscience » (Nietzsche)
Une trop grande référence au passé peut amener à une dépendance de l’histoire et au détournement du présent.
Non, pour d’autres, nous avons besoin de repère pour nous connaître dans le présent ; la modernité exclusive, la modernité sans tradition n’est pas possible.
Pour Paul Valéry, l’homme moderne est l’esclave de la modernité ; il n’est point de progrès qui ne tourne pas à sa plus complète servitude.
Comment donc être moderne lorsqu’on se revendique d’une tradition ?
Comment peut-on donc se poser cette question, fermer totalement la porte de tous les acquis pour laisser libre cours à toutes les modernités même les plus folles ? Cet extrême est-elle donc possible ? Eh bien oui, nous l’avons eu entre les deux guerres ; les courants traditionalistes existants ont été réduits par les courants majeurs à leur plus simple expression.
Combien de fois n’avons nous pas entendu : l’Etat français a refusé les impressionnistes dans les salons de peinture, il a renoncé au legs Caillebotte, cela ne doit pas se renouveler, selon les fameuses leçons de l’histoire que nous verrons tout à l’heure, l’Etat doit donc intervenir dans l’art contemporain, ce qu’il fait depuis 1930. Ne s’agit-il pas là d’un effacement total des autres tendances ? En outre, a-t-on vraiment, à défaut de recul, le discernement nécessaire entre l’art contemporain durable qui marquera son époque et celui qui disparaîtra et tombera dans l’oubli. Ici, donc, l’intervention de l’Etat est subjective et hasardeuse ; quel prix à payer, combien d’œuvres acquises pour combien vouées à la postérité.
Les traditionalistes répondent aux modernistes : « le progrès de l’homme est-il réel ? » ; tout d’abord, de quel progrès veut-on parler : du progrès scientifique, assurément non, du progrès dans les conditions matérielles non plus, ces deux là se soldent en principe de façon positive, mais du progrès je dirai mental de l’homme ; il faudrait savoir si avec la rupture dans les traditions, l’homme est plus maître qu’autrefois de ses conditions de vie, de sa destinée, est-il moins soumis, est-il plus heureux ?
En conclusion de ce point, si nous pouvons nous définir comme individu, c’est parce nos expériences personnelles ont forgé notre individualité ; toutefois, il semble nécessaire pour notre équilibre psychique de pouvoir oublier ce que la conscience se refuse à assumer ; il ne s’agit pas d’un total oubli, mais d’un refoulement, la conscience rejetant dans l’inconscient ce qu’elle ne peut accepter ; la vie psychique de l’individu, consciente ou inconsciente, serait donc, dans sa plus grande partie, constituée du passé qu’il faut pouvoir oublier s’il devient un trop grand poids pour la vie présente (Freud).
On parle aussi de rechercher un équilibre entre attachement et détachement au passé historique.
III – Sur tous ces points, une autre question importante se pose en complément: l'histoire est-elle utile ?
Le passé permet-il de mieux comprendre le présent ? Est-il possible que l’ignorance du passé nuise à la connaissance du présent ?
L’histoire serait en principe utile pour elle-même mais aussi et surtout à l’homme d’aujourd’hui pour la gestion de son présent, peut-être même pour son futur…
En réalité ce point de l’utilité de l’histoire n’est pas véritablement tranché de la même manière par les auteurs et les réponses données sont souvent totalement opposées.
1°) Pour Leibniz, le grand philosophe de l’histoire, « les origines des choses présentes se retrouvent dans les choses passées » … « Une réalité ne se comprend jamais mieux que par ses causes passées »… « Le présent est gros de l’avenir ; le futur se pourrait lire dans le passé. »
Pour Marc Bloch, un auteur incontournable de l’approche moderne de l’histoire, «le processus fondamental de l’historien est de comprendre le présent par le passé et corrélativement de comprendre le passé par le présent »…« l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent, elle compromet dans le présent l’action même »…« l’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé ; mais il n’est peut-être pas moins vain de s’épuiser à comprendre le passé si l’on ne sait rien du présent » …
Et comment donc comprendre un pays, un peuple sans en avoir appris son histoire.
En généalogie, on dit volontiers que chercher ses racines, c’est au fond se chercher soi-même.
2°) Par contre, pour Montesquieu : « Les exemples historiques étaient bien inutiles aux gouvernements ; l’histoire n’enseigne qu’une seule chose, c’est qu’elle n’enseigne rien. »
Pour Nietzsche, l’oubli est ce qui rend possible la tranquillité de la conscience.
Pour Hegel - La Raison dans l’Histoire - « L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire ».
Pour Paul Valéry « les peuples heureux n’ont pas d’histoire ; d’où s’infère que la suppression de l’histoire ferait des peuples plus heureux » … « l’histoire justifie ce que l’on veut, elle n’enseigne rigoureusement rien car elle contient tout et donne des exemples de tout ».
L’histoire est si riche des faits les plus divers que l’on peut, en choisissant bien ses exemples, démontrer à partir d’elle presque n’importe quelle théorie.
En fait, la controverse est totale, le mode de pensée de ces auteurs complètement différent ; pour nous-mêmes, que faut-il en penser ? L’histoire nous délivre-t-elle une sorte de sagesse ou au contraire constitue-t-elle une entrave à l’évolution de l’homme et à sa liberté de pensée ?
La réponse à cette question vient peut-être de la bouche de l’un de nos meilleurs et très sage analyste de la société humaine, Claude Lévi-Strauss qui en tant que scientifique a toujours cru à l'explication des faits plus par les lois de la structure ou de la nature que par l'histoire ; et pourtant lors de son centième anniversaire, il fait un aveu et prend soin d'expliquer au Président de la République, je cite « l'importance de l'histoire pour mieux comprendre les sociétés modernes ».
IV – Enfin une ultime question majeure : y a-t-il vraiment des leçons de l'histoire ?
« Ah ! Quel dommage que l’homme ne se souvienne pas et ne tienne pas compte des leçons de l’Histoire ! »
Le problème n’est pas de se tromper mais de persévérer dans l’erreur en la reconduisant ; les leçons de l’histoire sont souvent évoquées à propos des grandes misères de l’homme, les guerres, les crimes contre l’humanité, les génocides ; la « der des der » avait-on dit au moment de la guerre 1914-1918.
De tout cela il faut se souvenir, le fameux devoir de mémoire, mais il faut aussi en tirer des résolutions, des conclusions actives pour l’avenir
Et puis il y a tout de même une thèse opposée, un Lefebvre aurait dit : « la seule leçon que l’histoire prétend donner, c’est qu’il n’y a pas de leçon de l’histoire ! »
Mais, la question n’est pas forcément de savoir s’il y a ou s’il n’y a pas de leçons de l’histoire ; le souci est que l’homme doit volontairement donner une leçon de l’histoire, se donner, se fixer des résolutions pour l’avenir.
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Pour tenter de conclure ce vaste sujet, nous avançons le fait que l’histoire, la tradition est avant tout l’art de préserver et d’entretenir un héritage, le progrès, la modernité, consiste à veiller à ce qu’il s’accroisse et à en répandre l’usage ; donc aucune prééminence des uns sur les autres, aucun conflit, mais un rôle utile et une place entière pour chacun.
Querelles d’abord et essentiellement littéraires au 17ème siècle puis philosophiques au 18ème, artistiques au 19ème et enfin architecturales au 20ème, comment la dichotomie dont nous parlons va-t-elle évoluer pour ce nouveau siècle ; les deux tendances trouveront-elles tout de suite leur rôle et leur place respective ? Les hommes vont-ils encore s’affronter sur de nouveaux thèmes par exemple la mondialisation ou l’environnement, ou bien auront-ils la sagesse de dialoguer, de comprendre et d’accepter d’emblée la situation qui est la leur et aussi celle des autres.
Chers Amis, vous l’avez bien compris, la tradition et la modernité ne sont pas des concepts intellectuels à utiliser occasionnellement, par exemple dans les discours ; ils sont profonds, nécessaires et d’un usage courant, plus qu’on ne le pense ; ils doivent être à notre portée et réflexion presque quotidiennement : doit-on démolir cette bâtisse ou bien la rénover ? Cruel dilemme ? Si l’on démolit, quelle nouvelle construction mettre à la place ? Autre dilemme ? Faut-il crépir une façade ancienne ou bien rejointoyer les matériaux existants ? Faut-il remplacer des fenêtres de style par des modernes isolantes ? Faut-il supprimer de vieilles cheminées intérieures qui ne servent à rien et sont souvent dénoncées par les commissions de sécurité ? ou bien des boiseries réputées inflammables, ou encore de vieux pavés non-conformes à la loi handicap ? Faut-il par une législation appropriée privilégier l’art contemporain ou bien le traiter à égalité avec les autres périodes artistiques ? Une accroche publicitaire ou médiatique doit-elle pour le message à transmettre s’appuyer sur des concepts rétro ou plutôt innovants ? Comme vous le voyez, d’autres notions, d’autres réglementations se greffent sur notre sujet et puis il y a bien sûr des nuances à apporter selon les thèmes abordés : on dit volontiers que le message médiatique est par essence moderne, que l’on communique aisément en faveur d’une nouveauté mais pas autour d’une lente évolution ; par contre, l’homme de la rue a un œil naturellement traditionnel, il s’attache plus à l’intégration d’un bâtiment nouveau dans son environnement qu’à l’esthétique par elle-même de la construction.
La tradition, la modernité nous poursuivent à chaque instant, elles nous tiraillent parfois, à nous de réfléchir objectivement à toutes ces questions et d’apporter les meilleures réponses, c'est-à-dire hors du temps, pour satisfaire, aujourd’hui le plus grand nombre certes, mais surtout, par projection dans le temps, satisfaire encore plus et à la fois à nos ancêtres et à nos descendants. Pour reprendre la rhétorique indiquée plus haut, notre société a creusé des sillons depuis hier jusqu’à aujourd’hui, à nous désormais de les tracer correctement et dans les bonnes directions pour l’avenir, à nous d’écrire le mieux possible la suite de notre histoire, ensemble. [3]
Yves Duboys Fresney
(reproduction interdite)
Texte publié dans le bulletin du centenaire de l'Association des Amis du Vieux Fécamp année 2010
[1] A Veulettes, une association pour l’avenir de notre passé vient hélas de disparaître.
[2] Article R 111-21 du code de l'urbanisme: "le permis de construire peut être refusé … si les constructions par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales." Il est pour nous difficile d'appliquer des solutions juridiques à ce texte qui est par essence subjectif.
[3] Cette dernière partie de phrase est aussi l’une des conclusions du film « Home » de Arthus Bertrand.